Dieu est amour
de Benoît

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 22 décembre 2010
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Deus Caritas Est
L’encyclique « Deus Caritas Est » est une lettre que le Pape a adressée à l’ensemble des fidèles pour répondre à des questions qui se sont posées dans la communauté chrétienne, au sujet de l’action sociale de l’Église dans le monde.
C’est la dixième encyclique sociale du Vatican. Elle a été rédigée sous l’égide de Benoît XVI en fin 2005. La première étant « Rerum Novarum », écrite par Léon XIII en 1891 en réaction au « Der Kapital » de Karl Marx.

La lecture d’une encyclique est un acte de piété filial, puisque c’est la lettre d’un père à ses enfants, mais ce n’est jamais une partie de plaisir. Cependant dans celle-ci, dès l’introduction, le Pape énonce une vérité avec laquelle j’ai toujours été bien d’accord, ce qui m’a encouragé dans ma lecture. Cette vérité est qu’on entre le plus souvent dans la foi chrétienne à la suite d’un événement qui vous a bouleversé la vie.

Pour la forme, j’ai trouvé que cette encyclique était plus accessible que les précédentes. Benoît XVI l’adresse à tous les fidèles et donc il se met à la portée du plus grand nombre.
Ça ne l’a pas empêché d’adopter le style ampoulé des encycliques. Je crois que c’est inévitable : tous les mots doivent être minutieusement choisis, ils doivent être pesés, ils ne peuvent se prêter à la moindre confusion.
Le Vatican est conscient que les encycliques sont lues par les médias qui sont à la recherche du moindre mot au sens ambigu, et qui, sorti de son contexte, devient un sujet de controverse universel.
Dès lors, le Pape n’hésite jamais à s’adonner à la redondance : une même vérité exprimée en début de chapitre sera répétée plusieurs fois dans le même chapitre, sous une autre forme, afin d’être sûr qu’elle soit comprise exactement dans le sens désiré.
Et puis le Pape est un Allemand et, dans la culture germanique, la précision d’un concept ne se conçoit que par la répétition de sa définition sous plusieurs formes différentes.


Pour le fond, l’encyclique se partage en deux parties. La première définit les deux grands préceptes de la religion qui doivent guider toute son action sociale : Dieu est amour et Dieu est dans le prochain.
Ce qui conduit immédiatement le Pape à définir le mot amour. En grec il existe huit mots pour dire amour ; ils sont tous traduits en français par un seul mot !
Par ailleurs, dans ce chapitre, le Pape explique comment l’Église incarne le « corps mystique » du Christ qui est amour ; et comment le Sacrement d’Eucharistie a un caractère social, puisqu’il unit tous les fidèles dans une même offrande, en union avec l’offrande du Seigneur.

Une parenthèse ici pour dire qu’évidemment, pour le non-croyant, tout ça n’est que balivernes ; mais le croyant y trouvera une cohérence qui le renforcera dans ses convictions.

La seconde partie de l’encyclique est consacrée à la part de l’Église dans l’action sociale.
« Si tu comprends la charité, disait saint Augustin, tu as compris la sainte Trinité ». Là-dessus, le Pape se lance dans une explication de la sainte Trinité. C’est de la théologie pure, qui certes a son importance mais qui, à mon avis, n’est pas le principal.
Après, ça devient plus intéressant. Le Pape entre dans le cœur du sujet qui est « le service de la solidarité » dans l’Église.
L’amour du prochain, nous dit le Pape, est ancré au cœur de tout chrétien et doit s’exercer dans des organisations communautaires, neutres éventuellement, et bien organisées.
Et de nous rappeler l’historique des premières communautés caritatives, qui commencent dès les premiers disciples avec la « diaconia », puis qui se sont poursuivies durant les premiers siècles, comme en témoignent les récits des Pères de l’Église et des premiers martyrs.
Le Pape passe ensuite en revue toutes les institutions religieuses et monastiques qui se sont mises au service des autres pendant des siècles, montrant par là, la grande tradition caritative de l’Église catholique.
Au point de vue historique, et particulièrement pour l’Histoire de l’Église, cela présente un très grand intérêt.

Maintenant le Pape en est arrivé au XIXème siècle et ça nous intéresse plus directement.
Il commence par une critique du Marxisme, qui selon lui, présente beaucoup d’intérêt par son côté novateur et mérite une étude approfondie. Mais, bien sûr, il le condamne pour son athéisme et son mépris de la conscience individuelle au profit de la collectivité ; pour son matérialisme aussi, bien évidemment, en rappelant que l’Homme ne se nourrit pas seulement de pain. « Une conception matérialiste de l’Homme est une conception qui l’humilie par la méconnaissance de ce qu’il a de plus spécifiquement humain » (c'est-à-dire sa spiritualité).

Le Pape parle ensuite de la Mondialisation en termes très sévères. Selon lui, la formidable progression des sciences et leurs applications techniques, auraient pu, dans le processus de mondialisation, venir en aide à nos frères les plus démunis.
Et de rappeler que le Concile Vatican II avait instamment recommandé que les progrès de notre temps servent en priorité la solidarité entre tous les peuples.
Le Pape constate avec amertume que la Mondialisation, parce que détournée de son but premier, s’est mise au service des plus riches aux dépens des plus pauvres.

