L'archange aux pieds fourchus (Journal 1963-1964)
de Gabriel Matzneff

critiqué par Dirlandaise, le 27 juin 2011
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Mes amis, mes amours, mes...
Comme le temps passe vite en bonne compagnie, je dirais même en excellente compagnie ! Un écrivain aimé et voilà que la vie se pare de couleurs pastel et la grisaille s’estompe pour faire place à un univers radieux et j’exagère à peine… Ce livre est le deuxième tome du journal de l’écrivain controversé Gabriel Matzneff. Je n’ai pas réussi à mettre la main sur le premier tome intitulé « Cette camisole de flammes » alors je me suis résignée à perdre le début mais enfin, c’est un moindre mal. Je connais déjà un peu la vie et l’entourage de monsieur Matzneff donc je n’étais pas trop désorientée. Ayant lu tous ses romans sauf un, j’ai reconnu plusieurs personnages fictifs dans ses relations mondaines et amoureuses.

J’avais quelques appréhensions à débuter cette partie de son œuvre que constitue son journal car je me disais que cela devait être ennuyeux à la longue mais non, avec monsieur Matzneff, l’ennui n’est jamais au rendez-vous car il possède l’art de bien doser faits quotidiens, voyages enchanteurs, réflexions philosophiques et politiques et rendez-vous doux… Donc, ce journal couvre les années 1963 et 64 alors que l’écrivain jouissait d’une jeunesse fougueuse et d’une verve déjà bien affirmée. Et il raconte, raconte… Nous le suivons tout au long de ces deux années alors qu’il rédige ses chroniques au journal « Combats » qui lui valent bien des ennuis et de la haine de la part d’un certain public réfractaire à ses idées. Ensuite, ce sont des liaisons amoureuses compliquées, souvent plusieurs en même temps et cela inclut les deux sexes. Thérèse a la priorité et occupe la première place dans le cœur de l’écrivain mais bientôt, Tatiana, sa future épouse, fait son entrée dans sa vie. Les anecdotes, les rencontres, l’amitié avec Montherlant, première rencontre avec Hergé, de beaux voyages à Prague et en Algérie, des analyses de la situation politique française, son indignation devant les persécutions religieuses en U.R.S.S., la défense de l’Église orthodoxe en France, enfin c’est une foule d’événements bigarrés et parfois rocambolesques qui constituent la trame de ce journal fort bien écrit et très personnel.

J’ai particulièrement apprécié le récit de son voyage à Prague et ses visites de Notre-Dame de Tyn, de Notre-Dame de la Victoire et de la synagogue Vieille-Neuve. Il cite aussi une foule d’écrivains et de théologiens dont entre autres Rozanov. J’ai noté quelques livres cités : « Le brave soldat Chveik » de Hasek, « La face sombre du Christ » de Rozanov, « l’Assomption de l’Europe » d’Abellio et « La Bâtarde » de Violette Leduc. Il y en a beaucoup d’autres cependant car lire Gabriel Matzneff, c’est accéder à un univers dont la littérature et la spiritualité constituent les deux piliers.

J’apprécie la sincérité de l’homme et son honnêteté. Jamais il n’en rajoute, jamais il ne s’accorde le beau rôle, jamais il ne ment pour se faire bien voir comme lorsqu’il mentionne la vie de son père qui a usurpé de titre de comte. Il aurait pu taire ce fait mais non, il avoue humblement que sa famille n’a jamais fait partie de la noblesse. Il avoue aussi le fait que sa famille a tout perdu et lors du décès de son père, il n’a reçu en héritage qu’une énorme dette. Bien sûr, il a ses défauts mais qui n’en a pas ? Peu importe, quand on aime, on accepte tout.

« L’idée du suicide et le désir du bonheur m’obsèdent mêmement. C’est ma secrète balançoire. »

« Prague, rêve de pierre, mais un rêve d’une merveilleuse douceur, avec ses verts sombres, ses ocres, ses rouges, ses masses harmonieuses sabrées d’argent par la Vltava dont les eaux tranquilles bercent pour l’éternité le corps supplicié de saint Jean Népomucène, ses ruelles étroites où les personnages de Kafka nous prennent par la main pour nous conduire vers un Moyen Age idéal, les cloches de ses églises gothiques et baroques, et leurs bulbes byzantins, orgueilleux et tendres comme des seins de femme, sur les ors poudreux de qui le soleil pose la caresse légère de ses rayons obliques. »