Désert solitaire
de Edward Abbey

critiqué par Madamedub, le 8 février 2011
(Paris - 39 ans)


La note:  étoiles
un livre écologiste
Edward Abbey découvre les paysages du Grand Ouest américain via les westerns de son enfance. Dès lors ces images d'étendues sauvages et naturelles ne cesseront de le poursuivre. "Désert solitaire" est l'une des grandes œuvres de cet auteur, avec "Le gang de la clef à molette", grand écrivain du natural writing, et inspirateur du mouvement Earth First!
On peut s'étonner qu'Abbey n'aie pas eu le même auditoire en France, où le mouvement de l'écologie est plus récent, et n'a pas connu la même ampleur et le même développement.

L'auteur qui nous occupe ici est muté comme ranger dans le Parc National des Arches, à l'aube des mutations du tourisme industriel.
C'est l'occasion pour lui d'évoquer toute la puissance du désert, intransigeant, brûlant, aride, mais pourtant si fragile: à l'heure des parkings, des circuits touristiques et de la construction par l'homme d'une nature artificielle qu'il voudrait appeler "protégée"....

Car effectivement, la frontière est mince, nous rappelle Abbey, entre la préservation et l'artificialisation, entre l'universalisation comme élan pour ouvrir le parc à tous, et sa destruction en le rendant "inoffensif", ce que précisément la nature n'est pas... Car l'auteur relate sans transiger toute l'âpreté et l'ingratitude du désert; lorsqu'un photographe passionné est retrouvé mort de soif sous un genévrier, ou encore dans ce chapitre particulièrement intéressant où Abbey part à la recherche d'un mystérieux cheval sauvage, qu'il retrouve errant, pareil à une ombre décharnée du sculpteur Giacometti...

Mais c'est précisément cette nature sauvage et sans compassion dont Abbey se fait le défenseur et le narrateur... Sans jamais sombrer dans la misanthropie ou dans l'aigreur, il nous relate ce désert si féroce et pourtant si fragile.
On ne peut que saluer les éditions Gallmeister de rééditer cet ouvrage essentiel.
Sous le soleil du désert 10 étoiles

Il existe des livres que l’on quitte avec regrets. Le livre d’Edward Abbey fait partie de ceux-là. J’ai lu les dernières pages très lentement, espérant faire durer le plaisir le plus longtemps possible dans l’espoir de ne jamais quitter ce désert tant aimé de l’auteur et qu’il a réussi à me faire aimer. Edward Abbey raconte son séjour de six mois comme ranger dans le parc national des Arches en Utah. Il habite seul dans une caravane gouvernementale et tout en accomplissant les tâches inhérentes à son travail, il emploie son temps libre à explorer la région et surtout, à philosopher en contemplant la splendeur du paysage. Il excelle à décrire ce qui l’entoure : le vol d’un oiseau, la naissance d’un orage, les magnifiques couchers de soleil, la course des nuages dans le ciel, la couleur des montagnes et le ciel étoilé. Son amour du désert est sans limite. Il livre aussi un vibrant plaidoyer en faveur de la conservation de cette région sauvage et craint les ravages des aménagements prévus par le gouvernement pour faciliter la venue des touristes. Il n’est pas tendre envers le tourisme industriel, pas tendre et souvent incisif et cruel envers les gens stupides qu’il rencontre tous les jours dans le parc.

Le talent de l’auteur le sert à merveille lorsque vient le temps de décrire ses aventures dans le désert : la recherche d’un vieux cheval redevenu sauvage, la descente du Colorado en compagnie d’un ami, les nombreuses randonnées d’exploration effectuées dans des régions encore inexplorées, la découverte du cadavre d’un photographe amateur, etc. Poète dans l’âme, Edward Abbey écrit magnifiquement et sa prose est parfois d’une stupéfiante beauté.

Un livre magnifique sur le désert à lire absolument si vous planifiez un voyage dans cette belle région américaine. Vous passerez ainsi de l’état de touriste ordinaire à celui de touriste intelligent et l’ombre d’Edward Abbey vous accompagnera tout au long de votre visite. Vous percevrez le désert différemment et peut-être le livre de monsieur Abbey vous fera réfléchir sur l’importance de préserver la nature sauvage pour les générations futures. Ce livre aura ainsi atteint son but.

« Sous le soleil du désert, dans cette clarté dogmatique, les fables de la théologie et les mythes de la philosophie classique se dissolvent comme une brume. L'air est propre, la roche entaille cruellement la chair ; secouez la pierre et vous sentirez l'odeur du silex monter à vos narines, amère et tranchante. Des tourbillons de vent dansent sur les plates étendues salines, une colonne de poussière s'élève en plein jour. Un buisson épineux part en flammes en pleine nuit. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela ne signifie rien. Cela est comme cela est et cela n'a pas besoin de sens. Le désert gît en deçà et surgit au-delà de toute description humaine possible. En quoi il est sublime. »

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 8 juin 2012


"Un chant à la sauvagerie du monde" 8 étoiles

En 1966, Edward Abbey reprend du service en tant que ranger durant la période touristique. Il a pour mission de veiller sur les touristes qui s'aventurent dans l'immense désert qui borde la ville de Moab, dans l'Utah. Venu la première fois il y a dix ans, il mesure tous les changements intervenus durant son absence. La vague du progrès a réussi à investir les derniers espaces sauvages, notamment l'industrie du tourisme qui est parvenue à convaincre les politiciens de la providentielle manne financière promise par l'exploitation des merveilles naturelles du "Arches National Monument". Désormais les touristes peuvent emprunter des routes goudronnées dans leur camping-car ultra moderne jusqu'au pied des merveilles sans avoir à faire le moindre effort, être accueillis dans d'immenses terrains de campings d'où ils pourront jeter un coup d'œil et faire demi-tour aussitôt, laissant derrière eux un panache de gaz d'échappement comme un signal de fumée à la gloire du monde moderne.