Le Pape termine enfin sa lettre encyclique en rappelant quelle doit être la position de l’activité caritative de l’Église et du chrétien, dans les structures de l’État : selon lui, le chrétien doit, dans la mesure de ses compétences, participer à la vie politique.
Il rappelle aux Évêques leur devoir d’organiser dans leur diocèse des structures d’aide au prochain, sans verser dans le prosélytisme et, « en faisant confiance à l’action de l’Esprit Saint qui assiste les chrétiens dans leurs œuvres ».
Mais, comme il fallait s’y attendre, il recommande instamment aux différentes Églises de ne pas se laisser tenter par l’action politique.
Et d’insister encore une fois lourdement sur la stricte exigence de la séparation de l’Église et de l’État.

Au passage il condamne, avec une certaine compassion, la Théologie de la Libération, en rappelant encore une fois, que « l’Église ne doit pas céder au péché d’orgueil qui la pousserait à entrer dans la lutte politique et à prendre en main la gouvernance du monde, ce qui l’entraînerait dans des doctrines fanatiques, en se permettant de juger l’œuvre de Dieu ».

Cette belle et enrichissante encyclique se termine par quelques passages choisis de l’Hymne à la Charité de saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens, avec entre autres, ceci : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, si je n’y mets pas l’amour du prochain, cela ne servira à rien ».

La lecture d’une encyclique n’est jamais une partie de plaisir mais doit donner à tout chrétien, conscient de sa place dans le monde, une occasion de réflexion et de méditation.
En toute dernière instance, le Pape recommande la lecture quotidienne de la vie des saints, ce qui réjouira tous les fervents lecteurs de notre site favori.
Avec mon filial respect 8 étoiles

Je l'avoue, c'est la première fois que je lis une encyclique, et c'est grâce à SJB que je m'y suis mis. J'ai lu cette encyclique avec la "piété filiale" qui sied à une lettre écrite par un père à ses enfants ! Ce qui n'empêche pas de garder un esprit critique quand le "vieux" semble par trop rétrograde !

Une encyclique, ce n'est jamais que quelques pages. Mais comme le dit très bien SJB, chaque mot est pesé, soupesé, répété,.. et finalement c'est une lecture très dense que cette lettre du pasteur à son troupeau.

La première partie, de haute teneur philosophique et théologique nous entretient de l'amour : éros (qui représente l'amour sensuel entre l'homme et la femme), agape qui représente l'amour "désintéressé", l'amour "oblatif", qui cherche avant tout le bien de l'autre. Il parle très bien de ces concepts, il reconnait la difficulté qu'a parfois eu le christianisme de ne pas dévaluer l'éros au détriment de l'agape (crainte de la corporéité et des rapports sexuels). Mais il condamne tout aussi justement la tendance inverse à "choséifier" l'homme. Il montre bien comment seule l'union des deux formes d'amour peut réaliser le vrai amour. Il explique comment l'Amour de Dieu s'exprime dans l'AT et dans le NT.

Cela est très pertinent et intéressant j'ai trouvé. Une réserve quand même sur cette première partie théorique : le pape induit de manière détournée, au bout du compte, que le seul amour possible est celui entre l'homme et la femme, et que cet amour doit être unique et illimité dans le temps. Bon, mais quid de l'amour homosexuel, des divorcés-remariés,… ? Je trouve ce genre d'insinuations déplacées. D'autant plus que, d'un point de vue théorique, c'est des arguties non fondées par la discussion pourtant convaincante qui précédait.

Dans la deuxième partie, qui se veut moins théorique, le pape parle de l'exercice de la charité par l'Église. Pour les marxistes, les pauvres ont un droit à un partage équitable des richesses, et donc il faut obtenir la justice sociale par la politique (voire même, à mon avis, via l'action violente). Dans ce sens, un marxiste considèrera la charité exercée par l'Eglise néfaste, car elle a un effet palliatif, elle retarde l'avènement d'un juste partage.

Le pape reconnait que les marxistes n'ont pas tort sur le fait que le partage équitable des richesses est un droit. Il sait, et il le dit (et j'en suis fier), que notre système centré sur le financier et le profit est mauvais. Cependant, le pape a peur du marxisme. C'est l'aspect athée de la doctrine marxiste qui lui fait peur je crois. En outre il a été profondément endoctriné au capitalisme (comme nous tous occidentaux).

Mais, sauf mon filial respect, je pense que le pape a tort : le marxisme n'est pas athée par définition. Les jésuites en Amérique du Sud étaient croyants et marxistes. La vive opposition qu'ils ont rencontrés de la droite traditionnelle américaine n'était pas une histoire de foi chrétienne, c'était un autre type de guerre de religion : celle du capitalisme contre toute forme de marxisme.

En fait, être croyant ou non n'a rien à voir avec le fait de vouloir une justice sociale ou pas. Ni de choisir le meilleur moyen de parvenir à cette justice sociale : est-ce via l'institution de la charité, via la révolution prolétaire, via la généralisation de l'économie de marché ?

A propos de la politique, le pape répète abondamment que l'Eglise en tant que telle ne peut pas faire de la politique, mais il engage les chrétiens à faire de la politique à titre personnel. Il n'a pas tort sur ce point. Quoique : il faut toujours tenir compte que dans notre culture capitaliste, ne pas faire de la politique, c'est en faire : en effet, en refusant le combat pour la justice sociale, on oeuvre en faveur du statu quo. Dans ce sens, force est de reconnaitre que au moment où l'Eglise avait le devoir de soutenir la lutte sociale dans les pays d'Amérique du Sud, elle a de manière éhontée choisi le camp de l'empire Américain sous prétexte de s'abstenir de faire de la politique (ce qui, bien sûr, était un non-sens).

Saule - Bruxelles - 59 ans - 13 janvier 2011