Une vie bouleversée de Etty Hillesum

Une vie bouleversée de Etty Hillesum
( Het verstoorde leven)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Spiritualités

Critiqué par Leura, le 16 mai 2002 (--, Inscrit le 29 janvier 2001, 73 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 8 avis)
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Un maître spirituel...

Etty Hillesum est morte le 30 novembre 1943 à Auschwitz, parce qu'elle était juive. Malgré l'horreur de son destin qu'elle a regardé en face, elle a trouvé la force de garder intacte la pureté de son âme. Cette jeune femme morte à 30 ans est un maître spirituel, peut-être parmi les plus grands. On ne trouve pas le moindre dogme chez elle, pas la moindre adhésion à une communauté religieuse, mais un sens aigu de la présence de Dieu en elle, et un amour inconditionnel pour l'homme.
Quelques extraits pour vous donner le ton :
"Bon, on veut notre extermination complète: cette certitude nouvelle, je l'accepte. Je le sais maintenant. Je n'imposerai pas aux autres mes angoisses et je me garderai de toute rancoeur s'ils ne comprennent pas ce qui nous arrive à nous, les Juifs. Mais une certitude acquise ne doit pas être rongée ou affaiblie par une autre. Je travaille et je vis avec la même conviction et je trouve la vie pleine de sens, oui, pleine de sens - malgré tout."
"Quand je prie, je ne prie jamais pour moi, toujours pour d'autres, ou bien je poursuis un dialogue extravagant, infantile ou terriblement grave avec ce qu'il y a de plus profond en moi et que pour plus de commodité j'appelle "Dieu"."
"Cet amour que l'on ne peut plus déverser sur une personne unique, sur l'autre sexe, ne pourrait-on pas le convertir en une force bénéfique à la communauté humaine et qui mériterait peut-être aussi le nom d'amour? Et lorsqu'on s'y efforce, ne se trouve-t-on pas précisément en pleine réalité?"
"J'élève la prière autour de moi comme un mur protecteur plein d'ombre propice je me retire dans la prière comme dans la cellule d'un couvent et j'en ressors plus concentrée, plus forte, plus "ramassée"."
Dans l'enfer de son camp de transit de Westerbork, elle trouve la force d'éprouver de la joie devant un coucher de soleil, de s'émerveiller devant des reflets lumineux dans des flaques d'eau, et d'aider ses compagnons de captivité.
La dernière phrase de son journal est: "On voudrait être un baume versé sur tant de plaies".
Lire le journal d'Etty, c'est faire la rencontre d'une très belle âme, dont on ne peut que tomber amoureux.

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Les éditions

  • Une vie bouleversée [Texte imprimé], journal 1941-1943... Etty Hillesum trad. du néerlandais et annot. par Philippe Noble [postf. par J.G. Gaarlandt]
    de Hillesum, Etty Gaarlandt, J. G. (Postface) Noble, Philippe (Traducteur)
    Seuil / Points (Paris).
    ISBN : 9782020246286 ; 7,90 € ; 18/04/1995 ; 361 p. ; Poche
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Un être rayonnant

10 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 6 novembre 2013

Ce livre document est divisé en deux parties dont la plus longue est le Journal d’Etty Hillesum, de 1941 à 1943, intitulé Une vie bouleversée. Journal d’une jeune femme libre, aimant la vie et ses plaisirs , très sujette à l’introspection et à la réflexion ( aidée en cela par Julius Spier, son amant et une sorte de guide spirituel. C’est lui qui fit relire à cette jeune Juive la Bible et lui fit connaître saint Augustin. )

Réflexion sur elle-même mais aussi bien sûr réflexion très lucide sur la souffrance de l’humanité , qui n’a rien d’abstraite pour elle car , en tant que juive, elle va vivre au jour le jour les différentes et progressives brimades, et la fin programmée ( elle en est très vite consciente, contrairement à beaucoup) de son « peuple ».

