L'affaire de l'esclave Furcy de Mohammed Aïssaoui

L'affaire de l'esclave Furcy de Mohammed Aïssaoui

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Ddh, le 15 mai 2011 (Mouscron, Inscrit le 16 octobre 2005, 83 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 007ème position).
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l'esclavagisme révélé

Furcy est un esclave qui a lutté pour son émancipation. Juridiquement esclave ? Cela s’est passé durant la première moitié du XIXème siècle.
Mohammed Aïssaoui, originaire d’Algérie, est journaliste au Figaro littéraire. Avec L’affaire de l’esclave Murcy, Mohammed Aïssaoui a déjà obtenu en 2010 le Prix Renaudot Essai et le Prix RFO qui couronne un ouvrage en langue française ayant un lien avec l’Outre-Mer. Il est un des lauréats du 24ème festival du 1er roman de Chambéry.
En 2005, les archives concernant l’affaire de l’esclave Furcy étaient mises en vente aux enchères à l’hôtel Drouot. Au début du XIXème siècle, Furcy, esclave de son état à l’île Bourbon, ose réclamer sa liberté et ce, au tribunal. Sa défense ? des documents qui attestent que sa mère a été affranchie. Et c’est le début d’une longue lutte de près de vingt-sept ans pour faire valoir ses droits. L’île Bourbon ? Actuellement, elle s’appelle l’île de la Réunion. L’île de France où sera déraciné Furcy ? Actuellement, l’île Maurice.
Dans cet ouvrage, Mohammed Aïssaoui livre au lecteur l’émotion qu’il ressent au contact de tous ces documents qui relatent le cauchemar de la condition d’esclave, cet état indigne qui n’aurait jamais dû exister. Il souligne aussi les efforts de tous ceux qui ont défendu la cause de Furcy. Il nous donne une belle leçon d’humanité : « Ce qui fait avancer le monde, c’est l’altéralité. Tous ces hommes qui ont agi pour d’autres, ce peut bien être un fil conducteur de l’Histoire.
Mohammed Aïssaoui s’investit dans cet ouvrage. Il fait revivre la lutte de Furcy pour son bon droit, toujours dans la dignité. Au-delà de ce cas particulier, il fait découvrir au lecteur ce que représentent le colonialisme et la société au XIXème dans ces contrées françaises d’Outre-Mer.

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Le long procès d'un esclave contre son maître qui lui a caché qu'il était né homme libre - Un témoignage essentiel sur une époque sombre et oubliée de l'histoire de France

10 étoiles

Critique de Eric Eliès (, Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans) - 29 mars 2015

« L’affaire de l’esclave Furcy » est un livre essentiel et singulier, qui évoque le procès intenté contre son maître par un esclave originaire des Indes, qui découvre à la mort de sa mère que son maître lui avait intentionnellement caché qu’il était né homme libre. L’instruction du dossier, depuis le jugement initial prononcé à l’île de La Réunion jusqu’au verdict final rendu par la Cour royale de cassation, durera plus de 20 ans et n’aboutira que grâce à l’implication d’hommes de bonne volonté qui se consacreront à la défense des droits de Furcy (procureurs, avocats, hommes d’église, anonymes, etc.) L’auteur, qui n’est pas un historien mais journaliste, s’efforce, au-delà de la difficile reconstruction des faits qui s’étendent sur la durée de deux vies (celles de Furcy et de sa mère), de ressusciter la présence humaine des différents protagonistes et de rendre hommage, comme pour éviter que la mémoire collective ne les oublie, aux héros méconnus (l’auteur n’hésite pas à employer le terme de « Juste ») qui se sont battus pour la dignité bafouée d’hommes maintenus dans l’esclavage et ont parfois payé un prix élevé en s’attirant les foudres de leur hiérarchie ou la vindicte des notables qui tiraient profit de la situation établie. Le grand mérite de l’auteur, qui écrit avec passion mais sans grandiloquence et n’hésite pas à faire part de ses sentiments personnels (je ne suis donc pas d'accord avec la critique de Bobo : ce n'est pas du tout "les faits, rien que les faits"), est de parvenir à éviter tout manichéisme grossier et à ne pas verser dans une condamnation morale simpliste qui nierait l’extraordinaire complexité des lois et des transformations sociales de la première moitié du 19ème siècle. Tout au long de l’ouvrage, dont l'intensité poignante m'a paru encore plus forte que celle d'un film comme "12 years a slave", l’auteur (M. Mohamed Aïssaoui) démontre des qualités humaines et intellectuelles qui donnent envie de ne pas désespérer des journalistes…

