Classic rock covers de Michael Ochs

Classic rock covers de Michael Ochs

Catégorie(s) : Arts, loisir, vie pratique => Musique , Arts, loisir, vie pratique => Photographie

Critiqué par Numanuma, le 3 janvier 2011 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 7 étoiles
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Le son par l'image

Les bonnes résolutions de début d’année restent souvent lettres mortes passé le 30 janvier sauf quand la bonne résolution se résume à, enfin, ranger son bureau ! Bien sûr, dans le genre, on peut trouver mieux mais c’est un bon début qui m’a permis de remettre la main sur ce bouquin dont j’avais oublié l’existence : Classic rock covers, publié chez l’excellent éditeur Taschen. Cela fait un moment que je l’ai : l’étiquette indique le prix en Francs avec l’équivalent en euro !
Le principe est simplissime : il s’agit d’une série de reproductions de pochettes d’albums au format 33 tours (les plus jeunes se tourneront vers leurs parents) depuis les années 50 jusqu’aux années 90. Evidemment, dis comme ça, ce n’est guère vendeur surtout que le format réduit du livre ne permet guère d’apprécier la qualité des pochettes les plus originales.
Cependant, l’auteur, Phil Ochs, qui possède environ 100 000 disques, on reprend son souffle et on relit ce chiffre !, a décidé de proposer un parcours pas uniquement chronologique : il s’agit de se ses pochettes préférées. C’est donc dans son monde qu’il nous invite mais pas seulement car ces pochettes, en même temps qu’elles offrent un voyage dans le temps long de 40 années, imposent la vision du monde de l’Amérique triomphante.
D’un strict point de vue visuel, les années 50 offrent des pochettes mettant en valeur l’artiste, le plus souvent par un portrait ou par une photo en pied. A l’époque, le marché américain est bien délimité : les artistes blancs pour les Blancs, les noirs pour les Noirs. Les disques ont des hits parades différents et il n’y pas de passerelles entre les deux marchés. L’arrivée d’Elvis va singulièrement changer la donne.
L’industrie du disque ne tarde pas à prendre la mesure du phénomène même si elle ne le voit pas durer. Le son du rock qui s’impose sur les ondes est capable de fédérer les deux marchés mais il faut prendre des précautions. D’abord, les artistes noirs vont disparaître des pochettes, remplacés par des scènes de la vie courante (des ados devant un juke box, au bal, à l’université, des ados Blancs bien entendu) ou par des dessins.
Le départ d’Elvis à l’armée en 1958, l’industrie propose à ses auditeurs des artistes propres sur eux destinés à rassurer les parents sur la musique rock et à continuer, plus officieusement, à faire tourner la machine à plein régime. Des chanteurs comme Frankie Avalon ou Fabian font alors leur apparition et les pochettes de leurs disques semblent avoir été une mine d’inspiration pour les séries débiles AB Production du type Hélène et les garçons : des gars mignons, bien gentils, qui chantent juste et pas trop fort, qui dansent dans les limites du convenable et qui poursuivent leurs études, etc. … On est loin du déhanché d’Elvis ! D’ailleurs, John Lennon, très inspiré, dira plus tard que le rock est mort le jour où Elvis est parti à l’armée.
Les 60’s ouvrent la voie à la Motown créée en 1959. L’usine à tubes saura plus que n’importe quelle autre entreprise ouvrir le marché Blanc aux artistes noirs grâce à un son maison fait pour résonner à l’identique sur tous les autoradios américains ! Les Noirs reviennent sur les pochettes et des légendes commencent à se construire du calibre de James Brown ou Tina Turner et si le Sud des USA reste malgré tout rétif à toute forme de libération des Noirs, le marché s’étend peu à peu.
A partir de 1966, les pochettes de disques entrent dans une ère moderne qui dure toujours de nos jours d’abord grâce aux excès de drogues qui entrent en fanfare dans le paysage culturel des campus américain. A cette époque, toutes les drogues ne sont pas interdites. Les pochettes deviennent largement imagées, suggérant la musique du disque. La pochette, au même titre que les affiches de concert, devient un art en soi. L’heure est à l’expérimentation et à la recherche introspective de soi.
L’été de l’amour est probablement mort à Altamont lors du concert catastrophe des Stones. L’époque psychédélique s’éteint doucement, la pop culture tente de se relever. Malheureusement, le rêve a vécu et c’est une époque où le Moi a pris le pas sur le Nous des sixties. Le rock est désenchanté, le prog remplace les expériences musicales psychés par des concerts gonflés de perfection métronomique où la virtuosité creuse remplace l’inspiration, fut-elle parfois médiocre.
Le salut viendra d’Angleterre, décidément sauveur du rock, déjà par les Beatles, cette fois par le punk, mouvement certes né à New York mais développé, incarné, popularisé à Londres.
Les pochettes commencent à devenir une forme d’art moderne. Contrairement à la décennie précédente, on ne fait plus une pochette parce qu’on est artiste, on s’adresse à des artistes pour créer des pochettes mûrement réfléchies et pensées par les directeurs artistiques.
Les années 80 et 90 n’offriront pas de solution de rechange, au contraire : on ne change pas une formule qui gagne malgré l’arrivée du grunge au mitan des années 80 et que les 90’s vont consacrer. Les pochettes deviennent le reflet glacé d’une musique désormais mondiale, débitée au kilomètre, diffusée en boucle par MTV et finalement conventionnelle. Les artistes capables d’offrir autre chose sont rares et peu vendeurs.
Pour faire simple, le rock est devenu musical et a cessé d’être une forme d’affirmation de soi. Le rock est devenu une carrière. L’arrivée du CD, en 1982, va porter un rude coup à l’art de la pochette qui perd en visibilité. Comparez deux disques identiques, l’un en vinyle l’autre en CD, vous aurez l’impression de voir deux disques différents. Les nouveaux concepteurs de pochettes sont désormais des photographes de mode, des artistes d’avant-garde, des pros de la retouche numérique, etc. …
Bref, voici un résumé très parlant de l’histoire du monde via des pochettes de disques choisies par un passionné. Bien sûr, le choix est discutable, parcellaire mais un gars qui retrouve des sensations identiques en achetant son premier album et en ayant son premier rencart est forcément un type qui vaut le coup !

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