Je dis que « je me suis expliquée avec la « Souffrance de l’Humanité » ( ces grands mots me font toujours grincer des dents) mais ce n’est pas tout à fait juste. Je me sens plutôt comme un petit champ de bataille où se vident les querelles, les questions posées par notre époque. Tout ce qu’on peut faire , c’est de rester humblement disponible pour que l’époque fasse de vous un champ de bataille. Ces questions doivent trouver un champ clos où s’affronter, un lieu où s’apaiser, et nous, pauvres hommes, nous devons leur ouvrir notre espace intérieur et ne pas les fuir.

Ce Journal est destiné ( comme tous les journaux intimes, mais il prend bien sûr ici une autre résonance du fait des évènements historiques et de la précision de l’analyse personnelle ) à mettre en mots ce qu’Etty Hillesum appelle une petite mélodie personnelle.

J’ai en moi une petite mélodie personnelle qui a parfois terriblement envie d’être convertie en paroles personnelles…. Je voudrais parfois me réfugier avec tout ce qui vit en moi dans quelques mots, trouver pour tout un gîte pour quelques mots. Mais je n’ai pas encore trouvé les mots qui voudront bien m’héberger. C’est bien cela. Je suis à la recherche d’un abri pour moi-même, et la maison qui me l’offrira, je devrai la bâtir pierre par pierre. Ainsi chacun se cherche-t-il une maison, un refuge. Et moi je cherche toujours quelques mots.
J’ai parfois le sentiment que le grand malentendu s’accroit à chaque parole prononcée, à chaque geste. Je voudrais m’immerger dans un grand silence et imposer ce silence à tous les autres. Oui, il est des moments où chaque mot accroît le malentendu , sur cette terre trop agitée.


Ce que l’on remarque à la lecture d’Etty Hillesum, c’est bien sûr ce don d’observation, de mise à distance de la réaction immédiate qui est le fait de ces rares individus passionnés par l’ humain, qui parviennent à ne jamais- quelles que soient les circonstances - juger en fonction de critères simplistes… Cela force bien sûr l’admiration, mais permet peut être aussi de comprendre sa résistance à tous moments, et c’est cette résistance personnelle qui lui a permis d’aider tous ceux qu’elle a pu aider ( tous les témoignages de personnes l’ayant connue témoignent d’un être rayonnant ..)

L’homme forge son destin de l’intérieur, voilà une affirmation bien téméraire. En revanche, l’homme est capable de choisir l’accueil qu’il fera lui-même à ce destin. On ne connaît pas la vie de quelque un si l’on n’en sait que les évènements extérieurs. Pour connaître la vie de quelque un il faut connaître ses rêves, ses rapports avec ses parents, ses états d’âmes, ses désillusions, sa maladie et sa mort.

C’est ainsi qu’après un interrogatoire dans les locaux de la Gestapo, elle note:

En fait, je n’ai pas peur. Pourtant je ne suis pas brave , mais j’ai le sentiment de toujours avoir à faire et la volonté de comprendre autant que je le pourrai le comportement de tout un chacun. C’était cela qui donnait à cette matinée sa valeur historique: non pas de subir les rugissements d’un misérable gestapiste, mais bien d’avoir pitié de lui au lieu de m’en indigner, et d’avoir envie de lui demander: « as-tu donc eu une enfance malheureuse, ou bien est ce que ta fiancée est partie avec un autre? »Il avait l‘air tourmenté et traqué, mais aussi, je dois le dire, très désagréable et très mou.…
J’aurais voulu commencer tout de suite un traitement psychologique sachant parfaitement que ces garçons sont à plaindre tant qu’ils ne peuvent faire de mal, mais terriblement dangereux, et à éliminer, quand on les lâche comme des fauves sur l’humanité. Ce qui est criminel, c’est le système qui utilise des types comme cela.
Autre leçon de cette matinée: la sensation nette qu'en dépit de toutes les souffrances infligées et toutes les injustices commises, je ne parviens pas à haïr les hommes. Et que toutes les horreurs et les atrocités perpétuées ne constituent pas une menace mystérieuse et lointaine,extérieure à nous, mais qu'elles sont toutes proches de nous et émanent de nous-mêmes, êtres humains. Elles me sont ainsi plus familières et moins effrayantes. L'effrayant c'est que les systèmes, en se développant, dépassent les hommes et les enserrent dans leurs poigne satanique, leurs auteurs aussi bien que leurs victimes , de même que de grands édifices ou des tours, pourtant bâtis par la main de l'homme, s'élèvent au dessus de nous, nous dominent et peuvent s'écrouler sur nous et nous ensevelir.


