Merci à Chene d'avoir appelé mon attention sur ce texte. Il ne figure pas dans l'édition des oeuvres complètes de la Pléiade. On y trouve plusieurs évocations, le texte de la préface, mais pas celui du texte lui-même. Or Giono - ou son éditeur - l'a sous-titré "roman" lors de sa publication en 1937. Encore que je trouve qu'il s'agit plus d'un essai que d'un roman.
Giono lui-même s'en explique clairement dans sa préface. Cet écrit fait suite à la publication de "Que ma joie demeure" et explicite en quelque sorte le propos du roman: l'établissement par Bobi de la joie comme ciment et dynamique d'une communauté paysanne en décomposition. La préface se termine ainsi: "Je donne ce que j'aime à ceux que j'aime. Pour que nous ayons des sacs également chargés. Vers la joie."
Pour lui les constituants de la joie sont les racines et les gestes quotidiens de la vie paysanne, magnifiés dans la deuxième partie du texte. Qui, dans la première, est une critique acerbe et violente de la vie urbaine, à Paris dans ce cas. Pour la suite, c'est un hymne poétique et fleuri à la richesse de la vie à la campagne, telle que la connaissait Giono dans les années 30. Je ne trouve d'ailleurs pas que le langage fleuri et hyperbolique de Giono, avec ses redondances multiples, contribue bien à soutenir ses thèses. Je l'ai malheureusement trouvé plutôt lassant.Qu'aurait-il pensé de l'état actuel de nos campagnes, de nos paysans et de nos villes? (voir à ce sujet "La fin du village" de Le Goff) Il n'empêche que que son illustration de la joie comme moteur de la vie sociale reste puissante. Elle étaie largement les positions de la Confédération Paysanne dont les membres pourraient être des héros de romans modernes. Il s'agit donc d'une thèse qu'il faut conserver vivante, car elle peut encore aider nombre de nos concitoyens. Et c'est d'ailleurs récemment que l'Union Européenne a choisi comme symbole "L'Hymne à la Joie " de Schiller-Beethoven de la 9° symphonie de celui-ci. Mais pense-t-on beaucoup à la joie dans les bureaux de Bruxelles?
Remarque: ce n'est pas à Beethoven que Giono pensait en choisissant le titre "Que ma joie demeure", mais à Bach. Le titre exact vient du choral "Jesu bleibet meine freude" extrait de la cantate BWV 147 dont la traduction habituelle en français est "Jésus, que ma joie demeure", comme Giono l'a entériné. Or la traduction exacte me paraît être: "Jésus, demeure ma joie", infiniment plus religieuse. Ainsi est confirmé par un détour linguistique le caractère panthéiste naturaliste de Giono.
Falgo - Lentilly - 85 ans - 7 octobre 2017 |