Le Malentendu
de Albert Camus

critiqué par Lucien, le 29 mai 2002
( - 69 ans)


La note:  étoiles
L'histoire du Tchécoslovaque
Dans «L'étranger», Meursault n’a que peu d’occasions de distraction, seul dans sa cellule. Il partage son temps entre le sommeil, les repas, les besoins naturels, les souvenirs et «l’histoire du Tchécoslovaque». Il a trouvé, entre sa paillasse et la planche de son lit, un vieux morceau de journal jauni relatant un fait divers navrant : un homme parti faire fortune revient au bout de 25 ans, riche et marié, dans son village natal. Pour surprendre sa mère et sa soeur qui tiennent un hôtel, il leur dissimule son identité et prend une chambre comme n'importe quel voyageur. Mais l'histoire se termine très mal : les tenancières assassinent le riche étranger pour le voler. Le matin, la femme arrive, révèle l'identité du voyageur. La mère se pend. La fille se jette dans un puits. Meursault relit des milliers de fois cette histoire qu’il trouve naturelle d’un côté, invraisemblable de l’autre : c’est la définition même de l’absurde. Il trouve que «le voyageur l’avait un peu mérité et qu’il ne faut jamais jouer». ce en quoi il est lui-même absurde car qu’a-t-il fait d’autre? Qu’a-t-il fait sinon jouer sa vie à la roulette russe?
Peu de temps après, Camus donnait une forme théâtrale à ce qui n’est qu'anecdotique dans «L'étranger» : cinq personnages en tout pour un huis clos tendu où l'essentiel tient dans les mots.
Théâtre engagé. Message à faire passer à travers le fils, Jan, celui qui est parti, celui qui a connu le bonheur et l'amour, celui qui a vu la mer et le soleil, l’éternel enfant joueur puni d'aucun crime, innocent sacrifié & si, son crime, le bonheur ; la mère, la pleureuse, l'éplorée, la Pietà, la résignée, belle figure slave, belle et pauvre esclave ; la sœur, Martha, celle qui est restée, celle qui a végété, celle qui n’a pas vécu sa vie, celle qui espère encore, dure, froide, blanche, pure, glacée & Martha, lors de la création en 1944, interprétée par l'amour de Camus, la superbe Maria Casarès ; la femme, Maria, pâle apparition finale, dea ex machina tout juste présente pour faire basculer le premier domino d’une avalanche qui broiera les deux autres femmes ; le vieux domestique, enfin, sorte de Godot présent mais muet, ersatz de dieu méchant qui pourrait tout arrêter mais garde son devoir de réserve, et dont la seule parole clôt la pièce sur une fin de non-recevoir : à la demande d'aide que lui adresse une suppliante et douloureuse Maria, le fantôme inutile répond «d’une voix nette et ferme» : «Non!»
Trois actes oppressants. Si le titre n’était pas pris par Mauriac, on pourrait sous-titrer cette pièce «Le désert de l’amour». Et puis ces dialogues incessants, parfois lourds, destinés à servir une démonstration : le théâtre de Camus a vieilli, beaucoup plus que ses récits.
Le retour de l'enfant prodigue 7 étoiles

Jan décide de retrouver sa mère et sa sœur après 20 ans d'absence. Désormais il est marié. Il souhaite les revoir et leur en faire la surprise. Elles s'occupent d'une auberge. Il décide donc de réserver une chambre pour les approcher. Le reconnaîtront-elles ?
Ce qu'il ne sait pas et que l'on saura très vite, c'est qu'elles tuent parfois certains locataires afin de les voler.

