Je me souviens...
de Boris Cyrulnik

critiqué par Marvic, le 16 juillet 2011
(Normandie - 66 ans)


La note:  étoiles
Juste quelques souvenirs
Ce ne sont pas les quelques dizaines de pages retraçant succinctement l'enfance de M. Cyrulnik qui nous permettront de le connaître complètement.

Le célèbre psychiatre retourne sur les lieux où il a vécu des événements dramatiques avec l'aide de Philippe Brenot.
Il va rechercher les lieux et éventuellement les personnes qui ont été les témoins de ses placements, de son arrestation, de son évasion alors qu'il n'était qu'un petit garçon entre 6 et 10 ans.

Il n'est pas là pour porter le moindre jugement sur le comportement des personnes pendant la guerre mais pour oser confronter, si possible, ses propres souvenirs avec la réalité.

Le début du récit relate l'entrée des allemands dans Bordeaux qu'il ressentait comme une fête sans comprendre pourquoi les gens pleuraient autour de lui.
Viennent ensuite quelques anecdotes sur son placement dans une ferme à Pondaurat, où il découvre que finalement il a passé deux ans.
« Les coups, ça ne fait mal que sur le moment, alors que l'humiliation, ça fait souffrir en permanence dans la représentation que l'on en a.
Quand plus tard, j'ai compris que les gens qui m'hébergeaient touchaient de l'argent, ça m'a profondément libéré. S'ils gagnaient leur vie, je n'étais pas en dette avec eux.
De cette époque, où j'étais dans une stratégie de survie, je n'ai aucun souvenir d'émotion. Or il est impossible que je n'en aie pas eu! C'est pour cela que je n'arrive à parler de moi qu'à la troisième personne, pour cette raison que je ne peux faire d'autobiographie qu'en semblant parler d'un tiers... parler de moi, c'est trop difficile, c'est retrouver « l'émotion enfouie ».

La difficulté d'être cru tant son histoire était incroyable a aussi participé à son mutisme par rapport à son passé.
« Pendant longtemps j'ai renié cette partie de mon histoire, c'est-à-dire que je m'arrangeais pour « penser en avant »... Ce procédé est un mécanisme de défense très efficace, mais terriblement couteux. »

Viendra ensuite la rencontre avec une infirmière qui l'avait aider à s'évader et la surprise de se souvenir d'une grande dame blonde alors qu'elle était brune et d'y avoir associé un environnement logique et surtout viable pour un petit garçon qui ne pourrait découvrir et accepter la vérité que des dizaines d'années plus tard.
Le jeune Boris avait fait de son « oubli » une « stratégie d'existence »
Comment un petit garçon pouvait-il comprendre que ce sont des adultes français ou allemands, nombreux et armés qui venaient l'arrêter?
« En fait dans mon enfance, j'ai certainement fait un travail de transformation de mes blessures et par la suite, j'ai fait quelque chose de cette enfance fracassée. Ça m'a rendu complètement psychiatre... »

Mais la victoire, l'évasion possible, la non-acceptation des événements ont été possibles grâce aux premières courtes années qu'il a passées avec sa maman qui lui a transmis quelque chose de sécure lui permettant d'être un enfant gai et de se dire qu'il y avait toujours une solution même à des problèmes invraisemblables.

C'est par petites touches que le célèbre inventeur de la résilience se livre. On perçoit l'appréhension de confronter souvenirs et réalité et surtout la peur de faire resurgir des émotions occultées pendant si longtemps.
Quelques pages qui permettent de comprendre cet homme formidable malgré une impression de « trop peu » pour comprendre complètement ce qui a permis un tel parcours professionnel.
L'histoire d'un aidant 10 étoiles

Ce petit livre où, en quelques dizaines de pages comme l’écrit Marvic, Boris Cyrulnik se livre enfin, et se délivre un peu de cette enfance soigneusement cachée, est important. Important pour l’auteur bien sûr puisqu’il parvient à retrouver (après de longues années) des épisodes de sa vie qui ont certainement conditionné toute son action future, mais important aussi pour nous. Car Boris Cyrulnik, cet « aidant » continue à nous aider en s’aidant. On apprend qu’on peut souffrir sans s’en souvenir, qu’on peut haïr sans émotion, que l’instinct de survie est plus fort que tout et surtout que le traumatisme ne procure pas irrémédiablement des séquelles pour qui sait, et lui a su déjà tout petit, aller en avant envers et contre tout. Ce pouvoir de la résilience il l’avait en lui ou alors, c’est ce qu’il a vécu enfant qui lui a permis de l’acquérir. Comment avec l’horreur vécue, l’injustice subie, non seulement on peut continuer à vivre mais on peut les transformer en un don pour aider les autres!
Boris Cyrulnik se dévoile, mais pas totalement , il y a encore du travail à faire on le sent.
Lui-même, dès qu’il commence à remonter dans ses souvenirs a du mal à se comprendre. Et c’est cette recherche qui est précieuse, car si elle n’est jamais vraiment terminée, elle est un moteur pour survivre, combattre, expliquer, comprendre et surtout se guérir. Ne jamais se laisser écraser par des épreuves qui, sur le moment paraissent incompréhensibles mais qui ne seront pas insurmontables si on ne laisse pas les sentiments nous affaiblir. Mais après, il faut y revenir, aller dénicher ce qui est enfoui pour mieux se comprendre et se libérer.
L’histoire de ce petit garçon est extraordinaire ; l’auteur nous la livre dans une simplicité totale, avec humilité mais avec une force et une grandeur qui n’appartiennent qu’à lui.

Pieronnelle - Dans le nord et le sud...Belgique/France - 77 ans - 16 juillet 2011