Voyage à la Havane
de Reinaldo Arenas

critiqué par Septularisen, le 25 août 2011
( - - ans)


La note:  étoiles
LA FACE OBSCURE DE CUBA
On ne présente plus Reinaldo ARENAS, l’auteur du livre autobiographique «Avant la nuit», (déjà critiqué par ailleurs sur CL), duquel nous retrouvons dans ce petit livre trois nouvelles.

Dans «Tant pis pour Eva» un couple tragicomique sublime son existence et s’invente une nouvelles vie, par la création de tenues de plus en plus voyantes et de plus en plus excentriques… L’histoire nous est racontée par l’héroïne (on comprend très vite que son partenaire Ricardo l’a quittée…) n’est qu’un long monologue où elle se remémore leurs années de folies où avec des tenues de plus en plus bariolées et hautes en couleurs, ils débarquent aux fêtes organisées par la dictature militaire ou dans des cafés, des hôtels, des dancing, pour être admirés par le plus de personnes possibles…

«Mona» écrite à Miami en 1986, se déroule dans un futur proche (en 2025) des éditeurs nous présentent un curieux manuscrit écrit par un certain Ramon Fernandez dans la prison de New York, quelques jours avant d’être mystérieusement assassiné. Le livre raconte l’histoire d’une mystérieuse jeune et jolie femme que son auteur a rencontré à son travail.
Celle-ci se révèle en fait très vite être une nymphomane qui possède une étrange ressemblance avec la Joconde, le tableau qui est justement exposé à ce moment là à New York..

«Voyage à la Havane», nous raconte la vie d’Ismaël, homosexuel refoulé dans le Cuba des années 70, pour faire bonne figure et être «comme tout le monde», il s’est marié avec Elvia et à eu un fils Ismaëlito. Un soir lors d’une absence de sa femme, il a une aventure d’une nuit avec une jeune homme rencontré dans la rue. Mais peu après celui-ci l’accuse de viol… S’ensuivent un procès et une condamnation à plusieurs années de camp. Après purgé sa peine et avoir été expulsé de l’île, Ismaël vit depuis plus de vingt ans à New York et est devenu citoyen Américain… Mais un jour il reçoit une lettre de sa femme qu’il n’a plus revue depuis son procès, où elle lui demande de revenir dans l’île…

Des trois nouvelles toutes écrites d’une écriture flamboyante et très belle, je dois avouer avoir préféré «Mona», pour l’inventivité sans limites de Reinaldo ARENAS…
Le plus intéressant, dans ce livre, étant de voir l’évolution du style et de l’écriture de l’auteur dans ces trois nouvelles écrites à plusieurs années d’intervalle.
En effet si «Tant pis pour Eva» date de 1971 époque à laquelle l’auteur vivait encore à Cuba et reflète la vie de l’auteur dans cette île, on y retrouve p. ex. beaucoup de noms de villes de l'île, la nouvelle «Voyage à la Havane» a elle été écrite entre 1983 et 1987, c'est-à-dire au moment où l’auteur vit déjà à New York depuis plusieurs années et l’auteur nous décrit donc beaucoup plus la ville de la côte est des Etats-Unis…

L’évolution du style est vraiment très impressionnante aussi. On passe d’une nouvelle plutôt compliquée mais avec une trame très simple, remplie de détails et de noms qui n’ont pas grand intérêt et n’apportent rien au récit, (cette nouvelle aurait d’ailleurs aisément pu faire quelques dizaines de pages en moins…) à une nouvelle ou le style est dépouillé, direct, sans fioritures, très facile à lire, malgré une trame complexe avec de nombreux rebondissements dans l’histoire et même des réflexions philosophiques…

Reste bien sûr derrière les écrits, l’écrivain… Cubain avant tout (véritable pendant à Pedro Juan GUTTIEREZ l’autre grand écrivain Cubain, qui lui vit toujours dans l’île…) qui nous parle avec talent et avec tout ce que cela peut comporter comme excès de sa soif de vivre, de sa sexualité débridée, de la beauté des paysages et des plages de son île, de son exil, de son retour impossible en arrière…