Et c’est toujours cette faculté d’essayer d’aller dénicher chez l’autre les raisons de son comportement, cette curiosité incessante pour la chose humaine qui est prodigieuse chez cette très jeune femme, et crée la différences avec d’autres récits.

Et toujours, pourtant, ce sentiment: la vie est si « intéressante » à travers toutes ses épreuves. Une observation détachée, presque démoniaque des évènements reprend toujours le dessus chez moi. Une volonté de voir, d’entendre, d’être là, d’arracher tous ses secrets à la vie, d’observer froidement l’expression des visages humains jusque dans leurs derniers spasmes. Le courage aussi de se retrouver face à soi-même et de tirer beaucoup d’enseignements du spectacle de son âme au milieu des troubles de l’époque. Et, plus tard, trouver les mots pour dire tout cela..

C’est , je crois, cette capacité d’observation, de synthèse immédiate intellectuelle, avec mise en pratique en actes ( c’est beaucoup moins courant…) beaucoup plus que la dimension un peu mystique de certains écrits qui m’ont interpellée. Car si Etty Hillesum croit à un Dieu, et qu’elle lui parle d’ailleurs, c’est plus à un Dieu qui est en l’homme qu’à une image vraiment religieuse. Ce n’est que par la force du raisonnement qu’elle en arrive aux principes fondateurs d’une religion.

Et je répétai une fois encore, avec ma passion de toujours ( même si je commençais à me trouver ennuyeuse à force d’aboutir toujours aux mêmes conclusions): » C’est la seule solution, vraiment la seule, Klaas, je ne vois pas d’autre issue: que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu’il croit devoir anéantir chez les autres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend encore plus inhospitalier qu’il n’est déjà. »
Et Klaas, le vieux partisan, le vétéran de la lutte des classes dit, entre l’étonnement et la consternation: « Mais.. mais ce serait un retour au christianisme! »Et moi, amusée de tant d’embarras, je repris sans m’émouvoir: « Mais oui, le christianisme, pourquoi pas?


Suivent ce journal les lettres envoyées du camp de Westerbork. Ici, l’on pourrait écrire des contes. La détresse, ici, a si largement dépassé les bornes de la réalité courante qu’elle en devient irréelle.. Camp d’où elle partira , elle sait comment, pour où et pour quel destin. Avec ses parents et un de ses frères.

Jamais dans ces lettres elle ne se permettra le moindre laisser-aller, la moindre plainte , si ce n’est pour constater qu’il lui est plus difficile de supporter la souffrance de ses proches, que la sienne..
Et jamais la moindre révolte..

Mais la révolte qui attend pour naître le moment où le malheur nous atteint personnellement n’a rien d’authentique et ne portera jamais de fruits… Et l’absence de haine n’implique pas nécessairement l’absence d’une élémentaire indignation morale.
Je sais que ceux qui haïssent ont à cela de bonnes raisons. Mais pourquoi devrions nous choisir la voie la plus facile, la plus rebattue?


