Tolstoï, le pas de l'ogre
de Christiane Rancé

critiqué par Dirlandaise, le 8 mai 2011
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Nitchévo...
De toutes les biographies que j’ai lues de Tolstoï, c’est celle-ci que je préfère. Il m’en reste quelques-unes à lire dont entre autres celle de monsieur Troyat donc cet avis peut différer dans l’avenir mais il demeure que ce livre m’a enchantée par son écriture élégante, la simplicité du style et surtout, la recherche consciencieuse sur l’évolution de la pensée religieuse de Tolstoï et sur ses angoisses profondes. Tout en suivant un ordre chronologique de la vie du grand écrivain russe, madame Rancé n’insiste pas sur les détails de sa vie intime mais accorde une large place à son psychisme, sa quête incessante du sens de la vie, ses angoisses mystiques, son ardent désir de venir en aide aux déshérités sans toutefois être capable de mettre entièrement en pratique ce qu’il prêche. En effet, Tolstoï prônait le dépouillement et la distribution des biens aux miséreux pour ensuite partir sur les routes répandre la bonne nouvelle. Discours qu’il a tenu toute sa vie sans jamais le mettre en application lui-même ou si peu.

Christiane Rancé nous raconte donc la vie du grand homme, son enfance, sa jeunesse, son entrée dans l’armée, son mariage et sa vie conjugale, l’écriture de « Guerre et paix », ses premières crises d’angoisse, son pénible désœuvrement quand il n’a rien à écrire et qu’il essaie de combler par l’étude du grec, ce qu’il réussit en quelques mois seulement. Ensuite, c’est l’écriture du roman « Anna Karénine », son rejet des dogmes de l’Église tels que la Résurrection, la Sainte Trinité et l’Immaculée Conception. Viennent ensuite son déménagement à Moscou, la découverte de la misère urbaine, sa rencontre avec Vladimir Tchertkov, l’écriture de « La sonate à Kreutzer » qui fait scandale, la famine de 1891 qui le laisse complètement anéanti, l’écriture de « Résurrection » qui lui vaut d’être excommunié, la maladie, l’écriture de « Hadji Mourat », la fuite et finalement la mort.

Ce résumé constitue le canevas qui supporte tout le livre, les grandes lignes sur lesquelles le texte de madame Rancé s’appuie. Son récit est fort bien équilibré entre faits, événements, rencontres, histoire, combat social et politique, délires mystiques, doutes et incertitudes qui assaillent l’esprit et la pensée de Tolstoï durant toute sa longue vie. Le portrait qui nous en est fait n’est cependant pas entièrement austère et grave. Nous découvrons un Tolstoï qui aime les enfants, la bicyclette et la vie à la campagne. Tout en restant attentif aux événements sociaux et politiques qui secouent la Russie, il profite de sa famille et de son domaine. Sa femme Sophie est également bien présente de même que ses amis écrivains Maxime Gorki et Anton Tchekhov.

L’auteure s’appuie sur les journaux de Tolstoï et aussi sur celui de sa femme Sophie pour éclairer le lecteur sur la pensée de l’écrivain et les difficultés conjugales que le couple a subis pendant ces longues années de vie commune. La relation amour/haine qui soudait le couple Tolstoï apparaît dans toute sa vérité et cela est parfois navrant à lire.

Le livre se lit comme un roman et je dois dire qu’il m’a passionnée malgré le fait que je connaissais déjà la vie de l’écrivain mais chaque biographie apporte des faits nouveaux, des pensées inédites et quelques facettes nouvelles de la personnalité complexe et gigantesque du grand homme qu’était Léon Tolstoï.

« J’ai souvent pensé que c’était un homme qui dans le tréfonds de son âme est obstinément indifférent aux gens ; il est tellement au-dessus d’eux et au-delà d’eux qu’ils lui paraissent comme des moucherons, et qu’il juge leurs activités ridicules et misérables. Il est allé trop loin d’eux dans quelque désert et là, solitaire, avec le plus grand effort de toute la force de son esprit, il réfléchit au plus essentiel, à la mort. » Maxime Gorki