Le plaisir de la lecture
de Auteur inconnu

critiqué par Catinus, le 20 juin 2011
(Liège - 73 ans)


La note:  étoiles
Virus
Trente-quatre écrivains à travers quarante et un textes nous proposent de décrire ce plaisir si particulier qu’ils ont ressenti quand ils ont plongé pour les premières fois dans la lecture ; ces émotions devant un livre, des mots, des histoires. Soit ils nous parlent de leurs expériences très personnelles, souvent ressenties dès l’enfance, soit ce sont leurs personnages qui nous font vibrer et nous décrivent ce véritable virus qu’est la lecture.

« Fou des livres, mystère de la lecture, lecteur précoce, la grande évasion, pathologie générale du lecteur, forêt de signes, hypocrite lecteur mon semblable mon frère, auteur-lecteur, chacun son territoire, plaisir de la lecture interdite « .

Avec, au pif, Italo Calvino, Ovide, Rabelais, Semprun, Dai Sije, et bien d’autres.


Extraits :

- Anne-Marie me fit asseoir en face d’elle, sur ma petite chaise : elle se pencha, baissa les paupières, s’endormit. De ce visage de statue sortit une voix de plâtre. Je perdis la tête : qui racontait ? quoi , et à qui ? Ma mère s’était absentée : pas un sourire, pas un signe de connivence, j’étais en exil. Et puis je ne reconnaissais pas son langage. Où prenait-elle cette assurance ? Au bout d’un instant j’avais compris : c’était le livre qui parlait. Des phrases en sortaient qui me faisaient peur : c’étaient de vrais mille-pattes, elles grouillaient de syllabes et de lettres, étiraient leurs diphtongues, faisaient vibrer les doubles consonnes, nasales, coupées de pauses et de soupirs, riches en mots inconnus ( … )

( Jean-Paul Sartre : « Les Mots « )

- Le grand-père du romancier Tonino Benacquista, lui, est allé jusqu’à fumer du Platon ! Prisonnier de guerre quelque part en Albanie, un reste de tabac au fond de sa poche, un exemplaire du Cratyle ( va savoir ce qu’il fichait là ! ), une allumette … et crac ! une nouvelle façon de dialoguer avec Socrate … par signaux de fumée.

Autre effet de la même guerre, plus tragique encore. Alberto Moravia et Elsa Morante, contraints de se réfugier pendant plusieurs mois dans une cabane de berger, n’avaient pu sauver que deux livres La Bible et Les Frères Karamazov. D’où un affreux dilemme : lequel de ces deux monuments utiliser comme papier hygiénique ? Si cruel qu’il soit, un choix est un choix. La mort dans l’âme, ils choisirent.

( Daniel Pennac : « Comme un roman « )


- Les droits imprescriptibles du lecteur :

1) Le droit de ne pas lire.

2) Le droit de sauter des pages.

3) Le droit de ne pas finir un livre.

4) Le droit de relire.

5) Le droit de lire n’importe quoi.

6) Le droit au bovarysme ( maladie textuellement transmissible )

7) Le droit de lire n’importe où.

8) Le droit de grappiller.

9) Le droit de lire à haute voix.

10) Le droit de nous taire.

( Daniel Pennac : « Comme un Roman « )


- On ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne , à quoi bon lire ? Pour qu’il nous rende heureux ? Mon Dieu, nous serions tout aussi heureux si nous n’avions pas de livres, et des livres qui nous rendent heureux, nous pourrions à la rigueur en écrire nous-mêmes. En revanche, nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre loin de tous les hommes, comme un suicide. Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.

( Franz Kafka , lettre à Oskar Pollak. )