Le sas de l'absence
de Claude Pujade-Renaud

critiqué par Isis, le 10 octobre 2011
(Chaville - 79 ans)


La note:  étoiles
D’une rive à l’autre...
Claude Pujade-Renaud revit ici, à travers ses trois personnages anonymes du «père», de «la mère» et de «la fille», les neuf mois qui précédèrent la disparition, à huit semaines d’intervalle, de ses parents, devenus peu à peu séniles.
Une gestation avant-coureuse de la mort et non plus de la vie, que l’auteur appelle si joliment «le sas de l’absence».
Ce retrait des sens et du monde réel qu’elle a vécu en direct, pendant plus de six ans pour sa mère et quelques mois seulement pour son père constitue toujours une lourde épreuve pour l’entourage ; l'auteur décrit ici, en quelque cent trente pages, cette lente descente dans l’abîme de la démence sénile avec beaucoup de pudeur et de tendresse, même si le réalisme de certaines scènes se situe parfois à la limite du supportable.
Ce très beau livre sur «le naufrage de la vieillesse» permit en tout cas assurément à «la fille» de réaliser son travail de deuil et d’accoucher, selon ses propres dires, de son ouvrage préféré.
Claude Pujade-Renaud retrace ainsi, pas à pas, cette inéluctable inversion des rôles, lorsque l’enfant devient le nourricier de ses propres parents et démontre comment l’épuisement du conjoint le plus valide conduit ce dernier -ici, le père- à s’éteindre le premier, cette ironie du sort lui épargnant au moins de voir mourir celle qu’il aimait tant.
Si le thème de cet ouvrage est particulièrement poignant, la présentation très fragmentée et scandée en courtes scènes de vie et billets d’humeur, émaillés de jeux de mots et empreints d’un humour délicat, ménage au lecteur des pauses réconfortantes, voire drôles. Tel, ce passage où le père, lui aussi rattrapé par la démence, se croyant ici à Nancy, là à Lyon, déclare à sa fille le plus sérieusement du monde «pourvu que ta mère (déjà sénile depuis plus de six ans,rappelons-le) n’aille pas perdre la boule avec tous ces déplacements que nous faisons»...
Un témoignage bouleversant sur la fin de vie, lorsque le passage sur «l’autre rive» ici, plus lent que pour d'autres, est précédé d’une perte de conscience progressive, sans être pour autant fatale.