Cette tragédie fonctionne correctement. La mère et la fille sont des avatars d’Oedipe, celui qui ne voit pas la réalité. Elles ne voient ni le frère ni le fils et s'engluent dans leur machination infernale alors que de nombreux indices auraient pu les mettre sur la voie. Le lecteur impuissant détecte les indices et voit la marche infernale du destin. Ces personnages sont condamnés dès le départ et rien ne peut les sauver. La tragédie va plus loin : les personnages ne se voient pas ni ne s'entendent. Jan ne peut parler que comme un simple client, un voyageur et le langage plus intime et plus personnel ne peut être utilisé comme le lui rappelle sa sœur. C'est bien cela qui précipitera les personnages dans un malentendu aux conséquences graves.
On pense souvent à la comédie quand on parle de quiproquo, ici le malentendu est tragique.

Cette pièce n'est pas la meilleure de Camus. "Les Justes" et "Caligula" sont plus efficaces et plus profondes à mes yeux. Il n'empêche que cette pièce de théâtre se lit volontiers et sa gravité ne cesse de questionner l'absurdité de la condition humaine.
Le fait aussi que cette pièce exploite une anecdote narrée dans "L'étranger" la rend intéressante pour le lecteur qui aura été remué et décontenancé par l'univers de ce roman.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 26 juin 2018


L'absurde jusqu'à la cruauté 8 étoiles

Ne pas assez se parler, ne pas dire qu'on s'aime, la réalisation d'instincts primaires peut aboutir à de douloureuses outrecuidances. Telle est, peu ou prou, la morale de cette courte pièce, écho supplémentaire aux Justes, à Caligula et aux oeuvres d'Eugène Ionesco.

Veneziano - Paris - 47 ans - 23 novembre 2011


Une tragédie moderne 9 étoiles

le fils qui veut se faire reconnaître sans dire son nom est tué par sa mère et sa soeur, à la suite d'un malentendu. Comme le rappelle Lucien, ce fait est déjà mentionné dans le roman 'L'Etranger" quand en prison Meursault trompe son ennui en lisant et relisant "l'histoire du tchécoslovaque".
Une très belle pièce de théâtre, à découvrir.

Dudule - Orléans - - ans - 6 février 2010


Le Mal de Martha révélé et entendu par Maria 8 étoiles

Martha (la soeur de Jan) et Maria (la femme de Jan).
Ou, Comment Martha sacrifie toute sa vie pour devenir l'enfant aimée et préférée de sa mère après le départ de son frère.
Quand elle tue ce frère, elle sait très bien ce qu'elle fait. Lorsque Maria croit apprendre à Martha que c'est son frère qu'elle a assasiné, celle-ci réplique "Vous ne m'apprenez rien."

Une bien belle pièce qui dit beaucoup sur les désirs et les frustrations humaines...Et ses conséquences...Où se mêlent identité et violence. Psychanalyse et politique. L'un n'est jamais bien loin de l'autre...

Henri Cachia - LILLE - 62 ans - 15 avril 2009


Diabolique... 10 étoiles

Diabolique, le piège où tombe le malheureux Jan. Une vraie tragédie antique!

Bételgeuse - - 46 ans - 7 décembre 2007


Dis, Lucien ? 7 étoiles

En passant, ta critique t'arrange assez bien aussi dans ton décompte avec Patman... Camus 16, Harpman 13...

Jules - Bruxelles - 80 ans - 29 mai 2002


D'accord avec toi Lucien 7 étoiles

Le théâtre de Camus me semble devoir moins rester parmi ses oeuvres majeures, mais c'est aussi celui d'une époque intense de luttes politiques et d'affrontements entre différentes façon de voir la vie, la politique et l'homme. Cela dit dans ses pièces il explique très clairement sa philosophie de l'absurde. Il est cependant exact que, comme le théâtrede Sartre, c'est plus lourd...
Il est aussi intéressant de voir que cette histoire du Tchécoslovaque revient dans le roman posthume de Camus "La mort heureuse" et là aussi Zaghreus tente son assassin comme s'il voulait vraiment le pousser à le tuer. Là aussi c'est en Tchécoslovaquie que son assassin va d'abord se rendre immédiatement après le meurtre...

Jules - Bruxelles - 80 ans - 29 mai 2002