Tonbo de Aki Shimazaki

Tonbo de Aki Shimazaki

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Camarata, le 12 juillet 2011 (Inscrite le 13 décembre 2009, 73 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 301ème position).
Visites : 5 287 

Le bentô convoité de Jirô

Sur un ton paisible et tranquille, dans un style limpide et naturel, le narrateur Nobu TSUDONA, petit professeur raconte l’histoire de sa famille, une famille japonaise ordinaire. Il se lance sans en avoir l’air dans une recherche sur la mort de son père, professeur également, qui s’est suicidé plusieurs années auparavant.
Nobu tient une école privée (juku)qui enseigne la langue japonaise ,sa fille lui a inspiré le nom de l’école « Tombo »qui veut dire libellule et Japon également car il se dit que l’empereur Jinmu aurait comparé la forme du japon à l’accouplement de libellules.

Avec beaucoup de sensibilité il évoque ce père introverti, honnête et passionné par son travail d’enseignant, qui par fidélité à ses valeurs et à sa mission, prend position dans un conflit contre un élève riche et puissant. L’issue en est dramatique, il est démis de ses fonctions et se suicidera.

« Je reviens à la cuisine je réchauffe les restes de la veille : riz au curry et soupe aux palourdes . Il y a aussi une salade mélangée. L’odeur du curry envahit la pièce. Je prends d’abord la soupe. A ce moment je revois le visage de mon père s’exclamant : « Ah des palourdes ! C’est l’odeur du printemps ! » Je reste pensif quelques instants. Lorsque j’entame la salade je me rappelle l’histoire du bentô de Jirô. Demain Jirô doit venir au Juku à seize heures trente. « Que va t-il me raconter ? » Je mange en écoutant le tambourinement de la pluie. »


Nobu va engager comme professeur de musique Jiro ancien élève de son père. protagoniste du drame qui bouleversa la vie de son père. Par petites touches la réalité prend forme, la vanité, la cruauté, la lâcheté des hommes qui ont permis et précipité la mort de cet homme doux et intègre.
Bien que le sujet soit dramatique, le récit n’est teinté d’aucune amertume ni désir de vengeance, au contraire plus Nobu progresse dans la vérité et plus on ressent une sérénité, une plénitude étonnante. On apprend beaucoup sur la vie quotidienne au Japon, les moeurs, les tabous, les conventions sociales, un beau livre calme sur une histoire pleine d’avidités et de lâchetés humaines.

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Nobu après avoir essuyé le rejet d’une grande entreprise commerciale, fonde en 1981, en banlieue de Tokyo un « juku », établissement de qualité pour la préparation des examens d’état. C’était le rêve de son père défunt. La fibre de professeur renait. Nobu est un industrieux défenseur de la culture et de la langue japonaise. Il semble pourtant éteint.

Hasard ou symbole de filiation : sa fille n’avait que trois ans lorsqu’elle lui fit choisir le nom de "Tonbo" libellule, et aussi le nom poétique du Japon, pour son établissement. Clin d'œil inconscient aux insectes que son père biologiste allait observer au fil de les ruisseaux.

Six ans plus tard, la visite inattendue d’un ancien élève de son père, Jirô Kanô, réveille le souvenir du terrible suicide du père, injustement accusé à l’époque d’avoir provoqué par une gifle, la mort d’un élève rebelle. Toute une histoire de harcèlement scolaire entre élèves est mise à jour. Le thème de la fatalité et de la cruauté du bourreau envers sa victime est explicité avec pudeur. Le coeur de Nobu se remet à battre.

La présence constante du regard de l’autre, les particularités de la culture japonaise, l’emprise des liens familiaux, le deuil, le respect sont autant de thèmes traités aussi avec grande sensibilité par l’auteure. Jirô Kanô en confiant à Nobu sa part de responsabilité dans le drame se libère enfin et lui fait comprendre quel point il respectait son père. Cette clé indispensable qui lui manquait donnera à Nobu l'occasion de faire enfin son deuil et de retrouver à la fois le chemin de la vie auprès de ses proches et la sérénité. Quant à la fuite de Jirô, toujours vers le nord comme une « libellule blessée cherchant à effacer de sa mémoire tous les noms des endroits qui la tracassaient », elle exprimait bien son désordre intérieur. Il aura fallu des années avant que Jirô Kanô ne puisse s'extraire de la chrysalide du remords délétère enraciné dans la fatalité, "l'innen" et se délivre par la confession.

Les libellules « tonbo » si chères au père de Nobu, arrivent de l'Asie du Sud-Ouest. Leur vol aveugle les conduit dans le froid glacial du Nord du Japon où elles meurent. La chanson populaire que chantonnait jadis le père de Nobu et que chantent aujourd'hui sa femme Haruko et ses enfants est un fil conducteur prémonitoire. « Les lunettes des libellules sont des lunettes brillantes car elles regardent le soleil » dit la chanson, mais des lunettes aveuglantes. La métamorphose est nécessaire: « Les hommes des romans d’ Aki Shimazaki sont marqués d'une douloureuse frilosité, sont saisis de balbutiements moraux, s’essaient à de timides envolées vers un avenir incertain, souvent prisonniers d'un flot de silence. Les femmes enrichissent leurs désirs personnels d'une certitude affective qui leur est propre et nécessaire pour survivre aux pires tragédies. C'est ce qu'apprendra Nobu après que Jirô Kanô lui eût dessillé les yeux, étonné qu'une partie du monde qui l'entoure soit encore vivable, empreint d'une générosité qu'il ne soupçonnait pas, sa souffrance ayant réduit son existence à un univers restreint, opaque. »

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