Journaux de guerre : Tome 1, 1914-1918
de Ernst Jünger

critiqué par Vince92, le 8 août 2013
(Zürich - 47 ans)


La note:  étoiles
La guerre de 14 vue par un lansquenet.
Le titre de ce receuil de textes d'Ernst Jünger sur la première guerre mondiale est assez trompeur, il ne s'agit pas de journaux au sens auquel nous l'entendons souvent.

Au lieu de cela, nous trouvons dans ce livre plusieurs genres: mémoires (Orages d'acier, Le boqueteau 125, Feu et sang, la déclaration de guerre de 1914), des essais (Le combat comme expérience intérieur, Feu et mouvement) et même un roman (Sturm).

Cette édition de la Pléiade est admirablement servie par un appareil critique remarquable de Julien Hervier. Les notices de fin d'ouvrage sont souvent très intéressantes et éclairent le contexte de l'écriture. On trouve les traditionnelles notes qui complètent les différents textes du recueil et qui sont le plus souvent pertinentes et éclairantes. Enfin, un petit lexique des termes militaires permet au néophyte de la période de comprendre plus facilement certains passages "techniques".

Ernst Jünger est indubitablement victime de sa réputation de révolutionnaire-conservateur. Se prises de positions politiques le placent du côté des vaincus de l'histoire... on assimile souvent cet auteur à un écrivain du pouvoir nazi malgré le fait qu'il a souvent montré son opposition au régime et qu'il a même failli subir les conséquences de la publication de son ouvrage-maître, Sur les falaises de marbres, critique virulente, quoique imagée du totalitarisme nazi.

Quel dommage de se priver de la lecture de cet auteur au style impeccable, très subtil et penseur majeur du XXe s.

Ses écrits de guerre sont remarquables, autant le triptyque de mémoires (Orages d'acier, le plus connu a même été salué par Gide comme le meilleur récit de guerre), que les deux essais, l'expérience de l'homme au combat et sa nature ontologiquement belliqueuse (La guerre comme expérience intérieure) et Feu et mouvement, un petit essai de polémologie ou l'on sent déjà la place que la technique va prendre dans la pensée de l'auteur par la suite (il développera ce thème dans le travailleur). Le roman, Sturm, est un peu moins bon à cause d'artifices littéraires assez grossiers (mise en abîme, délaiement de l'action).

A la veille des commémorations du grand carnage de 1914, il est salutaire de lire un point de vue intelligent et qui a le mérite de se placer du côté "ennemi". Loin des pensums sur le sujet qui ne manquent pas de fleurir (je pense à "14 " d'Echenoz), on comprend beaucoup plus aisément pourquoi des millions de personnes ont continué à se battre malgré la mort, les privations et les horreurs de cette conflagration (ré-)génératrice du XXes.