Une soirée au Caire
de Robert Solé

critiqué par Tanneguy, le 19 février 2011
(Paris - 85 ans)


La note:  étoiles
Nostalgie égyptienne...
Georges Yared, petit-fils de Georges bey Batrakani, le roi du Tarbouche (voir le précédent roman de Robert Solé), a quitté l'Egypte en 1956 et vit maintenant en France mais revient régulièrement dans son pays natal. Il rencontre sa tante Dina, dernière survivante de la tribu, qui s'est établie dans la demeure familiale et maintient autant que possible les traditions et l'histoire.

Il faut sans doute voir Robert Solé lui-même derrière le narrateur qui nous conte les péripéties de son dernier voyage au Caire. On saura plus tard que la mission dont il a été chargé consiste à "liquider" cette propriété restée en indivision depuis la mort du patriarche. Il multiplie les évocations de personnages disparus qui ont vécu un âge d'or avant l'aventure anglo-française de Suez puis une dispersion dramatique dans le monde entier : Liban, France, Suisse, Brésil, Australie...

Il évoque également la vie quotidienne dans le Caire d'aujourd'hui : les coptes, la montée de l'islamisme, la condition des femmes, et même le monde à part des égyptologues. Tout se fait par des touches discrètes par lesquelles le lecteur pénètre, un peu, ce monde envoûtant et peu connu qui semble vouloir aujourd'hui s'affranchir de ses malédictions récentes.

Un livre magnifique que l'on ne lâche pas avant la dernière ligne.
mon égypte à moi c'est toi… 10 étoiles

Charles Batrakani, parti d'Égypte comme (presque) toute la famille quelques années après la crise de Suez de 1956, vient visiter sa tante Dina, restée au pays contre vents et marées dans la vaste demeure familiale d'Héliopolis. Au cours d'une soirée, les souvenirs vont défiler, alimentés par le trouble causé chez le narrateur par cette femme, très belle, qui a chaviré le cœur de plus d'un homme dans le microcosme cairote. Au fil des cahiers rédigés par Michel, l'oncle et parrain, et poursuivis après sa mort par le narrateur lui-même, c'est presque un siècle de l'histoire contemporaine de l'Égypte qui vont défiler sous nos yeux. Dans une langue raffinée, Robert Solé décrit les rapports complexes qui s'établissent entre les membres d'une même diaspora, aux parcours divergents mais toujours habités par le sentiment d'appartenir à une même famille, au-delà des barrières de la langue et des inimitiés qui se tissent au fil du temps. Une fine analyse psychologique, une belle leçon d'humanité, et un art de raconter qui nous rend attachants même les personnages les plus secondaires. Écrit juste avant la révolution du 25 janvier, " Une soirée au Caire " nous éclaire sur une Égypte loin, très loin des clichés touristiques, un creuset culturel unique au monde…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 23 juin 2013


Bonnes soirées !!! 9 étoiles

C’est un magnifique roman qui nous permet de nous incruster à certaines soirées cairotes sans nous faire voir. C’est aussi et surtout l’histoire d’une famille avec Dina qui maintient la vie sociale dans la villa luxueuse de son beau-père Georges bey Batrakani.

Ces soirées sont l’occasion de voir ce qu’est en train de devenir l’Egypte, un pays qui change beaucoup et vite. Elle était une terre ouverte, une zone humaine d’échange entre grandes religions, entre peuples différents, entre cultures parfois éloignées. Charles, le héros narrateur du roman, revient là, veut comprendre, savoir… Est-ce une nostalgie, une façon d’alimenter une mélancolie, un exercice masochiste ? Est-ce au contraire une façon de traiter rationnellement son attachement à un pays en prouvant par a+b que le paradis est définitivement perdu et qu’il n’a plus rien à faire là sur les bords du Nil ?

Alors on en vient à se demander ce que pense réellement Robert Solé de cette Egypte d’aujourd’hui… Nous n’étions pas encore au moment des révoltes et révolutions populaires. Pourtant Robert Solé laisse passer des messages clairs sur ce pays qu’il aime toujours. Oui, Chrétiens et Musulmans ne vivent plus en paix comme avant. Mais était-ce la paix, jadis, ou l’exploitation des uns par les autres ? Non, c’était une période d’échanges, de relations apaisées, de contacts permanents, de respects mutuels… Oui, il y croit Robert Solé à cette période non pas d’or, car il est très réaliste et pragmatique, mais à ce temps qui prolongeait, encore un instant, une période multiculturelle. Oui, la France n’est pas le seul pays à avoir tenté cette « multiculture » et l’Egypte avait essayé avant elle. On peut dire qu’elle avait réussi et que lors de ces dîners et soirées du Caire, il y avait bien une élite culturelle qui vivait, échangeait et partageait sans aucun complexe ni a priori…

Je ne veux pas dire que les romans sont toujours le reflet de la vie réelle, mais reconnaissons que les romans de Robert Solé poussent le lecteur à mieux comprendre un pays complexe, très important pour l’avenir de l’Afrique et du Moyen-Orient, car placé au carrefour des échanges commerciaux et culturels. Il est temps de lire ou relire Le Tarbouche, Le Sémaphore d’Alexandrie, La Mamelouka, Mazag ou Une soirée au Caire… Robert Solé est un écrivain à la plume agréable et plaisante, proposant des romans dépaysants et peuplés de personnages forts et truculents. N’hésitez pas à le découvrir, pour ceux qui n’aiment pas trop les romans avec son excellent ouvrage sur la campagne en Egypte, Bonaparte à la conquête de l’Egypte, ou celui sur les liens fantasmatiques entre Egypte et France, L’Egypte, passion française.

Shelton - Chalon-sur-Saône - 68 ans - 29 octobre 2011


Entre exil et oasis 10 étoiles

Ils se croyaient chez eux en Egypte, un pays où ils s'étaient installés depuis des siècles et qu'ils avaient contribuer à enrichir, à ouvrir sur le reste du monde. A l'avènement de Nasser, leur univers a commencé à se dissoudre dans un nationalisme arabo-musulman à la recherche de boucs émissaires. La nationalisation du canal de Suez et la "triple et lâche" agression tripartite (guerre de Suez) a conduit un grand nombre d'entre eux à un départ "sans tarbouche ni trompette".
Certains sont restés. Ils sont nombreux à faire de courts séjours dans un pays qui évolue sans eux.
Cette Soirée au Caire va regrouper un narrateur au caractère très proche de l'auteur, chez l'une de ses tantes. Et le passé resurgit, se mêle au présent et entraîne les invités dans un élan d'émotions et de références cosmopolites.
Robert Solé offre la superbe évocation de l'Egypte de la seconde moitié du XXe siècle : une société cairote, francophone et francophile, où les parvenus des années Moubarak côtoient des archéologues et les derniers représentants d'une société multi-culturelle où les syro-levantins, les grecs catholiques, les maronites et autres formaient une petit monde à la langue savoureuse, à la culture classique et au mode de vie assez colonial.
Ce qui est décrit ici ne devrait pas connaître d'immenses bouleversements après la révolution de janvier 2011. Si les barbus restent calmes, cette soirée n'est sans doute pas la dernière, même si le monde décrit est en train de disparaître lentement.

Spiderman - - 62 ans - 3 avril 2011