Le monument
de Claude Duneton

critiqué par Yeaker, le 13 avril 2011
(Blace (69) - 51 ans)


La note:  étoiles
Des noms, ce n’était que des noms sur une pierre
Ce n’était que des noms, mais la plume de Duneton leur a redonné une existence. Comme moi sans doute vous regardez ces monuments aux morts n’y voyant qu’une liste de noms que l’on égrène le 11 novembre accompagné par certains d’un « mort pour la France ». Parfois en voyage on lit cette liste en s’interrogeant sur les patronymes du coin, cela ne va jamais au-delà.

Duneton a lui eu un père qui a fait cette guerre et qui en est revenu. Il lui a raconté la réalité de cette guerre. Duneton a vu son père s’emporter contre les officiels le 11 novembre. L’auteur, revenu dans le village de ses parents, a choisi d’enquêter sur le sort des 27 noms figurant sur la stèle de celui-ci.

C'est en lisant ce livre que j’ai réalisé que ces noms n’étaient pas uniquement des noms de soldats tués, mais qu’avant d’être soldats, ces jeunes gens appelés en 1914, puis d'autres ensuite, étaient des copains d’école qu’ils ont grandi entre bals et travaux des champs, se jalousant une galante et s’aidant pour les récoltes. Ensuite vient l’enrôlement dans la joie de mettre une raclée à l’adversaire et puis la réalité de la guerre et déjà les premiers morts pour la France et le village. L’avancée des allemands sur la Marne et cette presque victoire stoppée par l'épisode des taxis. Les livres d’histoires parlent d’héroïsme alors que Duneton pense aux hommes qui auraient pu être épargnés par la fin de la guerre dès 1914. La guerre de position qui s’installe, l’usage des gaz ensuite toujours plus efficaces. L’enfer est encore à venir 1916, Verdun et 1917 le Chemin des Dames, la boue partout et des cadavres en décomposition dans chaque trou.
Alors oui le livre est un peu confus, on passe d’un nom à l’autre, d’une époque à l’autre au rythme des anecdotes et des digressions de l'auteur mais ce n’est pas un précis d’histoire donnant des faits dans un ordre linéaire et chronologique. C’est le récit, par un homme documenté, de la vie et de la mort d’hommes comme s’il était chacun d’eux.

« C’est inimaginable ce que les gens ont souffert de cette guerre là que l’on nomme « grande » au prix de la douleur. Je suis un témoin tardif ; de ma fenêtre je creuse « les voies profondes de la mémoire » et à force de répéter leurs noms les vieux enfuis reviennent, ils arrivent en silence au portail de ma cour…ça c’est passé là, sous ma fenêtre, juste après le mur de ma cour… mais je suis sûr que sous le goudron il y a les larmes de ma grand-mère Julia, celles d’Auguste qui pleura Joseph avec son cœur tendre… je les vois tous, Clavalou le maire et la Léontine Battut que j’ai vue vieille, cassée d’allure, un peu sorcière triste… » P212 et P213

Les mots qu’utilise Duneton sont beaux pleins d’émotion pour décrire l’innommable, les tranchées et la douleur des mères. On la sent la boue comme si c’était sur nous qu’elle s’accrochait. Que tout ceux qui ont encore l’âme d’un belliciste lisent ce livre.

On pourra toujours regretter le manque de repères sur les 500 pages du livre, les noms et les lieux sont livrés sans renvoi. Les chapitres existent mais sans titre et semblent disposés de manière arbitraire.
Certains trouveront peut-être également une certaine lassitude, il est vrai que les vies des poilus se ressemblent. Pour ce qui est de la mort, ils ont un peu plus de choix entre quelques balles de mitrailleuse, une marmite, un éclat d’obus ou le gaz.

« Adieu la vie, adieu l’Amour, adieu toutes les femmes, c’est à Craonne sur le plateau qu’on doit laisser sa peau »(chanson de poilu)

Bonne lecture