Habibi de Craig Thompson

Habibi de Craig Thompson

Catégorie(s) : Bande dessinée => Adultes , Bande dessinée => Légende, contes et histoire , Bande dessinée => Divers

Critiqué par Shelton, le 24 octobre 2011 (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 68 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 101ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 6 354 

Une merveille !!!

« Habibi » est un livre hors du commun, un de ces ouvrages que la bande dessinée produit par intermittence pour le plus grand plaisir des lecteurs curieux qui refusent de se laisser enfermer dans les séries parfois trop stéréotypées. Dans ces ouvrages, joyaux sublimes de l’écriture du neuvième art, on peut classer et déposer respectueusement Le sommet des dieux, Pilules bleues, Blankets, manteau de neige, Portugal, Kiki de Montparnasse, Fun home, Les dix commandements, Quintett, Les bijoux de la Castafiore, et chacun pourra compléter la liste avec ses coups de cœurs et des émotions fortes…

Ce qui semble certain, par contre, c’est que Craig Thompson apparaît pour la seconde fois dans ce choix qualitatif. Avec « Blankets, manteau de neige », il avait fait très fort, placé la barre très haut. C’était pourtant une autobiographie, on y parlait d’une éducation austère et sectaire dans un milieu évangélique, d’une première histoire d’amour, d’une jeunesse assez banale pour des milliers d’Américains… Rien de bien extraordinaire ou sexy comme on dirait aujourd’hui. Un dessin intéressant, une narration graphique qui ne laissait personne indifférent et une poésie des mots et des sentiments qui allaient bouleverser tous les lecteurs et critiques. Oui, c’était presque du génie à l’état pur !

Immédiatement, certains se demandaient s’il serait possible à cet auteur de nous offrir une histoire aussi belle et forte. Il y a quelques semaines, j’évoquais Craig Thompson avec des amis et nous nous disions, sans savoir que « Habibi » était sur le point d’arriver, que probablement cette étoile qui avait illuminé le ciel du neuvième art s’était éteinte à tout jamais. Que voulez-vous, aussi longtemps sans production, le filon devait être épuisé…

Et c’est alors que « Habibi » est arrivé sur ma table de chevet ! Cette fois-ci, il quitte l’autobiographie et plonge dans un autre genre, celui des contes orientaux enchâssés, encastrés, imbriqués les uns dans les autres. Hommage aux Mille et une nuits, coup de chapeau à une culture sous-estimée par les Américains, voyage exotique où l’auteur éprouve autant de plaisir que les lecteurs… Oui, « Habibi » c’est un peu tout cela et même plus, beaucoup plus !

C’est une histoire profondément humaine, celle d’une femme que l’on classerait rapidement dans les prostituées, et celle d’un homme qui lui appartiendrait aux eunuques, si toutefois cette catégorie vous évoque une réalité. Mais dit comme cela, « Habibi » perd de son charme et vous passez à côté d’une magnifique histoire d’amour et de fidélité ! Quoi prostitution et fidélité dans le même récit, n’y aurait-il pas quelques paradoxes ? Non ! Juste une histoire de Craig Thompson à dévorer avec passion…

Au départ, Craig a envie de découvrir le Coran. Ne parlant pas arabe, il le lit en anglais et en perçoit immédiatement la poésie et la profondeur humaine. Naturellement, il construit tous les liens entre Judaïsme, Christianisme et Islam. Le Livre est là ! Et il va rythmer tout le récit, pas d’une façon fondamentaliste, ce serait trop absurde, mais bien comme une rampe de pensée humaniste qui empêche l’être humain de chuter trop profondément…

Dans cet album, je ne sais pas si le mot correspond parfaitement à l’objet, on a des éléments sur la nature humaine, sur la solidarité, le partage, le travail, la vie en société sous tous ses aspects. On trouve aussi des réflexions sur la solitude, la liberté, le pouvoir, l’altérité d’une façon générale. Enfin, les thèmes plus contemporains comme la pollution, la récupération, l’eau sont présents non comme un discours politique mais en tant que source de réflexion, de questionnement… Craig Thompson joue au philosophe, au sage même !

