La présence de Pierre Jourde
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Frissons
Frissons.
S’il ne fallait retenir qu’un mot pour qualifier ce court roman, ce serait celui-là.
Le sentiment de peur y est décortiqué à l’extrême, dans une fantasmagorie détaillée de manière analytique, où le moindre objet, mu dans une dimension occulte qui échappe totalement à la raison, se dévoile sous un jour inconnu et inquiétant.
Oui ce livre provoque de légers tressaillements de la chair et de petits soubresauts pilaires, que l’on doit à un souci du détail exemplaire et une intrusion intense et fine dans les méandres de la frayeur solitaire et nocturne.
Il raconte mais surtout tente d’expliciter ces fameuses terreurs inexpliquées (et inexplicables) ressenties quand on est seul la nuit, ces trouilles irraisonnées et paralysantes qui tétanisent le corps et glacent le sang, le douloureux cercle vicieux de la « peur engendrée par la peur ».
Le narrateur, qui semble être l’auteur lui-même, les ressent à nouveau, à l’âge adulte, alors qu’il se trouve dans une maison et un quartier inconnus mais aucunement effrayants a priori.
Alors il se souvient : des angoisses enfantines lorsque les portes des placards se faisaient menaçantes à cause des clowns malfaisants hébergés derrière, prêts à bondir à la moindre faute d’inattention ; de la maison de campagne, en Auvergne, où il dormait souvent seul à l’adolescence, à ces « excès de présence » des morts, dûs à tout un fatras d’objets encore bien vivants, et sans doute aussi à l’errance de l’âme d’un aïeul défunt.
L’angoisse bien connue refait surface « […] elle n’a pas changé, elle me relie immédiatement au monde perdu de l’enfance et de l’adolescence ».
Alors il essaie de comprendre, s’interroge sur « l’inhumain », ce monde parallèle sur lequel on n’a aucune prise, si ce n’est celle de la conscience qu’il existe, il se livre à une introspection minutieuse, réfléchit aux raisons fondamentales qui le contraignent à refuser de manière catégorique toute fuite et perte de contrôle dans le sommeil, et puis bien évidemment il ressasse inlassablement ces sentiments de panique qui le hantent pour essayer de les chasser en les dominant.
Trouve quelques réponses qui ne règlent finalement rien.
Car que savons-nous, au bout du compte et de la nuit, de ce que nous ne maîtrisons pas ?
« Pendant le jour, on croit qu’il y a des hommes sous les visages […]. Pendant la nuit surgissent les émois impersonnels, les douleurs solitaires, les affects désaffectés, comme si des plaies s’ouvraient sur les murs […]. Il nous faut maintenir fermée la porte du fond.
Mais la nuit, parfois, nous n’y pouvons rien, elle s’ouvre. »
Les éditions
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La présence de Pierre Jourde
de Jourde, Pierre
les Allusifs
ISBN : 9782923682198 ; 3,48 € ; 03/03/2011 ; 86 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (5)
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Ceci n’est pas un roman
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 9 octobre 2014
Dans ce court opuscule (86 pages) il met à nu ses terreurs … j’allais dire enfantines, mais non, nocturnes plutôt. Les terreurs que nous nous infligeons probablement tous – en tout cas, moi, oui – associées à la solitude et le débarquement de la nuit.
« La présence », c’est celle qu’on ressent, physiquement, c’est celle qui se cristallise sitôt qu’on s’est mis à imaginer … une chose, un être, une présence quoi, alors que la solitude, souvent au sein d’une obscurité ambiante, nous pèse. Pierre Jourde disserte sur tout ceci en s’appuyant sur des circonstances, des situations par lui vécues et qui, personnellement, ont résonné particulièrement en moi. Ainsi je ne suis pas le seul … ?
C’est fait en une très belle langue mais ça m’a paru un peu formel quand même. Plus un essai qu’une œuvre littéraire à proprement parler.
Il est intéressant de constater que les expériences relatées ne concernent pas que la prime enfance puisque Pierre Jourde nous confie que ça peut encore lui arriver en certaines circonstances. Mais que c’est littéralement une construction de l’esprit qui nous amène à « donner corps » à une présence, angoissante et tétanisante. Alors ? Construction de l’esprit ou convocation d’un esprit que notre esprit rationnel repousse de tout son rationalisme ?
« Face aux deux lits superposés, il y avait un placard. Sans doute ne s’agissait-il que d’un placard bien banal. Je ne me souviens pas de ce qu’il contenait. Il est resté pour moi le réservoir de l’ombre. La maison a dû bien changer depuis, le placard a sans doute disparu, mais son ombre, elle, est encore là, patiente, qui attend tout au fond du souvenir.
La nuit, une fois la lumière fermée, la porte s’entrebâillait, et des clowns en sortaient.
