Les évadés de Santiago
de Anne Proenza, Teo Saavedra

critiqué par BMR & MAM, le 25 octobre 2010
(Paris - 64 ans)


La note:  étoiles
La Grande Evasion
Avec Les évadés de Santiago, la journaliste Anne Proenza (journaliste à Courrier International) et le chilien Teo Saavedra nous racontent l'évasion spectaculaire d'une cinquantaine de prisonniers politiques de la prison centrale de Santiago du Chili.
C'était le 29 janvier 1990. Le Chili s'acheminait très lentement sur la voie de la démocratie, Pinochet n'était plus chef de l'état mais restait toujours aux commandes de l'armée et tirait encore les ficelles du pays.
Pour l'essentiel, les prisonniers venaient du Frente Patriotico (“Le Front”), le bras armé du Parti Communiste aux heures les plus sombres de la dictature. Certains d'entre eux avaient été capturés après l'attentat manqué contre Pinochet du 7 septembre 1986.
Même si l'on en connait la fin, le bouquin est agencé comme un véritable polar, et même un double suspense.
Les chapitres alternent entre, d'un côté, les longs préparatifs de l'évasion :

[...] - J'ai un plan. Un tunnel. Nous sommes à trente mètres de la rue, nous pouvons avancer d'un mètre et demi par jour. Si nous sommes six personnes à travailler, en un an, au pire en deux, nous sommes sortis.

et de l'autre côté, à rebours, les progrès de l'enquête du juge chargé, après les événements, de tirer au clair cette affaire et les éventuelles complicités dont auraient pu bénéficier les “terroristes” évadés :

[...] « Nous allons marcher sur des oeufs pourris, monsieur le juge », ne put s'empêcher de murmurer le secrétaire d'Amaya , d'habitude plus réservé, après avoir lu le document officiel définissant leurs nouvelles responsabilités.

Cette construction mêle habilement les événements, les points de vue, tout en ménageant suspense et intérêt.
Ce livre est aussi l'occasion de réviser notre histoire contemporaine du Chili, de revivre ces événements qui auront marqué beaucoup de français (les liens étaient étroits entre nos deux pays).
De découvrir ou re-découvrir certains aspects de la dictature “du Vieux” et de réaliser que bien avant la banque Goldman Sachs en Grèce, le Chili avait déjà servi de laboratoire d'expérience aux économistes ultra-libéraux : c'étaient l'époque des Chicago Boys de Milton Friedman.
Mais surtout, ce bouquin détaille le quotidien des prisonniers politiques : même mêlés aux détenus de droit commun, ils refusent leur situation.
Ils ne se considèrent pas comme devant “purger une peine” mais plutôt comme étant toujours en lutte contre le pouvoir et l'oppression, même depuis leur cellule.
Ils refusent la discipline carcérale et revendiquent (et obtiennent !) leurs droits à coup de grèves de la faim.
Et bien sûr ils préparent leur évasion, considérant cela comme leur devoir de militants prêts à reprendre la lutte.
Impressionnante (vraiment impressionnante) est la force collective de ces hommes torturés, emprisonnés, qui passeront outre les peurs, les egos et les querelles de chapelle.
Une belle leçon d'histoire, de politique et de courage collectif.