J’avais perçu tout au long de ma lecture l’importance de la tuyauterie, des canalisations, des systèmes de transport et distribution d’eau et la collecte des eaux usées. Je voyais bien la portée écologique avec cette denrée qui vaut plus que tout l’or du monde mais je n’avais pas perçu la dimension personnelle. C’est maintenant chose faite depuis que j’ai appris de Craig lui-même que son père était plombier !

La narration graphique de cet ouvrage est étonnante, raffinée, calligraphiée autant que dessinée et le bonheur est si intense que le lecteur peut rester des heures entières sur une page s’il ne fait pas attention au temps qui passe… L’utilisation des carrés magiques, des chiffres et des lettres, des paroles sacrées, en fait aussi un recueil ésotérique et mystérieux, ce qui renforce l’intérêt et la curiosité du lecteur…

Je ne vous ai certainement pas encore tout ouvert de ce livre extraordinaire. La lecture m’a laissé dans un tel état que j’ai encore du mal à tout remettre dans l’ordre. Tout est si fort que je ne sais plus ce qui devrait être mis en avant ou pas. Vraiment « Habibi » est le livre qu’il faut lire en prenant son temps, probablement relire plusieurs fois, avant de comprendre pourquoi il marquera les esprits comme « Blankets, manteau de neige » en son temps…

Donc à vous de lire et donner votre avis !

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Epopée fantastique

10 étoiles

Critique de Anonyme12 (, Inscrite le 27 février 2010, 14 ans) - 4 mai 2013

Un conte des Mille et Une nuit bouleversant de près de 700 pages dont vous ne ressortez pas indemne. Il raconte l'histoire de Dodola et Zam, deux enfants liés par le hasard.Réfugiés à bord d'un bateau en épave, en plein désert, ils essaient de survivre.
Quel choc lorsque j'ai vu la qualité et la richesse de ce conte qui puise littéralement à la source des religions. Il y a beaucoup de questionnements métaphysiques dans cette fresque onirique et une extrême délicatesse, contrebalancés par des scènes d' horreur humaine parmi les épreuves que doivent traverser nos deux héros.
L'intrigue progresse mais de façon saccadée. Par bonheur, nous découvrons aussi la beauté d'une union hors norme, qui échappe à tous les repères amoureux.
Cette épopée c'est aussi une palette de nuances subtiles amoureuses, des métamorphoses au zénith (la passion) , au crépuscule (la fusion mystique ) et, bien sûr, son langage, ses métaphores, sa calligraphie. (ce qui est très intéressant est la calligraphie et la connaissance de la religion islamique)
Les scènes dénudées sont mêlées tantôt de sensualité , tantôt de violence , ce qui nous désarme et nous laisse un arrière goût doux-amer.
Graphiquement, les personnages servent magnifiquement leurs bulles et le trait de crayon est extrêmement précis, tel un orfèvre.

J'avoue avoir été éprouvée au fil de ce voyage, guidée par cette jeune femme potelée, Dodela, et bouleversée quand je la vois , à la fin de l'ouvrage, en femme retrouvée, libérée de ses chimères et démons (djinns).
Bravo à Craig Thomson pour ce voyage sublime et spirituel.

Eblouissement graphique et métaphysique

10 étoiles

Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 13 octobre 2012

Après le superbe Blankets, je n’imaginais pas que Craig Thompson puisse faire mieux… et pourtant c’est le cas avec cet autre pavé, encore plus épais (665 pages). Si pour moi Blankets représente l’archétype du roman graphique, je dirais qu’avec Habibi, Thompson a inventé la formule idéale du « roman graphique picaresque ». Que dire, c’est tout simplement époustouflant, tant au niveau de l’histoire que du graphisme, encore plus poussé. L’auteur s’est littéralement surpassé, son trait élégant semble avoir fusionné avec l’Art islamique traditionnel, intégrant un luxe incroyable de détails (on reste abasourdi devant ces frises et motifs orientaux qui n’ont clairement pas été trafiqués par ordinateur). La mise en page est toujours surprenante et souligne judicieusement le contexte. C’est du grand art, et une fois encore, le noir et blanc se suffit largement à lui-même.