En dévoilant les enjeux et les mécanismes de ce procès, ce livre dévoile un pan sombre et très complexe de l’Histoire de France, globalement mal connu car très peu documenté, notamment en témoignages de première main des victimes de l’esclavage. Cette rareté donne sa valeur aux papiers du procès Furcy, vendus aux enchères à Drouot dans un lot qui a pourtant suscité très peu d’intérêt. Il révèle une France totalement schizophrène, pétrie de grandes intentions humanistes inspirées des principes de la Révolution mais également très soucieuse de préserver les intérêts économiques de ses colonies, pour lesquelles l’esclavage est un enjeu vital. Les grands propriétaires de La Réunion, échaudés par les précédents de Saint-Domingue, ont bénéficié du rétablissement par Bonaparte de l’esclavage aboli par la Révolution et se méfient fortement de l’administration royale et des fonctionnaires venus de métropole, qu’ils exècrent. En fait, la véritable abolition définitive de l’esclavage résultera autant de décisions juridiques fondées sur les droits de l’Homme que des progrès technologiques qui permettront de remplacer progressivement la force du muscle par celle de la vapeur…

L’auteur avoue qu’il a éprouvé de très grandes difficultés à rassembler les éléments biographiques de Furcy et de sa famille ; autant l’histoire des grandes familles foncières est aisée à retracer, autant les archives sur les esclaves, considérés comme des biens mobiliers (l’auteur a d’ailleurs recopié quelques petites annonces de vente d’esclaves parues dans la presse quotidienne de l’île), sont minces et lacunaires. Il est néanmoins parvenu, par recoupements dans les dossiers de préparation des procès, à distinguer les grandes dates de la vie de Furcy et à se représenter son caractère. Intelligent et travailleur, Furcy fut tout d’abord un esclave très apprécié de son maître, riche propriétaire terrien qui avait confiance en lui et en avait fait son maître d’hôtel et son jardinier. Il était le fils de Madeleine, esclave indienne qui fut achetée à Chandernagor en 1768, alors qu'elle était encore fillette, par une religieuse française (Melle Dispense). Cette religieuse l’emmène en France, à Lorient, puis, trois années plus tard, fait à nouveau le périple vers les Indes avec l'intention de l'affranchir. Mais, épuisée par les conditions du voyage, la religieuse renonce à se rendre jusqu’à Chandernagor et confie Madeleine à une propriétaire terrienne (Mme Routier) de l'île Bourbon (La Réunion), sous la promesse qu'elle permettre à Madeleine de rallier Chandernagor. Mme Routier va en fait profiter de l’opportunité pour s’approprier une esclave. Néanmoins, le 6 juillet 1789, elle décide d’affranchir Madeleine (sous la pression des rumeurs abolitionnistes et par peur d’être inquiétée s’il était découvert qu’elle détient une esclave dont elle ne peut justifier la propriété) mais elle omet sciemment d’expliquer à Madeleine, qui ne sait pas lire, la signification de l’acte d’affranchissement. A l’heure de sa mort, apeurée de subir le châtiment de Dieu pour ne pas avoir respecté sa parole, Mme Routier demande à son neveu, qui hérite de ses biens mobiliers dont les esclaves font partie, de libérer Madeleine pour enfin accomplir sa promesse. Mais son neveu (Joseph Lory), qui est déjà un riche propriétaire terrien, considère Madeleine comme une esclave parmi d’autres. Au contraire, quand Madeleine tente de faire valoir les droits dont elle a pris conscience, elle est violemment menacée. Pendant des années, Madeleine va initier des démarches puis finalement « opposer son silence à l’injustice » pour protéger ses enfants ; néanmoins, elle a conservé tous les papiers prouvant son statut de femme libre, que ses enfants (son fils Furcy et sa fille Constance) vont découvrir après sa mort survenue en 1817. Constance a déjà été affranchie par son père naturel, qui l’avait pour cela rachetée à Mme Routier, puis s’est mariée avec un bourgeois (un blanc) de Saint-Denis, qui est décédé quelques années après le mariage mais lui a appris à lire et à écrire, ainsi qu’à Furcy qui s’est montré un élève extrêmement doué. Constance et son mari avaient déjà tenté d’affranchir Madeleine et Furcy, mais les prétentions de Lory, homme dur en affaires, excédaient leurs ressources financières. Sollicités par les soins de Constance pour faire valoir les droits de sa mère (envers qui M. Lory a une dette colossale représentant les salaires dus depuis 1789), le procureur général Gilbert Boucher (originaire de métropole et nommé par le Roi) et son jeune assistant de 22 ans, Sully-Brunet, (originaire de La Réunion) considèrent que l’affaire peut être soutenue. Furcy, qui n’est intéressé que par la reconnaissance de sa liberté, préfère tenter une procédure à l’amiable avec son maître, avec sans doute l’intention de demeurer chez lui comme employé. Mais Joseph Lory réagit très mal : il alerte les notables de l’île et décide, avec leur soutien, d’arrêter Furcy pour tentative d’évasion. Après une parodie de procès, qui scandalise le procureur, Furcy est emprisonné. Peu après, grâce aux relations politiques du baron Philippe Panon Desbassayns de Richemont (l’homme le plus puissant de La réunion, qui avait été ami d’enfance de Bonaparte et annobli) et aux démarches entreprises auprès du ministère de la Marine (qui administre les colonies), le procureur Bouchet est rappelé en métropole et son assistant interdit de travail à Saint-Denis. Furcy fait appel de son procès, ce qui suscite l’inquiétude des propriétaires car l’affaire agite la population de l’île. Il est à noter que la plupart des noirs affranchis, qui se sont insérés dans la société réunionnaise, sont hostiles à la démarche entreprise par Furcy. A l’issue des plaidoiries, le jugement est confirmé mais, pour mettre fin à l’agitation, Furcy est éloigné de La Réunion en 1818 : Lory le vend à son frère, qui entretient une plantation sur l’île de France (aujourd’hui l’île Maurice), avec mission de briser la volonté de Furcy. Furcy pratique une forme de résistance non-violente : il ne s’énerve jamais, se montre toujours dévoué dans le travail mais ne cède pas : il parvient à trouver des soutiens locaux (dont l’avocat Godart Desaponay, qui a plaidé sa cause lors du procès en appel) et informe régulièrement Gilbert Bouchet qui, en France, ne l’a pas oublié mais dont la carrière a été en partie brisée par les dénonciations et les plaintes des propriétaires de La Réunion. Même si les lettres mettent parfois un an à parvenir leur destinataire, le lien ne sera jamais rompu et aboutira finalement à un procès en cassation qui se tiendra en 1843 à Paris, auquel Furcy assistera. En effet, après la prise de l’île Maurice par les Anglais, la nouvelle administration a découvert que le transfert de Furcy depuis La Réunion n’avait pas été déclaré et que le frère de Lory n’avait pas payé les taxes relatives à cette importation. En conséquence, après une dizaine d'années de travaux forcés (dont Furcy ne se plaint quasiment jamais dans ses lettres à Bouchet), Furcy a été libéré de la tutelle de son maître en 1829. Il a pu, grâce à ses talents de maître d’hôtel et de cuisinier, fondé un commerce prospère mais n’a pas pour autant été légalement affranchi, ce qui l’empêche de se marier et de fonder une famille. Lors des audiences tenues à Paris, les plaidoiries des avocats sont parfois surprenantes, souvent brillantes (notamment celle de Thureau, défenseur de Furcy) et mettent en exergue l’opposition entre les principes humanistes, le maintien de l’ordre social et la préservation des intérêts économiques. Finalement, les droits de Furcy sont établis, en même temps qu’est rappelé par le Président que nul homme ne peut être esclave en France. La monarchie avait déjà tenté, avant la Révolution, d’endiguer les excès des propriétaires qui s’appuyaient sur l’esclavage pour développer la culture de la canne à sucre mais c’est simplement en 1848 que l’esclavage est définitivement aboli. Le livre s’achève sur la mission de Sarda-Garriga (qui mourra dans un total anonymat) qui parvient, en multipliant les annonces publiques avec un ton paternaliste propre au 19ème siècle, à se concilier les grandes familles de l’île et à éviter que l’émancipation des esclaves ne s’accompagne d’émeutes ou de révoltes : les liens d’asservissement seront progressivement transformés en contrats de travail, faiblement rémunérés…

