Nedjma
de Yacine Kateb

critiqué par Débézed, le 17 juillet 2011
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Etoile filante
Dans ce texte qui s’enroule comme une rapsodie quatre jeunes Algériens trouvent un travail, dans le bled à proximité de Bône, mais le perdent très vite pour cause de violence envers le chef du chantier et de meurtre d’un riche entrepreneur lors du mariage de celui-ci avec la fille du chef molesté. L’un en prison, l’un évadé, l’un lors de discussions sur les bords de la rivière locale, l’autre dans son journal intime, recensent les morceaux de leur histoire personnelle pour reconstituer la vie qu’ils ont menée depuis qu’ils ont quitté leur famille qui vivait paisiblement dans le bled avant que les colons ne déroulent la chaîne de la haine : spoliation, humiliation qui génèrent haine et violence.

Ainsi dans ce récit polyphonique, ils finissent par comprendre qu’ils appartiennent tous au même clan qui s’est divisé en quatre parties et aussi qu’ils ont tous été amoureux de Nedjma, cette fille évanescente, inaccessible, qui symbolise l’Algérie qui n’est pas encore un pays et qui n’est même pas encore en état de devenir un pays : l’allégorie de l’Algérie immature pour prétendre devenir un pays stable et fort.

Dans ce texte un peu hermétique, difficile à pénétrer, mais d’une grande richesse et d’une très forte exigence, qu’il ne faut pas aborder avec notre cartésianisme européen mais plutôt avec la spirale de l’esprit oriental, on trouve un tableau sévère, mais lucide, de cette Algérie qui n’est pas encore un pays et qui n’est même pas en état d’en devenir un. Mais, qu’il faudra bien qu’elle devienne cependant car l’humiliation et la spoliation ont jeté le ferment de la haine et les riches paysans déchus errent en ville où ils perdent leurs rites et leur culture dans une débauche nocive.

«Les fils des chefs vaincus se trouvaient riches d’argent et de bijoux, mais frustrés ; ils n’étaient pas sans ressentir l’offense, sans garder au fond de leurs retraites le goût du combat qui leur était refusé ; il fallut boire la coupe, dépenser l’argent et prendre place en dupes au banquet ; alors s’allumèrent les feux de l’orgie. »

Ainsi, avec son écriture multiforme : de la description à la poésie en passant par la narration et la démonstration, l’auteur montre la décomposition de la société algérienne qui obligera la nouvelle génération à puiser dans les traditions tribales pour retrouver l’unité nécessaire à la reconstitution d’un pays libre et fort. Et au milieu de tout ça, Nedjma est l’icône, le symbole de tout ce que ces jeunes recherchent : l’amour, un travail pour vivre décemment, la liberté, un pays pour les protéger, … mais tout cela semble vouloir se dérober sans cesse comme la belle qu’ils voudraient ravir car le rapt est très présent dans ce livre comme dans les mœurs du peuple décrit par l’auteur.
L'étoile d'un écrivain 9 étoiles

Nedjma est l'oeuvre de l'écrivain algérien Kateb Yacine dont la lecture n'est pas aisée. L'intrigue dans ce roman se déplace dans le temps, vers l'avenir ou le passé d'une manière floue et confuse. Il n'y a pas de linéarité dans le récit encore moins d'ordre chronologique. Le récit n'est pas difficile à suivre au début , c'est par la suite que cela se complique d'une manière à donner envie de le lire et le relire. Toujours est-il que Nedjma c'est d'abord l'histoire transposée de l'écrivain lui-même qui vécut un amour impossible dans sa jeunesse du fait que la femme qu'il aimait était mariée et donc imprenable surtout dans le contexte de l'époque puisque cela se passe durant la colonisation française en Algérie. Cet amour impossible et idéalisé va prendre les contours d'un symbole et Nedjma qui en s'identifiant à l'Algérie sera cette femme qui se cherche et que l'on cherche. Elle est jalousée, aimée par quatre personnages unis par le même idéal : celui de la libération de l'Algérie. Donc Nedjma deviendra source de conflit et facteur de division mais pas au point de provoquer une fracture dans les rapports entre les différents rivaux. Nedjma c'est donc à la fois une femme et un pays. C'est un roman à lire avec beaucoup de sagesse et de lucidité. Bonne lecture donc.

Kamel kies

KAMEL KIES - - 71 ans - 3 janvier 2013