Rose d'Elisabethville (Bruxelles 1960-1961)
de Thilde Barboni (Scénario), Séraphine (Dessin)

critiqué par Sahkti, le 29 octobre 2010
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Des années difficiles
A l'heure où l'on cloue au pilori "Tintin au Congo" pour cause de racisme, oubliant de plonger l'oeuvre dans son contexte, histoire de faire une vraie leçon d'Histoire, penchons-nous justement sur cette période de la colonisation belge en Afrique. Colonisation et surtout décolonisation. Sous les traits de couleur – superbes de sobriété – de Séraphine et dans un scénario de Thilde Barboni, Rose évolue dans les tourments de 1960-1961, dans les violences politiques et les vélléités indépendantistes d'un peuple ayant envie de voler de ses propres ailes.
Rose a grandi au Katanga, elle est infirmière et s'occupe des rapatriés du Congo. Un jour, elle reçoit un diamant plus que convoité (le diamant a parfois le goût du sang, entre autres choses), un masque africain qui va lui valoir pas mal de soucis, ainsi qu'une lettre à n'ouvrir qu'après la mort d'un homme s'étant occupé d'elle lorsqu'elle était enfant et vivait au Congo. Son mari Eric est journaliste, il suit la décolonisation congolaise de près. Evidemment, dans cette histoire, selon qu'on se trouve du côté africain ou du côté européen, belge en particulier, le regard n'est pas la même. Forcément.
Ce quotidien violent vient peu à peu s'immiscer dans celui de Rose et d'Eric, provoquant réflexions et débats. Pas mal de tensions aussi, qui se reflètent au fil des pages, à un niveau privé ou de manière plus générale, l'auteur visant le contexte politique dans sa globalité même si elle n'entre pas dans tous les détails (ce qui aurait été impossible et sans doute laborieux, voire pesant).

A cette histoire politique vient s'ajouter une sorte de chasse au trésor, lorsque des escrocs peu scrupuleux tentent de faire main basse sur les cadeaux de Rose, qui constituent un inestimable pactole.

Il est intéressant de savoir que la scénariste a glissé des expériences familiales personnelles dans tout ceci. Combien sont-ils ces Belges d'une génération pas si lointaine qui ont tous eu un oncle, un cousin, un grand-père parti faire des affaires au Congo belge ?

La démarche de cet ouvrage est enrichissante à plus d'un titre, car elle aborde des éléments forts tels la trahison, la recherche d'identité, la culpabilité, le pardon et l'idéalisme aussi.
A cette qualité de "fond" s'ajoute un très beau travail esthétique et graphique de Séraphine, qui a su saisir en quelques traits des émotions intenses, des silences mais aussi des moments très durs, comme il y en eût tant dans ce conflit.

Une belle découverte que cet album !