Du journalisme

9 étoiles

Critique de Bobo (, Inscrit le 10 décembre 2009, 65 ans) - 4 avril 2012

Il est certain qu'à la lecture, on se rend bien compte que c'est un journaliste qui l'a écrit.
C'est dense, sans parti pris, les faits rien que les faits.
Attention cela n'est pas un reproche, bien au contraire.

L'esclavagisme est bien une grande période de notre histoire qui est passée sous silence ou tout du moins étouffée, et pourtant ...

J'ai beaucoup aimé le fait que l'auteur ne juge pas mais pose simplement les faits. Au lecteur à faire son opinion.

Dans le monde actuel, j'en ai assez des gens qui jugent une période de l'histoire sans se plonger dans le contexte de l'époque.

Il est dommage que l'auteur n'a pas réussi à trouver plus d'informations sur Furcy, mais dans cela n'est pas de sa faute.

Un livre à lire et qui mérite son succès

Histoire d'un crime : le vrai-faux esclave Fury

10 étoiles

Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 19 novembre 2011

Fils d'une esclave affranchie à qui on avait volontairement caché son statut de femme libre, Fury est le type même du déni de justice attaché à la condition d'esclave. La mise en scène par l'auteur des ressorts intimes du système colonial aide à mesurer l'ampleur de l'injustice subie. Il s'est trouvé tout de même deux hommes remarquables, deux magistrats intègres, l'un Procureur, l'autre Substitut, pour "lever le lièvre" et, tout en reconnaissant la légitimité du combat de Fury, soutenir et partager son combat ce qui à l'époque tenait de la gageure et de l'acte suicidaire dans un pareil contexte. Pas de littérature ici, mais un dossier vivant, strict, mis au service d'une cause émancipatrice, pour la plus grande confusion de cette vilénie absolue que fut l'esclavage. Un document nécessaire.

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