Pour en finir avec la prison
de Alain Brossat

critiqué par Aubécarlate, le 24 juin 2011
( - 42 ans)


La note:  étoiles
Complaisance avec la Barbarie
Voici un ouvrage clair et synthétique sur la prison. Bien sûr, il y a les témoignages, les enquêtes, il y a également les énormes ouvrages de Foucault, mais comme dit l’amoureux hésitant : tant de livres et si peu de temps.

Les œuvres majeures sur le sujet sont citées dans le livre de Brossat, il n’empêche que sa thèse est à la fois radicale et particulièrement bien argumentée. L’aspect le plus séduisant de l’ouvrage est qu’il sait développer son idée tout en gardant très visible, bien que discrètement, en toile de fond, les discours critiques classiques (juridiques, humanitaires, financiers). Remarquable en une centaine de pages !

Sans prétendre résumer l’ouvrage. Je voudrais attirer l’attention du futur lecteur sur quelques points essentiels développés dans le livre:

- La constitution d’un groupe qui sera tout autre, exclu des forces luttant dans l’ordre existant. Par exemple la manière dont le mouvement ouvrier s’est aussi institué en se séparant du sous-prolétariat. Les « exclus », les « gredins » etc. n’ont pas été considéré par le mouvement ouvrier comme partie prenante de la lutte pour l’émancipation. Du point de vue du pouvoir cela permet de différencier le peuple et la plèbe.
- Comment les thèses juridiques classiques (il faut que les prisons respectent le droit et les droits de l’homme), et les thèses humanitaires (les prisons sont un enfer car les conditions de détention sont abjectes) sont insuffisantes. Ces critiques sont sans cesse renouvelées et sans cesse impuissantes. De plus elles accréditent l’idée qu’il peut y avoir une « bonne prison ». Certes il faut s’insurger contre l’horreur des conditions de détention mais cela ne suffit pas.
- Il y a une dimension proprement politique à ne pas occulter. Cette dimension est aussi à la jonction de la psychologie et de la sociologie. D’un côté l’ordre se protège en séparant radicalement le peuple et la plèbe (division et neutralisation), de l’autre, tout un chacun, par l’exclusion carcérale, la légitimité acceptée de la peine, le détournement du regard (éventuellement la concession d’un regard passagers sur les mauvaises conditions de détention), cherche à conjurer ce qui le rapproche intimement du condamné : le désir d’enfreindre, de contester, la folie qui menace, le désir qui s’emballe, la haine de l’ordre existant (haine toujours à la fois profonde, psychique et générée par l’ordre : agression de la publicité qui nous dit que nous ne valons rien sans voiture, or comme nous sommes pauvres… Rappelons qu’un nombre incroyable de condamnations sont liées à la voiture.)
- La prison reste, même dans nos sociétés envisagées sous la catégorie du biopouvoir, un espace ou le droit du souverain, droit de mort, droit d’exception sur le corps est encore actif.
- La prison est un lieu de déshumanisation, l’isolement radical de la cité, isolement politique au sens lourd (voir les règlements des prisons). C’est une amputation de son humanité (homme animal politique). Ceci ne peut que torturer et détruire le détenu. La peine n’est donc jamais, même de très loin commensurable au forfait.
- Lorsque l’on parle de l’abolition pure et simple de la prison, on nous rétorque : par quoi la remplacez-vous ? Cette question nous oblige à regarder avec l’œil de l’ordre, ce qui est une absurdité. La question n’est certainement pas celle-ci. Et si nous avions des idées elles ne seraient pas là pour « remplacer ».

Pour finr une citation tirée de l’ouvrage :

« L’ordre des choses qui produit la division entre voleurs et volés, « sauvageons » et policiers, rmistes et baron Seillières, Tapie et Ghellam (etc.), nous ne l’avons pas voté. C’est donc un marché de dupes que de nous sommer de nous prononcer sur ce qui est bon pour le maintenir et sur les moyens de punir ceux qui y occupent la position de l’infracteur. Avant de nous poser impérieusement la question « mais par quoi donc voulez-vous remplacer la prison ? » posez-nous donc toutes celles qui précèdent, celles qui ont trait aux fondements de cet ordre qui n’est contractuel que dans les dissertations philosophiques de classes terminales. »