Un livre à lire donc ne fut-ce que pour découvrir un écrivain qui mériterait d’être beaucoup plus lu et connu!...
Cuba no 9 étoiles

En 1990, quelques semaines avant le décès par suicide de Reinaldo Arenas qui se sait atteint du sida, paraît la traduction française de son Voyage à la Havane, recueil de trois nouvelles qui ne donne pas, loin s’en faut, une image idyllique de Cuba et à la lecture duquel on comprend que la Révolution a vite dégénéré en un régime étatique fort.

Dans la première nouvelle, une femme mariée à un homme qui la délaisse (au profit des hommes) ne cesse de tricoter des habits de lumière pour elle et son mari afin qu’ils se produisent dans tout Cuba et s’attirent lors de leurs exhibitions les envies des spectateurs. Ce statut de célébrité à la petite semaine lui évite de voir la réalité de son couple et par la même du pays (la métaphore est flagrante) où, derrière les faux semblants et les habits de lumière, se tapit une misère économique et idéologique grave qu’il vaut mieux éviter de regarder en face si on ne veut pas verser dans la mélancolie.

Dans la seconde nouvelle qui se déroule à New York, une brève annonce que Mona Lisa, lors de son exposition en 1986 au Metropolitan Museum of Art, a été sur le point d’être saccagée par un Cubain dérangé. Ensuite on a droit à la version l’auteur de la tentative d’attentat qui se raconte dans une lettre adressée à un ami. Dans sa paranoïa, il finit par voir la réincarnation de la femme aimée passionnément dans le modèle de la toile du génial peintre homosexuel. Là aussi, ce récit délirant est à l'image du déni d'une société et de ses habitants qui favorisent les constructions imaginaires pour ne pas avoir à affronter le réel.

La dernière nouvelle est la plus remarquable, la plus emblématique et certainement la plus en phase avec la vie et les préoccupations de Reinaldo Arenas qui a été expulsé de Cuba en 1980 et a trouvé refuge à New York puis n'a cessé jusqu’à sa mort de vilipender le régime cubain tout en se désespérant de ne pas avoir connu un Cuba libre, comme il l'écrira:

« En raison de mon état de santé et de la terrible dépression qu'elle me cause du fait de mon incapacité à continuer à écrire et lutter pour la liberté de Cuba, je mets fin à ma vie [...] je veux encourager le peuple Cubain dans l'île comme à l'extérieur, à continuer le combat pour la liberté. [...] Cuba sera libérée. Je le suis déjà. »

La nouvelle, elle, commence par la réception d’une lettre de l'épouse d’un exilé cubain, qu’il n’a plus vue depuis 15 ans, qui l’incite à faire le voyage de retour à La Havane pour revoir leur fils. Là, il rencontre un jeune homme qui pourrait être son fils et qui n’aspire qu’à quitter l’île en proie à un délire bureaucratique, à une perversion des idéaux révolutionnaires des débuts, à une confiscation de toutes les libertés au profit de quelques-uns et régi par un système de contrôle maladif…

Jeux sur les identités sexuelles, sur les affres de l’exil, le tout indexé à une détestation (aux accents parfois proches d’un Thomas Bernhard) d’une révolution présentée (jusqu’à aujourd’hui) comme un modèle par les croyants à bon compte en un régime unique et providentiel qui réaliserait toutes leurs aspirations utopiques et qui se serait providentiellement incarné dans cette île des Caraïbes le 1er janvier 1959.

Reinaldo Arenas donnera à titre posthume son grand roman, Avant la nuit, qui paraît chez Actes Sud en 2000 et qui fait la même année l'objet de l’adaptation au cinéma par Julian Schnabel avec Javier Bardem.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 17 avril 2017