Knockemstiff
de Donald Ray Pollock

critiqué par Gianro, le 18 novembre 2010
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Dix huit nouvelles de choc
On espère toujours découvrir des romans qui aient la force poétique de John Fante, le sens du récit de Jim Harrisson, la truculence et le lyrisme de Bukowski, et puis on tombe un jour sur dix-huit nouvelles, insolites et crues, écrites il y a quelques années par un quinquagénaire natif de l'Ohio. Il s'appelle Donald Ray Pollock.
Ses textes ont pour acteurs les habitants d'une ville aujourd'hui désertée dont le nom, « Knockemstiff » (c'est-à-dire « étend les raides », au sens de « fiche leur une bonne trempe »), porte en lui la violence qui affecte la vie de laissés-pour-compte de l'Amérique de la fin du XXème siècle.
En effet, les personnages de ces nouvelles ont tiré les mauvaises cartes (résultat de la consanguinité propre à une communauté vivant en vase clos ? Conséquences de la pollution créée par une proche usine de pâte à papier ? Du progrès en général ? De la « folie » américaine ? Effet Reagan ? Busch ?), toutes les mauvaises cartes que sont le crime, l'inceste, le cancer, l'idiotie, la grande pauvreté, l'alcoolisme, la toxicomanie, les violences familiales, la folie, l'ignorance... Ils ne rêvent pas d'un lendemain qui chanterait : le futur sera fait d'une autre défonce, d'une agonie, d'une nouvelle humiliation, d'une haine ravalée, d'un casse foireux.
Et parfois d'un étrange désir de rédemption puisque Dieu n'est pas totalement absent de l'existence de ces personnages qui font usage de Jésus comme ça leur chante : « Jesus save us », s'exclament en riant un frère et sa sœur de douze ans en faisant l'amour dissimulés dans les fourrés, avant que la mort ne les prenne quelques instants plus tard.
Dans un autre texte, une voiture s'arrête à la station-service tenue par le narrateur. Elle est immatriculée en Californie. C'est un événement, des étrangers venus d'un autre monde ; d'ailleurs la passagère commence à prendre des photos de Knockemstiff, et de quelques spécimens qui l'habitent. L'exotisme pour ces touristes, c'est Knockemstiff, cette excroissance malade poussée en Ohio :
« C'est difficile de s'imaginer qu'il y a des gens si pauvres dans ce pays fait le type. Qui vivent comme ça dans le pays le plus riche du monde.»
Exotisme à double sens, riches et pauvres, voyeurs les uns des autres : tout finit par des photos... Ces nouvelles écrites dans un style économe de ses moyens, sans pathos ni jugement de valeur et où affleure, dans le dernier texte, la sagesse de celui qui a pu survivre à tout cela révèlent un conteur talentueux.
« Tout en le regardant, je repensais aux dernières années où je picolais. Beaucoup de gens se font des idées, ils pensent qu’ il y a quelque chose de romantique ou de tragique à toucher le fond. »
Un maître du Noir 8 étoiles

Paru avant l’époustouflant « Le diable tout le temps », ce recueil de nouvelles a lui aussi pour cadre la ville de Knockemstiff, dans l’Ohio, dont est originaire l’auteur.

Et la galerie de portraits qu’il nous offre est ici aussi d’une grande noirceur, les hommes et les femmes que le lecteur croise étant tous plus paumés et désespérés les uns que les autres. Leur seul horizon coïncide avec les limites de ce bourg perdu, qu’ils ne quitteront jamais même s’ils en rêvent. Leur quotidien n’est fait que de misère, de violence, et tous sont ravagés par l’alcool ou la drogue.

Pourtant, c’est sans aucun misérabilisme que Donald Ray Pollock narre les vies de ces êtres qui survivent tant bien que mal. Bien loin du rêve américain, la vie à Knockemstiff ne semble qu’un long cauchemar dont le lecteur pourrait vouloir s’échapper au plus vite. Mais l’auteur a un tel talent que ce périple en enfer n’est pas une épreuve pénible mais un choc comme on aime en éprouver en littérature. Il ne faut certes pas avoir l’âme trop sensible pour goûter ces dix-huit petits textes – qui se croisent et se rejoignent – mais pour quiconque aime les sensations fortes en lecture, Donald Ray Pollock est assurément un maître à découvrir.

Aliénor - - 56 ans - 4 novembre 2013


UNE HUMANITE QUI S’ABANDONNE 8 étoiles

Les nouvelles de ce recueil se déroulent dans le bourg de KNOCKEMESTIFF ou aux alentours, dans le sud OHIO. Attention la lecture n’est pas sans danger, il est prudent de prévoir une pause plein air, ou de visionner un film comique au milieu pour réparer le moral.
C’est une plongée dans l’existence misérable de blancs américains qui vivent d’aides sociales ou travaillent par intermittence à l’usine de papier qui règne sur la région .Toutes les limites morales, sociales se sont dissoutes dans l’alcool et la drogue, plus aucune valeur ne subsiste sinon la violence, et le sexe. L’auteur décrit la pauvreté, la déchéance totale, sans aucune complaisance ni outrance, ce qui rend ce récit d’autant plus terrible et crédible.
Les personnages principaux, ravagés par les drogues et l’alcool, parlent de leur vie, avec des mots crus et raides, truffés d’images violentes, on les retrouve de nouvelles en nouvelles, de galères en catastrophes, tout au long du livre.
Dans cet univers en décomposition, malheur à l’âme sensible qui n’a qu’une seule issue, partir, fuir cet enfer ou se faire trucider, pas de pitié pour les agneaux.
Les êtres s’engluent dans des rôles caricaturaux, dans des malédictions ataviques.
Parfois un geste, un élan de tendresse, de compassion émerge de ces magmas, comme une fleur fragile, mais il est vite écrasé par l’enchaînement quasi automatique de comportements nihilistes et destructeurs.
Car dans cette déchéance totale, seules subsistent les attitudes les plus archaïques d’un monde ancien, présent à l’état de traces mnésiques, le machisme, le racisme, la prédation. Le style est incisif, efficace et pourtant mesuré, presque retenu, pourtant certaines scènes sont à la limite du supportable. On assiste à une plongée dans le néant, dans l’auto destruction d’une humanité sans espoir, qui s’abandonne elle-même et se jette aux ordures.
Dans un style différent mais cependant plus qu’honorable , j’ai éprouvé la même sensation qu’en lisant Zola, le choc d’une lucidité impitoyable sur les effets de la pauvreté économique et morale, avec la différence d’un point de vue intérieur, contemporain et non dépourvu d’humour, noir, bien entendu. L’auteur a vécu, travaillé et naufragé, dans ce bourg.
Un livre remarquable et cruel comme la vérité.

Camarata - - 73 ans - 3 janvier 2011