Tant et tant de chevaux
de Luiz Ruffato

critiqué par Clarilire, le 17 décembre 2010
(Lyon - 30 ans)


La note:  étoiles
Tant et Tant d'histoires des bidonvilles de São Paulo.
Luiz Ruffato, auteur brésilien, nous entraîne dans les bidonvilles de São Paulo.
Il nous raconte une journée de la vie de ses habitants, leur quotidien entre violence et misère.

J'ai eu la chance avec ma classe de rencontrer cet auteur l'année dernière. C'est en marchant dans les rues de la ville qu'il a écrit son livre. Et ce n'est pas les paysages de cartes postales du Brésil qu'il nous peint mais le tableau très réaliste, à travers 69 sections, d'un Brésil miséreux et corrompu.
Aucun des protagonistes ne se croisent, ni ne vit la même histoire. On rencontre un enfant et son père, une prostituée, une liste de célibataires cherchant l'amour, les messages d'une femme sur un répondeur...

Ruffato, dans ce livre, renverse les codes de littérature pour nous offrir des textes, parfois sans ponctuations, parfois en italique, parfois en gras, parfois sans logique apparente.
Au début il faut s'accrocher tant son style d'écriture nous surprend et nous dérange mais petit à petit on rentre dedans. Et j'ai vraiment aimé cette balade qui nous est offerte dans les rues de cette grande métropole. Mais il vrai que je n'ai apprécié ce livre dans toute sa splendeur qu'après avoir analysé certaines sections avec ma prof de français et après avoir rencontré ce formidable auteur, sympathique, plein d'humour et racontant les histoires à merveille.

Je conseille ce livre atypique à tous ceux qui en ont marre de la littérature traditionnelle et à tous ceux qui veulent découvrir les bidonvilles de São Paulo.
Ville à la dérive 7 étoiles

En entrant dans de ce livre, j’ai eu une drôle d’impression : l’impression de voir un documentaire sans commentaire, un documentaire filmé par une caméra embarquée dans un véhicule qui se baladerait dans une immense mégapole surpeuplée au point d’en être déshumanisée. Sao Paulo, 9 mai 2000, Luiz Ruffato lâche sur la feuille sa plume qui dévale la ville comme un bolide dressant avec des mots-images des portraits d’une saisissante vérité, des portraits qui expriment la violence, la misère, l’horreur qui règne sur la mégapole, des scènes atroces, cruelles, révoltantes,… des morceaux de vie d’individus représentatifs de cette masse grouillante, suant, ahanant à la recherche de quoi vivre, respirer, espérer encore un peu ou croulant sous une richesse bien mal acquise.

Dans une ambiance qui semble inspirée de « Pixotte », Luiz Ruffato propose aux lecteurs sa vision de Sao Paulo, la mégapole gigantesque, trop grande pour être encore humaine, trop vaste pour permettre à chacun de vivre dignement. Pour rendre son témoignage plus crédible, il construit son texte comme la ville est érigée : de bric et de broc, de morceaux hétéroclites : textes sans ponctuation ni paragraphe, textes classiques, listes de mots, prose en vers, etc.… Chaque petit chapitre, une ou deux pages, est différent du précédent et du suivant, chacun raconte un petit bout d’histoire, le plus souvent une tranche de misère.

Une expérience littéraire, une aventure dans un monde déshumanisé, déliquescent, dégénéré, apocalyptique. Un cri d’alarme lancé à la face du monde pour dire qu’une ville se meurt, qu’un peuple est sur le point de disparaître que l’humanité est en danger qu’elle pourrait se désagréger comme le texte de Ruffato qui se décompose en morceaux incohérents, dispersés, incapables de former un texte correctement formaté. Une performance littéraire, des images saisissantes :

« …
Je l’ai dit le crâne est un sacré bonhomme
L’autre jour le crâne a été bloqué à l’entrée de la favela
La police militaire faisait une descente
Lui a demandé de présenter ses papiers
L’emmerde il n’avait même pas sa carte d’identité
La police lui a ordonné de se coucher sur le sol dégueu
La figure dans la rigole qui sert d’égout

Ensuite ils l’ont jeté dans le fourgon et ont disparu
Dans cette sao paulo immense
Ils l’ont tabassé torturé
Mis en piteux état lui le crâne

Maintenant je vais à la baraque prendre mon glock chez le crâne
… »

Débézed - Besançon - 77 ans - 10 décembre 2015