Et ceci dans une des dernières lettres… qui est une sorte de conclusion de ce livre, démontrant qu’elle a fait le tour des choses et que ce qu’elle écrit est mûrement réfléchi:

Les gens ne veulent pas l’admettre: un moment vient où l’on ne peut plus "agir", il faut se contenter d'"être" et d’accepter. Et cette acceptation, je la cultive depuis bien longtemps…
On me dit parfois: " Oui, mais tu vois toujours le bon côté des choses. » Quelle platitude! Tout est parfaitement bon. Et en même temps parfaitement mauvais. Les deux faces des choses s’équilibrent, partout et toujours. Je n’ai jamais eu l’impression de devoir me forcer à en voir le bon côté, tout est parfaitement bon, tel quel. Toute situation, si déplorable soit-elle, est un absolu et réunit en soi le bon et le mauvais.


Tout est dit…

Etty Hillesum est morte à Auschwitz le 30 novembre 1943. Elle avait 27 ans.

Beaucoup de citations, je sais, mais le texte vaut la peine qu'on le recopie..

un fabuleux chemin spirituel

10 étoiles

Critique de Tyty2410 (paris, Inscrite le 1 août 2005, 38 ans) - 31 octobre 2009

J'ai beaucoup aimé ce livre, c'est un véritable journal où elle parle librement d'elle et de la perception de la vie. C'est aussi un incroyable cheminement spirituel, relation amicale et sans pudeur avec Dieu, pour qui c'est un étranger au début du journal et qui lui donne une force et une paix intérieure. Ce livre est à lire ne serait-ce que pour se questionner sur la foi, il offre de multiples facettes. Les lettres qui suivent sont également intéressantes car elles donnent une vision du camp. Ce qui m'a le plus marquée dans ce livre c'est la conscience de sa destinée, elle savait qu'elle allait être déportée et donc qu'elle allait mourir et pourtant cette conscience lui amenait de la force . Un livre à lire

Une belle âme !

10 étoiles

Critique de Naturev (DOLE, Inscrit le 29 mai 2008, 58 ans) - 26 janvier 2009

Je ne vais pas en rajouter pour en rajouter, tout est bien dit dans les critiques précédentes. Je vais seulement souligner deux choses qui m'ont particulièrement marquée.

La première, est une idée. Celle que ce que l'on appelle Dieu puisse être dans un puits à l'intérieur de soi, une étincelle qu'il faut entretenir, préserver.

La seconde, c'est l'effet sur moi. Car, arrivée à la fin de la lecture, je me suis aussi trouvée à aimer cette femme. Une belle âme qui ne quitte mon souvenir depuis 8 ans maintenant.

Au pire de l'humain.

10 étoiles

Critique de Hieronimus (, Inscrit le 26 mars 2006, 48 ans) - 8 juin 2006

Etty Hillesum... un nom qui résonnera longtemps en moi.
Une femme passionnante, drôle, vivace, intelligente. Une lucidité de tous les instants, un destin hors du commun. Elle est l'exemple frappant d'un être qui au milieu de l'horreur aura su trouver en elle un espace de liberté, une lumière que les nazis n'auront pas su lui prendre. Ces mots simples de tous les jours, les descriptions du quotidien le plus banal prennent l'aspect du merveilleux, de l'extraordinaire.
Plus j'avançais dans son journal plus l'issue terrible était présente à mon esprit et à la fois ce sentiment qu'elle nous fait partager, d'une libération, d'une autre vision de la réalité, d'un passage possible en soi malgré ou peut être grâce aux circonstances extérieures.
Non seulement un être d'une grande qualité mais aussi un talent d'écrivain, un sens de la narration, un humour qui jamais ne se dément.
C'est l'intime d'un être qui nous est livré sans jamais glisser dans l'impudeur, le glauque. Lire Etty c'est se réconcilier avec la vie.

