Ouvrière d'usine
de Sylviane Rosière

critiqué par Aubécarlate, le 6 avril 2011
( - 42 ans)


La note:  étoiles
L(')arme de l(')Arve
Sylviane Rosière a écrit son premier roman alors qu’elle était au lycée (elle fut invitée à ce titre par B.Pivot), son second juste avant la retraite. Entre temps elle a vécu en Haute-Savoie, dans la vallée de l’Arve, entre Genève et le Mont Blanc, haut lieu du décolletage ou l’art de produire des pièces industrielles à partir de barres métalliques. Il y a là-bas de nombreuses entreprises de taille variées, mais toute usent d’un procédé similaire qui, vous imaginez, génère du bruit, des particules toxiques, et, par l’organisation de l’usine, divers troubles physiques et psychiques.

C’est bien en qualité d’ouvrière dans une telle usine que Sylviane Rosière a travaillé de nombreuses années. Elle a tenu, sur la fin, un journal de bord particulièrement captivant. La vie de l’usine, ce monde à part entière, transparaît de manière réaliste derrière les considérations subjectives et les réflexions passionnantes de l’ouvrière. La triste réalité de l’organisation du travail, de l’hygiène et sécurité, de la hiérarchie et sous-hiérarchies suffisent à soulever le cœur. S’ajoute à cela les conditions sociales, l’exploitation de tous les travailleurs mais plus particulièrement des moins forts, des moins diplômés, des étrangers…
Les contraintes économiques pèsent sur tous les acteurs pour leur plus grande souffrance.

Plus profondément encore, par les discours entre collègues, leurs considérations « politiques », les comportements des jeunes, c’est le caractère dérangeant et déprimant de l’ouvrage qui perce à travers le ton humoristique et enlevé de l’ouvrage. En effet, si le travail à l’usine est une mutilation en soi, l’auteur expose aussi l’acceptation résignée, la canalisation de la colère vers la xénophobie, les comportements à risque et délinquants des uns et des autres. En un mot, la division et la dépolitisation que renforce le système de production. Donc pour tous, l’incapacité à penser et à s’engager dans une lutte collective organisée. En résulte le gaspillage des forces dans des aberrations qui fantasment une fuite rien qu’individuelle et improbable en dehors de cette condition.
Un ouvrage court, nerveux. Un témoignage sincère, une œuvre indispensable pour remettre les pieds sur le sol des damnés de la terre, bien plus nombreux qu’on voudrait le croire, et pour comprendre un e tranche de l'esprit du temps.