L’histoire est complexe, alternant flashbacks, références bibliques et coraniques, évocation des légendes et poèmes orientaux, digressions sur la calligraphie arabe et ses aspects symboliques, avec des ouvertures vers la science et l’ésotérisme. Mais Thompson réussit pourtant, par une alchimie subtile, à faire tenir tout ça debout. Certes on ne rentre pas dans cette histoire comme dans un moulin, et il m’a fallu moi-même quelques pages pour m’habituer à ce mode de récit, mais une fois passé le cap, quel délice ! Il s’agit d’un conte épique et débridé, où l’auteur ne s’interdit aucun thème ni aucune représentation.

Entre Blankets et Habibi, le lieu de l’action (Midwest américain et terre orientale indéfinie) et le genre (autobiographie et conte) diffèrent, mais on y retrouve les mêmes questionnements philosophiques et religieux, sur l’amour, le couple et la sexualité. Et malgré les nombreuses références à la religion, il n’y a aucune trace de bigoterie dans cette démarche : l’humour et les scènes de sexe (parfois tendres et sensuelles, parfois dures et rebutantes) viennent souvent équilibrer le propos. S’ajoutent à cela des préoccupations écologiques qui contemporanisent l’ouvrage.

Si ce récit à la fois actuel et intemporel recèle un message humaniste de portée universelle, il est aussi un très bel hommage à la civilisation arabe, où l’auteur nous fait apprécier la beauté et la subtilité de son art, notamment la calligraphie qui tient une place très importante tout au long du livre. Il faudrait plusieurs lectures pour en absorber toute la richesse, mais en ce qui me concerne, ma vision d’occidental lambda en a été indéniablement modifiée, et il a fallu que ce soit grâce à un Américain ! Cette culture, malgré sa proximité géographique avec l’Europe, reste au final assez méconnue et toujours en proie aux préjugés. Et cela ne s’applique pas seulement à l’électorat perméable aux discours racistes.

Craig Thompson a vraiment placé la barre très haut avec cet Habibi, qui pour moi tient à la fois du chef d’œuvre et du coup de cœur.

Un travail d'orfèvre

10 étoiles

Critique de Hervé28 (Chartres, Inscrit(e) le 4 septembre 2011, 55 ans) - 7 juin 2012

Ce pavé, car il n'y a pas d'autre mot pour nommer ce livre, m'attendait dans ma bibliothèque depuis plus de 6 mois. Il faut, un , du courage pour s'y attaquer, et deux, du temps , beaucoup de temps pour venir à bout de ses 670 pages !
Alors je me suis lancé et puis je n'ai pas lâché ce livre, hop ! une lecture presque d'une traite.
Pff! tout d'abord il faut souligner le travail d'orfèvre de Graig Thompson. Le dessin est magnifique, les calligraphies superbes; cela ne m'étonne pas qu'il ait mis 6 ans je crois, à bâtir cette oeuvre, pour ne pas dire ce chef d'oeuvre.
Enfin, le scénario est habile, fin et surtout très bien construit, très bien huilé derrière un désordre apparent.
En mêlant le Coran, l'Ancien testament, et les époques (sommes-nous à l'époque des mille et une nuit ou alors à l’ère industrielle?), Graig Thompson nous fait voyager dans le temps, dans l'espace mais essentiellement nous fait voyager tout court avec le destin de ces 2 enfants, Dodola et Zam.
Certes, le récit est dur (les sévices imposés à Dodola), parfois drôle (le changement d'eau en or) mais surtout prenant.
A lire d'urgence.

Un vrai régal !

10 étoiles

Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 45 ans) - 8 février 2012

Certains textes nous absorbent tellement que l'on fait pleinement abstraction de notre réalité et du temps qui passe. Cette BD fait partie de ces oeuvres captivantes. Elle fait presque 700 pages, mais se dévore sans modération.

Au pays des mille et une nuits, deux enfants meurtris se rencontrent, Dodola, magnifique jeune fille et Zam jeune noir. Ils grandiront ensemble et feront face à divers obstacles. Leur union fera leur force, mais aussi leur malheur et leur bonheur.

