Notre assassin de Joseph Roth

Notre assassin de Joseph Roth
(Beichte eines Mörders, erzählt in einer Nacht)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Jlc, le 21 septembre 2011 (Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans)
La note : 7 étoiles
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Diabolique vanité

Joseph Roth est un conteur hors pair et il nous le prouve une fois encore avec cet étrange assassin. Roth était un personnage tourmenté et son principal personnage, Golubtschick qui veut dire « Petit pigeon » en russe, l’est aussi. Roth s’était exilé à Paris, son héros également. Ils ont l’un et l’autre sombré dans l’alcool. Mais Golubtschick n’est ni le modèle ni le double de son créateur.

« Notre assassin » est la confession d’un homme à la recherche de son identité véritable, non pour retrouver ses racines mais réclamer son dû. Golubtschick, un nom qui prête à toutes les moqueries et humiliations, apprend très jeune qu’il est la conséquence du droit de cuissage exercé sur sa mère par Krapotkin, prince russe « inconsistant et fini » de la fin du dix-neuvième siècle. Il n’a dés lors de cesse de vouloir intégrer le monde aristocratique de son père biologique. Pour l’y retrouver il part à Odessa où il fait la connaissance de Latakos, agent de la police secrète du tsar et qui va devenir son mauvais génie, le conduisant vers l’enfer, mais « un enfer parfumé ». Il rencontre le Prince, « rusé comme un renard mais froussard comme un lièvre ». Celui-ci l’éconduit avec l’aide d’un garçon qui se prétend son propre fils. « Si vous êtes véritablement mon fils, je vous ai bien mal réussi, car vous êtes bête, tout à fait bête »- Toutefois, le prince, comme il le fait à tous ceux qui se réclament de lui, offre une tabatière en or fabriquée en série par un orfèvre vénitien. La vente nécessaire de cet objet et la reconnaissance de ne rien réclamer au prince lui permettent, après quelques péripéties d’intégrer la police secrète. C’est l’opportunité de se venger de tous ceux qui ne veulent pas le reconnaître. « La haine me tenait lieu d’intelligence, comme il arrive souvent ». Il se livre à toutes sortes de saletés avec plus ou moins de succès, machinations, truquages, instrumentalisations, mais il retient bien les leçons de ses maîtres : Se taire, écouter, se taire, écouter. Se voulant victime d’une injustice, il s’arroge « le droit imprescriptible à faire le mal ». Diaboliquement vaniteux, il exècre d’être un prince authentique certes, mais anonyme.

Saint Petersbourg est, en cette fin de siècle, le siège d’une cour brillante où les artistes français se rendent pour vendre leurs œuvres. Ainsi en est-il d’un couturier qui y présente sa collection portée par des mannequins dont Lutetia que Golubtschick croit aimer et veut surtout posséder ; d’autant qu’elle fréquente intensément celui que notre héros considère comme son demi-frère. Ce désir va contrarier sa carrière et son patron lui rappelle que pour devenir grand et puissant, il faut n’éprouver ni haine ni amour, il faut renoncer au plaisir et ainsi éviter la douleur, ignorer la jalousie en ne tombant pas amoureux. Il est donc condamné « à l’amour perpétuel » : aller à Paris où Lutetia est retournée, son amant aussi, pour y espionner les « libéraux » et les Juifs. Golubtschick découvre, avec effroi, que ses faux papiers sont au nom de Krapotkin. « Incapacité d’être l’un et l’autre », « ce que je voulais c’était d’être plus fort que moi ». La fin de cette confession vous dira s’il y est parvenu.

Ce roman, très bien écrit, est d’une lecture agréable. Roth y déploie son talent de conteur mais aussi de moraliste en portant un regard aigu et lucide sur le monde qu’il décrit. Tous ces personnages appartiennent à un univers qui se désagrège et ce n’est pas un hasard si le livre s’achève sur l’assassinat de Jaurès et le début de la guerre de 14. On y trouve aussi des réflexions plus personnelles, plus psychologiques telles le boiteux Latakos qui « fait de sa disgrâce une élégance », où ces jolies remarques sur l’amour qui parfois « se manifeste par la jalousie » et s’achève en « une haine délicieuse ». Au final ce roman est d’abord celui du mal de vivre et c’est ce qui en fait notamment l’attrait, 75 ans après son écriture.

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