La colonne Victor Hugo, son histoire et son secret
de Claude van Hoorebeck

critiqué par Micharlemagne, le 10 avril 2011
(Bruxelles - 73 ans)


La note:  étoiles
Du dénuement au dénouement
Le promeneur qui, venant de Genappe, se dirige vers Waterloo, traverse un hameau de quelques maisons baptisé « La Maison du Roi ». Qu’il ne se fasse pas d’illusion : cette appellation ne célèbre aucune visite royale ; elle se contente de rappeler le nom d’un ancien propriétaire de la grosse ferme qui est à gauche qui s’appelait « Le Roy » ou « De Coninck ». Un peu plus loin, sur sa gauche, son regard est attiré par le beau monument, dû au ciseau de Gérôme et dédié « aux derniers Combattants de la Grande Armée ». Sur sa droite, s’élève une colonne d’une vingtaine de mètres, visible de partout. A quel souverain, à quel général célèbre est donc dédié ce monument ?
Le visiteur, s’approchant, découvre bientôt sur le socle de la colonne une plaque en bronze, patinée par le temps, où il reconnaît – quoiqu’avec un peu d’étonnement, il n’est pas de la région – le profil renfrogné mais universellement célèbre de Victor Hugo… Mû par la curiosité, notre promeneur entreprend alors – non sans quelque difficulté - de faire le tour de cette colonne et, sur la gauche du socle, découvre une autre plaque où sont inscrits ces mots :
« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons
La pâle mort mêlait les sombres bataillons. »
Et, comme il a des lettres, notre promeneur se rappelle instantanément les quatre premiers vers du deuxième poème de « L’Expiation », extrait des « Châtiments » du génial Victor. Très vite lui viennent à l’esprit les chapitres du livre premier – justement intitulé « Waterloo » - de la deuxième partie (Cosette) du grand roman « Les Misérables ». De l’autre côté, une plaque jumelle à celle-ci porte ces mots extraits du discours de Victor Hugo au Congrès de la Paix, le 21 août 1849 (la plaque porte erronément la date du 22 août) :
« Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées »
Enfin, à l’arrière, une dernière inscription vient l’éclairer :
« Ce monument parachevé par le Comité Victor Hugo A.S.B.L. Bruxelles a été inauguré le 24 juin 1956. Premier promoteur Hector Fleischmann († 1914) Manuel Ley & Jean Verhoeven, Architectes. »
Et, se rappelant que Victor Hugo a vécu non loin du champ de bataille à Mont-Saint-Jean durant les mois de mai et juin 1861 et qu’il dit y avoir mis le point final aux « Misérables », il ne s’étonne plus, s’estime renseigné et poursuit son chemin vers la Belle-Alliance.
Hé bien, qu’il se détrompe ! Il n’en sait pas plus que n’importe quel guide touristique bon marché…
Admettons qu’il faut une solide dose de curiosité pour aller un peu plus loin dans la collecte de renseignements à propos de ce monument tellement familier aux gens du coin qu’on n’imagine pas l’horizon du champ de bataille sans cette colonne. Cette dose de curiosité a animé l’infatigable chercheur qu’est Claude Van Hoorebeeck. Cet homme, profondément attaché au terroir qui l’abrite, ému par l’état lamentable dans lequel il a vu ce monument, le seul civil sur le champ de bataille, s’est demandé pourquoi il semblait à l’abandon. De fil en aiguille, et d’étonnement en étonnement, il s’est attaché à en retracer l’histoire.
Et c’est bien d’étonnement en étonnement que nous allons en parcourant son ouvrage. Nous allons d’abord à la rencontre de l’étonnant personnage qu’est Hector Fleischmann qui, avec son ami peintre, Maurice Dubois, eut l’idée de célébrer le cinquantième anniversaire du séjour de Victor Hugo en consacrant un monument « aux artistes de la plume et du pinceau qui chantèrent Waterloo ». Nous apprenons pourquoi, Hector Fleischmann mort en 1914 à l’âge de 31 ans, le monument resta inachevé. Il devait en effet être sommé par un « coq chantant » en bronze qui ne fut jamais posé. Ayant déniché les plans des architectes, Van Hoorebeeck a été stupéfait de constater que toutes les cotes comportent des nombres à deux ou trois décimales, ce qui rend la tâche des constructeurs pratiquement impossible. Il s’est longtemps interrogé avant d’avoir une idée de génie et de se rappeler que les bâtisseurs de cathédrale utilisaient pour mesure la coudée de 52,36 cm. Mais pourquoi Ley et Verhoeven ont-ils utilisé pour glorifier « les artistes de la plume et du pinceau » des unités de mesures aussi anciennes ? Ne comptez pas sur moi pour vous donner la clé du mystère…
Après ces révélations (d)étonnantes, Claude Van Hoorebeeck nous emmène visiter les deux autres monuments dus à la volonté d’Hector Fleischmann et qui ne sont, eux non plus, pas dénués de mystère : l’ossuaire du verger du Caillou et le monument français du Goumont.
Après quoi, l’auteur nous conte les aventures de cette colonne dont plus personne ne se souciait et que les administrations se rejetaient comme une patate chaude… Et, ici encore, nous allons d’étonnement en étonnement… Que le lecteur se rassure : la colonne est sauvée, grâce à son rachat par la province de Brabant wallon après des péripéties… étonnantes que Van Hoorebeeck nous conte par le menu. Quoique la modestie de l’auteur l’empêche de nous dire qu’il a été, pour une grande part, l’artisan de ce sauvetage « express », nous ne pouvons que lui rendre hommage.
Le livre est préfacé par le baron de Méneval, descendant du secrétaire de Napoléon de 1802 à 1813, et introduit par M. Pierre Boucher, président du Collège provincial du Brabant wallon.
Un livre à lire (sans fatigue) par tous les passionnés de cette tragique journée du 18 juin 1815, ses détails et ses conséquences, mais aussi pour tous les amoureux de cette admirable région…