Forêts noires
de Romain Verger

critiqué par Feint, le 20 novembre 2010
( - 61 ans)


La note:  étoiles
S’étonner de n’être pas qu’humain
C’est un recueil de nouvelles, et puis non : c’est un roman. Un narrateur envoyé en mission scientifique au Japon, empêché d’accomplir ses recherches par l’arrivée toujours retardée de son matériel, finit par subir l’attraction fatale de la mer d’arbres qui borde le lac au bord duquel il est installé. Guidé par l’énigmatique Shintaro, il s’y perd de son plein gré. Un enfant, marqué par la mort précoce de son père, va tous les jours se blottir auprès d’un homme découvert dans un champ, face contre terre. Rêve ou réalité, la question se pose sans réponse ; mais le personnage, toujours narrateur, c’est le même, saisi à divers moments de sa vie. Dans une langue classique – celle des hommes qui se croient civilisés –, face à la figure tutélaire, protéiforme et récurrente de Vlad, version obscure et vampirique d’Augustin Meaulnes auquel succède Shintaro, le narrateur s’étonne, et nous avec, de n’être pas qu’humain (même si les choses bien sûr en d’autres termes sont dites). D’être aussi autre chose, sans les mots pour le dire. Comme dans Grande Ourse, comme dans Zones sensibles, cette inhumanité cachée (qui passe notamment par un rapport très singulier à la nourriture, différent dans chacun des livres de l’auteur) signe un destin, vers lequel, à chaque fois, l’homme marche, prêt à découvrir – quand le livre se ferme – ce qu’il ignorait jusque là.
Au plus profond 10 étoiles

Un jeune chercheur en géologie est envoyé au Japon, au pied du Fuji-Yama, près d'une des plus vieilles et importantes forêts de ce pays, afin d'y étudier l'influence du magma sur la végétation. Contraint de s'y rendre, laissant derrière lui sa vieille mère en souffrance, écarté vraisemblablement par une hiérarchie et des collègues indélicats, il se lance dans cette exploration avec appréhension, d'autant que la forêt Aokigahara Jukai (mer d'arbres), semble attirer nombre d'hommes qui n'en reviennent jamais..

Cette expérience va fortement perturber le jeune homme, en proie à de douloureux souvenirs, toujours liés à la nature et aux arbres. Romain Verger nous offre ici comme un enchevêtrement d'histoires, avec en fers de lance l'arbre et la forêt. Accueillante comme nous pouvons la connaître, celle-ci se trouve bientôt envahissante, asphyxiante, horrifiante. Les souvenirs de l'enfant devenu adulte ressurgissent de manière violente, avec des figures l'ayant marqué à tout jamais, des personnalités effrayantes ou mystérieuses, fragilisant le petit être qu'il était et l'adolescent grandissant.

Comme toujours, l'auteur nous emporte au creux de nous-même et nous rappelle nos craintes. Mystères d'enfance et apprentissage de la vie, références aux adultes qui nous entouraient, influence du copain d'école pour le moins louche, lectures angoissantes, chacun(e) de nous a grandi sur un terreau bien spécifique, alimenté de ces éléments qui enrichissent nos vies.

Mêlant les jeux d'enfants, les instants glauques et les battues angoissantes, ce livre nous fait voyager certes aux abords du Mont Fuji-Yama, mais surtout au plus profond de nos âmes.

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 10 novembre 2018