La toile de fond semble empruntée aux contes arabes, tout en reposant aussi sur des considérations bien réelles : mariage forcé de Dodola au début de la bande dessinée, leur vie dans un bateau échoué en plein désert ( à mes yeux les passages les plus beaux ), la vie au harem ... On suit avec intérêt et empathie parfois ces personnages au gré de leurs pérégrinations. Quand Dodola et Zam seront adultes, leur relation évoluera aussi. Ce qui est appréciable est que l'on tombe pas dans les clichés. Tout est nuancé ...

Parallèlement à ce récit de (sur)vie des personnages, sont évoquées des allusions religieuses qui tissent des liens entre musulmans et chrétiens. Ces passages sont d'une extrême beauté et poésie et soulignent les talents de conteuse de notre héroïne, ce qui n'est pas sans rappeler la célèbre Shéhérazade. De plus, Craig Thompson intègre des données plus symboliques et plus ésotériques qui allient la géométrie à la calligraphie, ce qui souligne l'osmose existant entre l'écriture, le langage, la logique du monde et les hommes.

La bande dessinée est parfois dure, souvent sensuelle et poétique et surtout d'une grande qualité. Le texte est beau, les personnages expressifs, un vrai régal !

Trop copieux

5 étoiles

Critique de Pilyen (Le Mans, Inscrit le 8 janvier 2012, 67 ans) - 8 janvier 2012

Il y a des jours où j'ai honte, honte d'être incapable d'apprécier ce qui est considéré comme un chef d'oeuvre par le commun des mortels. A commencer par mon libraire spécialisé BD qui m'a remis entre les mains "Habibi" de Craig Thompson. Il avait adoré ce gros pavé de 680 pages et il était intarissable sur l'histoire qui l'avait bouleversé. Je suis donc ressorti, lesté de l'ouvrage que j'avais acheté malgré un léger scepticisme car je ne suis pas très friand des contes orientaux.
Ensuite, je suis allé faire un tour sur le web, histoire de voir ce que les critiques en pensaient. Là aussi ce n'était que louanges, cris de bonheur, couronnes de laurier. Pas un seul hiatus, pas l'ombre d'un mécontent, rien qui puisse indiquer qu'il pouvait y avoir la possibilité d'un léger ennui.
C'est donc en toute confiance que je me suis plongé dans la lecture du chef d'oeuvre...
Ca débute bien, beau graphisme, histoire sordide mais mise en scène avec talent et ... tiens une citation du Coran... ah, revoilà l'histoire, dessin sublime, très poétique,... tiens, un genre de carré magique, oh, de la calligraphie... Là, je commence à décrocher un peu... L'histoire reprend, attachante, sensuelle et terrible avec de temps en temps un peu de Coran, un peu de Bible, un coup de carré magique et des illustrations de plus en plus foisonnantes...
Bon, je suis allé jusqu'au bout de cette lecture qui conte la rencontre de Zam petit garçon noir et de Dodola, magnifique jeune fille dans un Orient de conte entre les mille et une nuits et la fable écologique.
Non, la lecture ne m'a pas enchanté. J'ai admiré le délire graphique de l'auteur qui a décoré son histoire de toutes les volutes orientales possibles mais pour moi c'était un peu trop lourd, lourd comme si j'avais mangé toute la boîte de loukoums.
Les très nombreuses références à la religion m'ont laissé de marbre (oui, je sais, c'est écrit par un américain qui a lu le Coran, c'est donc une performance) ainsi que cette initiation aux carrés magiques que je n'ai pas comprise.
Reste l'histoire, pas légère non plus, un peu tirée par les cheveux, sûrement pour faire oriental, qui reste attachante et empreinte d'une grande sensualité sans pour cela devenir pour moi inoubliable.
Voilà, je suis un gros balourd, je suis passé à côté d'un album magnifique et intelligent. Suis-je vraiment le seul?

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  Blankets, Habibi et Thompson 3 Shelton 24 octobre 2011 @ 16:59

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