LIBERTE

10 étoiles

Critique de Marc (paris, Inscrit le 6 janvier 2005, 53 ans) - 6 janvier 2005

Lorsque j'ai acheté ce journal intime, je ne savais pas qu'il aurait un tel impact sur ma façon d'aborder le domaine spirituel dans ma vie, la première lecture fut un coup de foudre et après quelques lectures le plaisir est resté intact.
Etty rêvait de devenir écrivain, et le Ciel a entendu sa requête........ je remercie la Providence d'avoir mis entre mes mains un tel ouvrage qui me conforte dans l'idée que la foi est un domaine bien séparé des dogmes religieux, c'est une affaire de coeur à Coeur, Etty parlait à Dieu spontanément comme à un Ami, je la remercie et souhaite qu'elle se trouve dans la " chambre haute" ( dernière carte postale envoyée par Etty, elle ouvre la bible au hasard et tombe sur ce passage:"l'Eternel est ma chambre haute...."

Un livre de chevet

10 étoiles

Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 16 décembre 2004

Etty Hillesum a écrit son journal pour deux raisons : la première est qu'elle sent quelque chose en elle qu'elle doit cultiver et maîtriser pour pouvoir l'écrire un jour si elle veut faire quelque chose de sa vie. "Un jour je serai écrivain, dit-elle, j'écrirai jour et nuit tout ce qu'aujourd'hui, j'emmagasine en moi". Plus loin elle dit encore : "m'oublier tout entière dans un seul poème à conquérir de haute et de sanglante lutte sur moi-même mot après mot". Ce qu'elle veut c'est "parler de cet amour dont seuls savent parler les poètes". Et elle dira : "le principe créateur qui est en moi est une parcelle de Dieu et il me faudra beaucoup de courage pour l'exprimer sans détours."
Mais son second objectif, est encore beaucoup plus important. Elle veut découvrir quelque chose qu'elle appelle Dieu et qui se cache au fond d'elle-même "sous les ruines de ses actes absurdes".
En lisant la Bible, Dostoïevski, Hegel, Jung et surtout son poète de cœur Rilke, en donnant des cours de Russe, et en suivant une cure psychologique, "elle déracine peu à peu la végétation luxuriante et vénéneuse qui dort en elle".
A partir de décembre 1941, elle qui avait honte de s'agenouiller s'y voit tout à coup "contrainte par une volonté plus forte que la sienne et elle perçoit que quelque chose se répand en elle". Jusque là, dans son journal, elle parlait à elle-même, "ma fille" disait-elle, mais maintenant c'est avec Dieu qu'elle dialogue.
Le livre à peine terminé, pour rédiger cette critique, j'ai voulu relire les phrases que j'avais soulignées. Mais tout était souligné et j'ai relu le livre de bout en bout ! J'ai raconté ça à quelqu'un qui m'a dit, moi j'en ai fait mon livre de chevet.
La force de ce livre c'est qu'il n'est pas un récit, ni un roman, ni un traité de philosophie savamment rédigé, mais un journal. L'auteur(e) a jeté sur le papier ses pensées les plus intimes d'un jet, sans bavure et sans retouche. "Ce petit morceau d'éternité que l'on porte en soi, on peut l'épuiser en un mot, aussi clairement qu'en dix gros traités", nous dit-elle.
Etty qui était juive, savait en 1942, que l'heure d'être expédiée dans un camp de la mort était proche et que ses carnets seraient immédiatement détruits. Pourtant tout est écrit avec une qualité de style, une simplicité, et une densité qui vous fait revenir sur chaque phrase et vous donne l'envie de les retenir par cœur.
Elle parle des événements qui en 1942 déciment le monde juif autour d'elle. Mais elle se refuse à accabler Dieu : "Dieu n'a pas à nous rendre des comptes pour les folies que nous commettons ; c'est l'inverse, c'est à nous de Lui rendre des comptes". Elle se refuse aussi à accabler les Allemands : "il y a autant de souffrances des deux côtés et je n'arrive pas à haïr les Allemands. Toutes ces atrocités émanent de la haine qui est au cœur de tous les hommes". Et elle a ces paroles prémonitoires : "le peuple juif cherche à communier dans la haine et quand la haine aura fait de nous des bêtes féroces, il sera trop tard".
On dira peut-être un jour qu'Etty était une sainte, on ne dira jamais qu'elle était une sainte-Nitouche. Elle menait une vie extravagante. D'une manière anecdotique, (parce que pour elle c'est trois fois rien), elle raconte qu'elle fréquente des dizaines de lits accueillants, au gré de ses envies ou des disponibilités. Son conseillé psychologue est un vieux beau de 55 ans qui prolonge les traitements de ses clientes par des séances sur l'oreiller ou sous la couette. Cet homme marié est couvert de femmes et Etty est la favorite de son harem ! Et quand sa place est prise, elle va chez un autre. Mais rien ne peut l'empêcher de se lever à toute heure de la nuit et de parler à Dieu. "C'est là ma véritable intimité", dira-t-elle.
Je crois qu'elle avait compris que la morale n'est pas affaire de commandement ni d'interdit mais affaire de conscience.
Cette fille magnifique a été gazée à Auschwitz en 1943, après un passage obligé dans un camp d'attende à Westerbork d'où elle a écrit des lettres à ses amis (elles sont publiées à la suite de son journal.)
Après son départ de Westerbork, où on la nommait "le cœur pensant de la baraque", on ne sait plus rien d'elle, sinon qu'elle est arrivée à cacher dans son sac une bible minuscule.
Mais on peut imaginer que cette extraordinaire jeune-fille, au moment d'entrer dans la chambre à gaz, avait un bras sur l'épaule d'une sœur d'infortune et tenait un enfant par la main. Et elle disait : pardonne-leurs, ô ! Dieu, leurs atrocités sont d'abord en nous, et nous ne pouvons rien changer du monde que nous n'ayons d'abord changé en nous. Sois remercié Seigneur, tu as fait régner en moi le calme et la paix. Je suis désormais seule avec Toi, tu as donné un sens à ma vie, merci mon Dieu. Et au moment de son dernier souffle, je l'entends d'ici murmurer : mon Dieu que ta volonté soit faite et non la mienne !
Il nous reste aujourd'hui son journal, publié en 1981, qui nous parle de tout : du bonheur et de la beauté, de la souffrance et de la mort, du sens de la vie et de Dieu.
A tous, et particulièrement, à ceux qui se demande ce que veut dire "avoir la foi", je ne peux que recommander la lecture de ce monument de sagesse, d'intelligence, d'intériorité et de mysticisme.



