Une sale histoire de Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski
( Skvernyj anekdot)
Catégorie(s) : Littérature => Russe
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De la sincérité des réformateurs...
La plupart des oeuvres de Dostoïevski sont construites à partir des idées politiques, religieuses ou sociales qu'il veut défendre. C'est le cas de celle-ci aussi. Cette nouvelle a été écrite en 1862, alors que Dostoïevski rentrait d'un voyage en France et en Angleterre. Il est marqué par ce qu'il a vu dans ces pays et, en même temps, un débat fait rage en Russie à propos des réformes à faire.
L'intelligentsia et la bourgeoisie sont profondément divisées au sujet de ces réformes. Certains veulent aller très loin, alors que d’autre voudraient freiner. Dostoïevski fait partie de ces derniers. Il craint avant tout le nihilisme (dont il a pourtant fait partie avant sa condamnation au bagne) et se dit qu’à trop vouloir réformer on va faire exploser le tout (ce qui arrivera quelques dizaines d’années plus tard).
Selon lui, les réformes en France et en Angleterre ne sont certainement pas une solution pour la Russie. Il est convaincu que le peuple russe, et surtout sa paysannerie, a en lui-même la capacité de savoir ce qu'il lui faut à lui, peuple bien à part en Europe dans l’esprit de l’auteur.
Cette nouvelle débute par une conversation entre trois « généraux d'administration » après un dîner. Deux d'entre eux sont de profonds conservateurs, alors que le troisième se dit réformateur. Pour Yvan Ylyitch Pralinski, il faut réformer et : « Il s’était mis soudain à parler avec éloquence et faconde, à parler des causes les plus nouvelles qu’il avait faites siennes jusqu’à la rage, si rapidement et subitement. » Tout son raisonnement part de « l’humanitarisme » qu'il décrit comme un comportement nécessaire vis à vis de tous les subordonnés. Au départ de ce sentiment, tous les autres problèmes devraient, selon lui, trouver une solution. Il dit qu’à partir du moment où ils seront humains avec les subordonnés, ceux-ci vont les aimer et leurs faire confiance. Cette confiance établie, l'homme acceptera les réformes telles qu’elles seront proposées et « .je fais ce que je veux, c'est à dire pour son bien à lui. (le subordonné)»
On comprend de suite ce que ce raisonnement a de faux, tant dans la réaction supposée des hommes que dans les buts des réformateurs : imposer au peuple ce que l’on estime bon pour lui. C’est cette fausseté que Dostoïevski affirme et elle est à l'origine de son opposition aux réformateurs.
Yvan Ilyitch quitte ses deux collègues et rentre à pied chez lui. Il passe devant une petite maison de bois dans laquelle il y a une grande fête de mariage. Il découvre que c’est la maison d’un de ses « subordonnés » et que celui-ci lui avait demandé, des semaines plus tôt, l’autorisation de se marier. Et voilà notre homme qui se dit qu’il tient là une occasion d'appliquer sa théorie et de se faire aimer. Il est profondément convaincu que, le premier moment de stupeur passée, sa présence va fortement flatter son subordonné et que celui-ci en ressentira un profond amour pour lui. Il entre…
Mais rien ne se passe comme il l'avait prévu. Son subordonné commence par se comporter servilement, puis semble même fâché de cette intrusion dans sa fête qui s'en trouve interrompue. Il faut aussi dire qu’Yvan Ilyitch se comporte très maladroitement et n’arrive pas à oublier ce qu'il appelle les « convenances dues à son rang » Et tout va aller de mal en pis jusqu'à devenir « Une sale histoire ».
On ne joue pas au chaleureux, on l’est naturellement ou non. Et Yvan Ilyitch en devient profondément ridicule et maladroit. Il est un faux « humanitaire » et s'il est le « supérieur », ce n'est pas par sa personnalité, mais par son poste.
Vouloir rester le « maître » et être aimé est une grande illusion !
Dostoïevski étudiera souvent le rapport maître-esclave et il les considérera comme dépendants les uns des autres. Seul le despote échappe à cette relation.
Pour Dostoïevski beaucoup de réformateurs sont comme Yvan Ylyitch, c’est à dire des utopistes, des théoriciens incapables d'appliquer leurs théories et, surtout, des gens dont il convient de douter de la sincérité. Le vrai mobile du réformateur n’est pas toujours celui qu’on croit.
Les éditions
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Une sale histoire [Texte imprimé], récit Fédor Dostoïevski trad. du russe par André Markowicz
de Dostoïevski, Fedor Mikhaïlovitch Markowicz, André (Traducteur)
Actes Sud / Babel (Arles).
ISBN : 9782742734481 ; 7,00 € ; 09/10/2001 ; 97 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (4)
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Pour notre grand plaisir
Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 5 août 2017
Une excellente nouvelle de Dostoïevski, en verve.
Extrait :
- Le conseiller d’État effectif Ivan Iliitch Pralinski portait le titre d’Excellence depuis quatre mois seulement, de sorte que c’était encore un jeune général. Il n’était pas d’un âge avancé : il n’avait que quarante-cinq ans et, désirant paraître plus jeune encore, il y réussissait pleinement.