Ed Abbey déplore tout ça, le désert se mérite ; il faut être en capacité d'en éprouver toutes les nuances, les contours, mesurer les difficultés liées à la chaleur, endurer les longues marches pour conquérir le droit d'admirer ces paysages grandioses. Il n'est pas de ceux qui tentent de mythifier le désert, au contraire. Il appartient à cette catégorie d'individus qui ont conscience de l'impact négatif de l'activité humaine sur l'environnement. Idéaliste sans aucun doute, asocial probablement, comme lorsqu'il prétend préférer tuer un homme plutôt qu'un animal. Sa foi en la nature l'a sauvé de la folie de la société engoncée dans ses tares civilisatrices.

Un brin anarchiste, il nous met en garde contre les velléités du pouvoir établi qui œuvre pour circonscrire les masses populaires en les concentrant dans les grandes cités urbaines. Quoi de plus facile pour maîtriser la plèbe que de l'avoir toujours à l'œil en employant les technologies de plus en plus perfectionnées, alliées aux vieilles techniques de propagande comme par exemple mener des conflits à l'extérieur afin de masquer les dissensions internes.

Loin de tout dogme, il est parvenu à trouver son paradis, un endroit parfaitement accessible, sans avoir à attendre l'enchantement de la mort. Le paradis sur terre est bien réel, il est constitué d'éléments naturels qui chaque jour s'organisent sans l'aide de l'homme, assurant l'équilibre de toutes choses. La terre est là qui nous porte et nous permet d'y vivre, tout y est harmonieusement organisé dans le seul but de permettre la communion des énergies depuis les oiseaux virevoltants jusqu'aux pierres immobiles, perpétrant ainsi la vie. L'homme a pris le parti d'enrayer les mécanismes naturels pour mieux assouvir ses désirs égoïstes et son fantasme surréaliste de domination. La terre nous rendra, un jour ou l'autre, la monnaie de notre pièce.

Heyrike - Eure - 57 ans - 7 janvier 2012


Nature Writing 7 étoiles

Ce livre offre 2 facettes, complémentaires et contradictoires à la fois, qui font qu'on l'appréciera plus ou moins. A tout le moins, il mérite le détour à plus d'un titre.

D'une part, Edward Abbey nous décrit sa vie de Ranger dans le parc des Arches de l'Utah. Il nous emmène dans les canyons et sur les mesas, à pied ou en bateau et nous fait partager les sons, les odeurs du désert. Il nous parles des animaux et des plantes, de la vie de voyageurs ou d'anciens habitants qui sont passés par là.

En cela, "Désert solitaire" nous délivre une certaine magie, celle d'abord d'un paysage à couper le souffle : produits fantasques de la géologie comme pétrifiés dans l'éternité ; d'instants suspendus et de rencontres hors de toute temporalité ; et de simples moments de bonheur entre amis, ou de campement à la belle étoile ...

Pour vraiment comprendre et profiter des descriptions qui nous sont offertes, je vous suggère de chercher sur le Net des photographies de Glen Canyon, de Dead Horse Point, Havasupai Falls, Rainbow Arch ... ça donne une petite idée de l’insaisissable majesté des lieux.

Et puis, l'autre facette du livre nous dévoile un combat, celui d'Abbey contre son employeur, l'Etat, qui veut à toutes fins laisser libre cours à l'exploitation commerciale des parcs nationaux sous prétexte de permettre à un plus large public de profiter des beautés de l'Amérique. Ces derniers non plus, ils ne les portent pas dans son coeur, ceux qu'ils nomment tour à tour "Rattus urbanus", "mollusques à roulettes" ou encore "Ploucus americanus" ...

Je ne suis pas à même de comprendre totalement la haine qu'il voue au touriste "de base", parce que je n'ai pas vu ce que ses yeux ont admiré, ni constaté comme lui la modification des lieux entre le moment où il écrit son livre (fin des années 60) et ne serait-ce que 10 ans plus tard (Construction du barrage du lac Powell, de routes, de campings, etc ...).

Son combat semble naturel et je suis à même de le comprendre en partie. D'un autre côté, il ne laisse à personne d'autres que lui semble t'il, le loisir de profiter de cette richesse naturelle, comme si lui seul pouvait la comprendre et l'apprécier ...
En attendant, ses prévisions les plus pessimistes se sont produites ... on ne peut donc pas lui jeter la pierre ...

Néanmoins, son approche un peu extrémiste du sujet ne va pas de pair avec le plaisir que j'ai pris à partager avec lui ses promenades et ses descriptions du parc. Je la comprends, mais ne l'ai pas appréciée. Comme s'il avait fallu 2 bouquins finalement, une poésie en premier tome, et un pamphlet en second. Car tout est un peu mélangé, sans harmonie de style, et ça m'a un peu gâché celle des balades et des paysages.

Pour finir, un conseil : accrochez vous ou passez directement au chapitre intitulé "Le cheval à l'oeil de lune" si le début ne vous plait pas.
Encore un autre conseil : j'ai écouté l'album de Jonathan Wilson avec ce livre ; je trouve qu'il l'accompagne parfaitement !

Lejak - Metz - 50 ans - 11 septembre 2011