Le journal d'une libération intérieure

10 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 1 juillet 2003

Etty Hillesum est juive, elle vit à Amsterdam, elle a 27 ans. Elle commence son carnet en 1940, deux ans avant d’être déportée puis de mourir avec sa famille à Auschwitz. Il nous reste son carnet, d'une richesse morale et spirituelle exceptionnelle, témoignage d’un cheminement intérieur intense.

Elle est brillante : étudiante en droit, elle passe beaucoup de temps avec d'illustres compagnons : Dostoïevski, Tolstoï, une grammaire russe (elle donne des cours de Russe), la bible et surtout Rilke dont elle est amoureuse. Elle cite aussi Saint Augustin, les évangélistes, Michel-Ange. Elle se sait destinée à devenir écrivain et vu la qualité littéraire de son journal il est évident qu'elle serait devenue un très grand auteur. Elle parle librement de sa sexualité, et de sa relation très forte et cruciale pour son développement avec un homme plus âgé et qui n'est pas disponible. Pour Etty il est d'ailleurs plus facile de parler de sexualité que de parler de Dieu, car parler de Dieu est la chose la plus intime qui soit. Signalons aussi son petit frère, Misha, un des plus grand pianiste européen en devenir qui choisira librement d'accompagner le reste de la famille à Auschwitz.

