Voyage de Pétersbourg à Moscou
de Aleksandr Nikolaevič Radiŝev

critiqué par Dirlandaise, le 6 juin 2011
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Un cortège de souffrances et de misères
Issu de la noblesse russe, Alexandre Radichtchev fait carrière comme fonctionnaire subalterne dans l’administration impériale tout en poursuivant une activité littéraire. Ce livre, considéré comme un classique de la littérature russe a tellement choqué Catherine II qu’il a valu à son auteur une condamnation à mort heureusement commuée en exil en Sibérie. Le livre demeure interdit jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle malgré le fait que Radichtchev ait été gracié par Alexandre Ier. Je tire ces informations de Wikipédia et de la quatrième de couverture.

Le narrateur entreprend un voyage de Saint-Pétersbourg qui doit le mener jusqu’à Moscou. À l’époque de Radichtchev, on voyageait en kibitka, une voiture couverte avec un cocher dehors très à l’avant. Fait curieux, la voiture ne comportait pas de siège et les voyageurs étaient quasiment couchés pendant le voyage. Donc, notre héros qui est nul autre que l’auteur lui-même décrit ce qu’il voit pendant son périple. Comme le trajet comporte de nombreux relais de poste, il rencontre beaucoup de gens, discute avec eux et observe nombre d’activités dans les villages qu’il traverse. Il observe et note tout ce qu’il voit pour le retranscrire dans son carnet. Son regard est incisif et rien ne lui échappe. Toute la misère rencontrée le révolte et sa critique des institutions est virulente. Chaque chapitre traite d’un thème différent : les lacunes du système de justice, la condition effroyable des paysans russes vivant dans la misère, l’avidité et la cruauté de la noblesse, les mœurs, l’institution du mariage, le faste de la cour du tsar, la censure dans l’imprimerie et l’absence de liberté dans la presse, l’enrôlement de force des paysans dans l’armée et bien d’autres. Enfin, c’est un cortège de souffrances et d’injustices qui jalonne son parcours et qu’il s’empresse de dénoncer.

L’écriture n’est pas terrible sauf peut-être au début mais ce n’est pas le but de l’auteur de nous éblouir de sa prose. Il veut avant tout nous faire connaître le fonctionnement de la société russe du dix-huitième siècle avec toutes ses injustices et ses débordements. C’est un vibrant plaidoyer pour la liberté et l’égalité entre tous les hommes venant d’un homme pétri d’idéalisme et nourri des œuvres de Rousseau et des philosophes français de l’époque.

Bien qu’un peu vieillot, le livre reste d’actualité pour bien des thèmes abordés comme par exemple l’exploitation des paysans par la noblesse mais aujourd’hui, ce sont les riches qui exploitent les pauvres. On peut transposer nombre de faits dénoncés par Radichtchev dans la société d’aujourd’hui hélas ! Rien n’a vraiment changé sur le fond ou si peu.

J’ai aimé le livre malgré certains passages par trop moralisateurs qui m’ont franchement agacée mais je reprenais ma lecture toujours avec une intense curiosité et, oserais-je écrire, un plaisir certain. J’avoue avoir été légèrement déçue car je m’attendais à plus de virulence et de phrases violentes mais le ton adopté par l’auteur reste modéré pendant tout le récit. Dommage…

« J’ai regardé autour de moi et les souffrances de l’humanité ont mortifié mon âme. J’ai tourné mes regards à l’intérieur de moi-même et j’ai vu que les malheurs de l’homme sont dus à l’homme, pour cette seule raison que souvent il ne regarde pas en face les objets qui l’entourent. Est-il possible, ai-je pensé, que la nature ait été si avare envers ses enfants pour cacher à jamais la vérité à celui qui s’égare innocemment ? Est-il possible que cette marâtre effroyable nous ait engendrés afin que nous éprouvions les malheurs et jamais la félicité ? Mon esprit frémit à cette pensée et mon cœur la rejeta loin de lui. Je trouvai à l’homme un consolateur en lui-même. « Puissé-je ôter le voile des yeux de la sensation naturelle et je serai heureux ! » Cette voix de la nature résonnait puissamment dans ma chair. Je me réveillai soudain de la désolation où m’avaient plongé la sensibilité et la commisération, je sentis assez de forces en moi pour m’opposer aux égarements et — joie indicible ! — je sentis qu’il était possible à chacun de prendre part au bien-être de ses semblables. »