- Songeant aux malheurs qui venaient de l’accabler, celui qui avait rêvé de transformer la société russe se redressa encore une fois. C’était évidemment pour partir, quitter les lieux où son idéal avait été si cruellement bafoué.
Mais, vacillant soudain sur sa base, le général trébucha contre le pied de la chaise et, de tout son long, s’abattit sur le plancher de la maison Pseldonimoff, anciennement Mammiféroff. Le conseiller d’État ronflait... Ainsi en arrive-t-il généralement aux gens qui n’ont pas l’habitude de boire : ils gardent leur conscience jusqu’au dernier moment et, soudain, tombent comme fauchés.
Ivan Iliitch restait couché, sans connaissance. Devant lui, à moitié mort d’anxiété, se tenait Pseldonimoff, les mains dans ses cheveux fadasses. Un à un, les invités quittaient la pièce, chacun commentant l’événement à sa façon.
Le pdf :
https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/…
L'enfer des bonnes intentions
Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 28 novembre 2008
Seulement voilà, Dostoïevski, lui, tout juste sorti de son bagne qui l'a fait passé de nihiliste (modéré) à conservateur (orthodoxe et nationaliste), et bien, il est pas de cet avis. Et il entend bien nous démontrer qu'avec des réformes, on court droit dans le mur et que, tout bonnement, on ne tiendra pas !
Voilà ce qu'illustrera donc la folle et courte nuit de Pralinski chez le régisseur de collège Pseldominov.
Dostoïevski, on le sait, fait des romans à thèse. Une sale histoire ne fait, à ce titre, pas exception. Seulement, pour le coup, sa thèse est mince, et, plutôt que d'être magnifiée par des personnages grandioses, de l'humanisme, des scènes splendides... elle apparaît pour ce qu'elle est : du conservatisme pur et dur et plutôt primaire.
Alors, certes, il y a un certain humour qu'on ne retrouve pas toujours - du moins pas aussi évidemment - dans la plupart des autres oeuvres, plus réussies, de l'auteur. Parfois, ça vire même carrément à la farce. A d'autres moments aussi, on retrouve, par bribes, l'émotion des Pauvres gens, notamment dans l'évocation tragique de la vie misérable de Pseldominov, vers la fin - de loin la meilleure partie de l'histoire, celle qui fait qu'on ne se quitte pas fâché avec Fedor Mikhaïlovitch. Mais pour le reste, il faut bien le dire, c'est quand même décevant. Une sorte de raillerie, de caricature un peu mesquine, mais pas du genre, ni du niveau, des Notes d'hiver sur impressions d'été, pour le coup magnifiques. Disons le franchement, à part, donc, cette dernière partie consacrée aux déboires familiaux de Pseldominov, c'est décevant.
Maintenant, bien sûr, c'est Dostoïevski, donc, forcément, bien sûr que ce n'est pas mauvais. Cependant, c'est un livre moyen. Et pour Dostoïevski, moyen, c'est médiocre.
Les pieds dans les plats
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 26 octobre 2007
Le pauvre Pralinski était plein de bonne volonté mais tout tourne au désastre pour lui. C’est raconté d’une façon tout à fait rocambolesque et le génie de Dostoïevski emporte le lecteur dans cette noce qui manque un tant soit peu d’élégance pour employer un euphémisme.
Si on excepte le contenu politique et social de cette nouvelle, elle est remarquable par la puissance narrative que l’auteur y déploie. Les différentes scènes y sont dépeintes avec une maîtrise de l’écriture et un talent tel que j’avais vraiment l’impression d’y être dans cette noce. Le malaise de plus en plus grand du fier conseiller d’état Pralinski, est raconté avec beaucoup de justesse et son effondrement final est des plus humiliants. Il aura d’ailleurs du mal à s’en remettre de sa déconfiture et finira par admettre que lui non plus « n’a pas tenu le coup ».
« Il s’affala sur une chaise comme s’il s’évanouissait, il posa ses deux mains sur la table et sa tête s’effondra directement dans l’assiette qui contenait du blanc-manger. Inutile de décrire la terreur générale. Il se releva au bout d’un instant avec le désir manifeste de partir, il tituba, se prit dans un des pieds de la table, tomba par terre de tout son long et se mit à ronfler. »
Nuit d'ivresse
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 17 août 2004
Le général d'administration X en fait l'expérience à ses dépens : légèrement éméché, il fait irruption dans la fête de mariage de son subordonné avec l'intention de mettre en pratique ses idées sur l'humanité entre l'élite et le peuple. Malheureusement ça ne passe pas du tout : non seulement il casse complètement l'ambiance mais en plus, sous l'emprise de l'alcool, il ne se tient plus du tout.
Ce petit récit marrant et ironique, bien emmené, nous montre l'inanité de ces théories d'humanités et l'égoïsme profond de cette race de gens qui, faisant partie de l'élite, se croient supérieurs moralement, alors qu'ils en sont très loin. J'ai bien aimé ce petit livre, notamment le côté "Nuit d'ivresse", référence à un film hilarant avec Lhermitte et Balasko .
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Dostoïevski fait du Gogol | 6 | Stavroguine | 29 novembre 2008 @ 01:42 |