Si la carte du tendre, imaginée par les Précieuses du XVII° siècle, nous apparaît aujourd’hui quelque peu ridicule, ce dictionnaire est une brûlante déclaration d’amour d’un écrivain à sa terre, à ses racines, à une figure géométrique et géographique, cet hexagone pour lequel Denis Tillinac est tout de tendresse, d’émotions, de pudeur, d’amour rêvé et avoué. Avec lui l’hexagone n’est plus angles et brisures mais « un enfant bordé par une mère attentive : des montagnes, des mers, un océan. Il y a juste cette ouverture plane sur la Belgique qui nous a valu des ennuis sans nombre… Avec ses formes équilibrées et son apparente quiétude, l’hexagone suffit à notre bonheur ».

Ma France n’est pas toujours celle de Tillinac mais quiconque regarde la France d’un œil câlin prendra plaisir à picorer dans ce dictionnaire pour y rencontrer un personnage, admirer un paysage, partager une émotion comme je l’ai eu en découvrant par exemple cette duchesse de Chevreuse « belle comme le jour, enjouée, endiablée, intrépide, inconséquente, séditieuse, aventureuse, amoureuse au long cours ». On l’aura compris, Denis Tillinac est un styliste.

Certes, à la lettre Q, j’aurais dit le bonheur du quatorze juillet, expression éphémère d’unité nationale et aussi porte ensoleillée sur les vacances. Certes, ma France littéraire ne se décalque pas exactement sur la sienne. Certes sa France ignore les banlieues, l’immigration, les problèmes de notre époque, la peur d’avoir plus de futur que d’avenir pour reprendre la belle formule de Pierre Nora. Je sais bien qu’être amoureux, c’est être bien souvent aveugle parce qu’ébloui. Denis Tillinac nous parle de SA France et c’est dommage d’avoir oublié cette autre France, celle des « gens qui se lèvent tôt ».

Mais il y a tant de points communs : le goût du panache et d’Artagnan, Chateaubriand et l’enfance, les hussards noirs de la République et le souvenir de nos maîtres, les villages de France dont il parle avec la nostalgie d’un impressionniste. Et tout simplement « le bonheur d’être Français ».

La France de Tillinac me fait penser à celle de Raymond Depardon dont le film admirable « La vie moderne » raconte tant qu’il est encore temps la fin du monde paysan et dont le livre « La France de Raymond Depardon » est un recueil de photos sur des petits coins de l’hexagone qu’il a su regarder avec une tendresse bouleversante.

Gnome, dans sa critique, se demande s’il ne faut pas être réac pour aime ce dictionnaire. Je ne crois pas. On peut avoir hérité de la France d’Aragon et se retrouver dans cette « France intime » issue d’une éducation, voire d’une culture, différente. Car au fond, cette déclaration d’amour caresse le rêve d’unité de tous les Français, aussi différents soient-ils, rêve que l’historien Michel Winnock traduit ainsi : « Les gaullistes ont rêvé d’une nation unifiée par sa propre grandeur. Les communistes ont rêvé de voir un jour la société sans classe. Les catholiques ont eu la nostalgie d’une chrétienté où les enfants de Dieu chantent au diapason. Les nationalistes ont rêvé d’une société qui marche au pas au son de la musique militaire. »