Gallimard un siècle d'édition : 1911-2011 de Auteur inconnu
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire
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Très bel anniversaire
Il faut aller avant le 3 juillet prochain à la Bibliothèque nationale de France voir l’exposition « 1911-2011 Gallimard un siècle d’édition » qui est une totale réussite. Ses concepteurs ont su créer une « ambiance de livres », raconter ce qu’est le métier d’éditeur, décrire une entreprise qui a jusqu’ici pu et su concilier littérature et commerce. Cette manifestation a donné lieu à un catalogue qui prolonge agréablement le plaisir trop éphémère d’une simple visite.
Tout a commencé avec le constat fait par Claudel et Gide du commerce des livres qu’ils estimaient, vers 1910, « barbare et inorganisé. » Gaston Gallimard va être l’homme de la situation avec son énergie, son habileté, ses qualités relationnelles. Il met en place d’abord une revue, la NRF, puis la maison d’édition. Il va vite comprendre que pour éditer des livres de grande qualité, il est indispensable de commercialiser aussi des œuvres de moindre intérêt littéraire mais à meilleure rentabilité. Il se diversifiera dans des revues comme « Détectives », des magazines de cinéma ou encore en rachetant le théâtre du Vieux Colombier. « Ce qui vous paraît de l’extérieur une dispersion n’est qu’une nécessité commerciale…au bénéfice de ce qui compte » écrit-il à Claudel qui, lui, va se fâcher avec Gide au sujet de la publication des « Caves du Vatican » « La littérature fait parfois un peu de bien, mais elle peut faire aussi beaucoup de mal. Le vice dont vous parlez (il s’agit de l’homosexualité) tend à se répandre de plus en plus ». Ce petit exemple montre le rôle de l’éditeur qui pour mener une politique d’auteurs doit marier l’eau et le feu. Mais l’exposition montre aussi un autre Gaston Gallimard, parfois presque dépressif quand il écrit : « La lenteur de la vie c’est pourtant la poésie même et l’amour » ou encore dans une lettre à, sa femme : « Je ne suis pas devenu ce que je souhaitais mais un autre ». C’est peut-être cette dualité qui explique l’originalité de cet éditeur qui faisait du commerce par nécessité et entretenait une relation personnelle avec ses auteurs (quand ses intérêts n’en étaient pas contrariés).
L’exposition et bien évidemment le catalogue ne passent sous silence aucune des difficultés rencontrées par la Maison telles que l’attitude sous l’Occupation, les dissensions familiales ou encore la dégradation des relations entre Gaston et Jean Paulhan qui a été un collaborateur essentiel pendant de longues années avant de lui reprocher d’avoir fait passer «les intérêts de la maison à trois occasions avant l’honneur de la revue » (la NRF interdite à la Libération et republiée en 1953).
On pénètre dans cette entreprise, ses collections, sa logistique, ses équipes commerciales, son marketing, ses finances nécessaires pour garder son indépendance. Mais surtout on « rentre » au comité de lecture pour découvrir les fiches écrites par les lecteurs de la maison dont firent partie Camus, Malraux, Ramon Fernandez. On y découvre les relations conflictuelles que la Maison eut longtemps avec Marguerite Yourcenar, les querelles entre Paulhan et Queneau, une lettre de Malraux à Gallimard sur Céline : « Si c’est sans doute un pauvre type, c’est certainement un grand écrivain », des cartes postales comme celle enthousiaste de Jack Kerouac, des lettres , des photos magnifiques comme ce portrait de Marguerite Duras ou celui superbe, de Térésa Crémisi qui fut longtemps la première collaboratrice d’Antoine Gallimard avant d’aller diriger Flammarion (la présence de cette photo montre que la Maison n’est pas rancunière). C’est plein de détails passionnants comme ce « brain storming » pour trouver un titre à « Gone with the wind ». Et parfois, au détour d’une page, l’émotion qui vous submerge quand vous lisez cette lettre de René Char à Gaston Gallimard
« 3 janvier 1962
Cher Monsieur,
Nous ne croyons guère au temps qui passe puisque chacun, à notre manière, l’accompagnons, du cœur, du regard, sans cesse à son niveau et toujours à son pas, qu’il soit de larmes ou d’inconnu. Je désire vous dire ma pensée, ce 4 janvier , elle continue d’unir étroitement, dans une même ferveur, Albert Camus et Michel Gallimard, amis inséparables et inséparés.
Fidèlement à vous
René Char »
Voilà un ouvrage qu’on garde près de soi tant il traduit bien l’amour des livres que quelques hommes ont su nous transmettre en véritables passeurs culturels. C’est d’autant plus important que de tels témoignages risquent de disparaître, effacés par l’instantanéité du téléphone, l’amnésie des traitements de texte et l’écran froid des futures technologies.
Mais que ceci ne nous empêche pas de souhaiter un très bel anniversaire en citant ce qui est peut-être le plus beau compliment qu'un écrivain puisse faire à cet éditeur qui "ne publie pas que des livres, mais des oeuvres" et c'est signé Jonathan Littell.
Les éditions
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Gallimard [Texte imprimé], un siècle d'édition [organisée en partenariat avec l'INA, Institut national de l'audiovisuel] [catalogue] sous la direction d'Alban Cerisier & Pascal Fouché préfaces d'Antoine Gallimard & Bruno Racine textes d'Oli
de Fouché, Pascal (Directeur de publication) Cerisier, Alban (Directeur de publication)
Bibliothèque nationale de France
ISBN : 9782070133178 ; 49,70 € ; 24/03/2011 ; 392 p. ; Relié
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