Au gré de l'avancement du carnet on assiste au développement d'une vie intérieure de plus en plus intense, une véritable rencontre avec ce "quelque chose au plus profond d'elle-même qu'elle nomme Dieu" pour reprendre la citation épinglée par Leura. Aucune référence à une religion instituée, pas de dogmes, juste le mot "Dieu" qui revient de plus en plus souvent, ainsi que le besoin de se mettre à genoux pour prier. Il y a aussi et surtout un amour énorme des gens, de la vie, une vie qui garde tout son sens malgré les atrocités de l’époque. Un amour trop grand que pour être versé sur un seul homme. Je cite : « L'amour de tout les hommes vaut mieux que l'amour d'un seul homme. Car l'amour d'un seul homme n'est rien d'autre que l'amour de soi-même ».

A ajouter aux citations de Leura, je vous en livre d'autres, qui m'ont particulièrement touchées. Et notamment celle-ci, à propos de tomber amoureux du printemps. Est-ce cela être mystique ? Si oui je suis moi même mystique, car moi aussi je peu tomber amoureux d'un hêtre rouge : "Hier soir en allant chez lui, j'étais pleine d’une aimable langueur printanière. Et tandis que, désirant sa présence, je pédalais rêveusement sur l'asphalte de la Lairessestraat, je me sentis soudain caressée par une tiède brise de printemps. Et je pensais tout à coup : cela aussi c'est bon. Pourquoi ne connaîtrait-on pas une véritable ivresse amoureuse, tendre et profonde au contact du printemps, ou de tout les êtres ? On peut aussi se lier d'amitié avec un hiver, avec une ville ou un pays. Je me souviens du hêtre rouge de mon adolescence. J'avais une liaison toute particulière avec cet arbre [.] Oui, pourquoi ne vivrait-on pas un amour avec un printemps ?" (p. 107).

Et le passage suivant, qui me semble la plus belle leçon de discernement (ce qui n'est rien d'autre que d'écouter sa voix intérieure) : "J'ai demandé à Henny ; " Dis-moi Tide, n'as-tu donc jamais voulu te marier ?". Elle m'a répondu : "Dieu ne m'a pas encore envoyé de mari". Si je voulais appliquer cette réponse à moi-même et en faire mon profit, je devrai la traduire ainsi : si je veux vivre selon mes sources véritables, je devrai sans doute rester célibataire. Inutile en tout cas de me casser la tête là-dessus. Si j'écoute en toute sincérité ma voix intérieure, je saurai bien le moment venu si un homme "m'est envoyé par Dieu". [...] Jamais encore mon intuition personnelle ne m'a fait dire "oui" pour la vie à un homme, et cette voix intérieure doit être mon seul fil d'Ariane, en tout certes, mais particulièrement en cette affaire. Je veux dire simplement qu'une sorte de paix doit descendre en moi, avec la certitude de suivre ma voie personnelle, confirmée par une voix intérieure [...] S'il plait à Dieu de "t'envoyer un mari", tant mieux, sinon c'est que ta voie est autre. Mais ne te laisse pas aller rétrospectivement à l'amertume et ne va pas dire un jour "A cette époque j'aurai du faire telle chose". On n'a pas le droit de dire cela, et c'est pourquoi tu dois prêter maintenant l'oreille la plus attentive au murmure de ta source intérieure au lieu de te laisser toujours égarer par les propos de ton entourage." (p. 67)

A propos de Dieu, j'ai bien aimé : "Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois je parviens à l'atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour." (p. 58).

J'arrête ici les citations, j'en ai encore des dizaines mais je me contenterai de conclure en disant qu'il s’agit indéniablement d’une des lectures les plus enrichissantes qui soit. Bien sur toute expérience spirituelle est unique, et le chemin de la libération intérieure est un chemin que l’on parcours seul (« seul avec le Seul »). Mais cette jeune femme possède un don incroyable pour exprimer les choses liées à la spiritualité et à la vie intérieure, c’est évidemment d'une valeur immense.

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  ETTY HILLESUM 2 Marc 17 janvier 2005 @ 08:31

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