Je les vois encore passer leurs visages grimaçants par l’ouverture. Je ne sais plus s’il s’agit d’un cauchemar qui s’est imposé comme un souvenir, ou d’un fantasme que je ne parvenais pas à maîtriser, et qui m’obligeait, en dépit de ma terreur, et sans doute par goût secret pour elle, à faire naître des clowns dans ce réduit. »
La peur
Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 45 ans) - 15 septembre 2014
Ce texte permet de combiner évocations de jeunesse et réflexions sur la peur. Il n'est donc pas utile de chercher un récit avec de nombreux rebondissements, vous seriez déçus. Le texte est plus intimiste, s'attache à des détails, à des atmosphères. J'ai particulièrement apprécié les passages où l'auteur décrit des objets du quotidien, ancrés dans la banalité et qui pourtant, la nuit venue, deviennent susceptibles de provoquer l'angoisse.
Pierre Jourde livre un texte très bien écrit. Il ne tombe pas dans les clichés et parvient par sa prose à donner l'impression que tout ce qui est décrit est vu ou bien ressenti par le lecteur, tant les mots sont bien trouvés. Malgré ces nettes qualités, j'ai eu tendance à décrocher de temps à autre ...
Parcours d’impressions
Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 21 avril 2014
Terreurs nocturnes
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 19 janvier 2014
"Je mesure, à l'anxiété qui s'insinue au plus intime de ma chair, et qui n'est, me semble-t-il dans mon malaise, que l'instrument de pénétration de cette conscience en moi, à quel point je n'ai pas à être. Je suis dans un monde qui me dénie, et je dois y trouver ma place."
Une écriture magnifique, fluide, recherchée, avec l'impression quelquefois d'avoir une magnifique "nature morte" sous les yeux, dans des tons d'automne.
Mais aussi un peu hermétique quelquefois.
"L'homme est la seule créature que séduit ce qui la nie. Les clowns qui effrayent les nuits de mon enfance étaient la figure anthropomorphe de l'inhumain."
Un réel talent d'écrivain mais un thème qui ne me convient beaucoup. Et j'avoue que je n'aurais pas fini ce livre sans les excellentes critiques déjà postées.
J'ai été, par contre, touchée par les dernières pages qui m'ont permis de mieux comprendre ce pan autobiographique de la vie de l'auteur.
"Je n'ai pas trouvé la clé de la cabine de bois."
Moi, je n'ai trouvé celle du livre qu'à la fin...
La peur du noir
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 1 août 2011
Et, avec lui aussi, J’ai parcouru la forêt, senti ses odeurs, ressenti son humidité, éprouvé la souplesse du sol sous le pas et palpé sa sensualité à fleur d’écorce.
Je me souviens aussi de ces angoisses d’enfant quand le noir étend son royaume sur l’ensemble du monde, qu’il noie tout sous son manteau opaque, que les fantômes sortent des placards et qu’ils se déguisent, en clowns souvent, pour prendre possession des lieux qui furent les leurs. Car, la nuit est le royaume du passé, le temps qu’on abandonne à ceux qui ne sont plus et qu’on a relégués dans la chambre du fond, cette chambre du fond qu’il y a dans toutes les maisons de campagne et que nous avons transposée dans nos têtes, dans notre subconscient qui héberge tous ces fantômes et fantasmes qui s’avancent déguisés.
Ces maisons ne sont pas d’innocentes constructions, elles sont le domaine de ceux qui y ont vécu depuis plusieurs générations, celle du grand-père tutélaire qui n’a jamais voulu reconnaître l’enfant qui est devenu le père de l’auteur, qui a abandonné les lieux pour monter à la capitale et y faire fortune. Tout le village se souvient, ici, les gens sont soupçonneux, méfiants, ils voient tout et savent tout, ce tout qui se transmet de bouche à oreille et qui constitue l’histoire du hameau, sa mythologie, sa légende.
Et lui, il transporte cette angoisse partout où il dort seul, il a peur de l’inconnu qui se cache derrière de banals objets, il a peur de ce qu’il ne comprend pas. Il a au fond de lui, ce gène qu’avaient déjà nos ancêtres dans leur caverne, qui les avertissait du danger en leur inculquant la peur de ce qu’ils ne connaissaient pas. Peur salvatrice qu’il retrouve au fond de la mine d’antimoine qui comme la caverne ancestrale abrite les peurs et protège de l’inconnu.
Tout cela dans un très beau texte qui ramène l’homme au niveau de l’être primitif qu’il est encore dans son inconscient, qui réduit le temps qui sépare les êtres, qui n’emmène pas les absents mais, au contraire, les ramène la nuit quand tout est noir, ce temps du jour et de la nuit qui oblige l’homme à vivre dans un dédoublement du moi réel et du moi rêvé. Il faut bien avoir une conscience suffisante pour avoir conscience de cette inconscience qui hante nos neurones pour qu’on n’oublie pas notre passé et d’où nous venons, de notre caverne, de notre maison, de notre terre, de notre sol et que nous sommes le fruit d’une histoire, d’une légende, d’une mythologie que personne n’écrira jamais.
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