James Brown de Stéphane Koechlin

James Brown de Stéphane Koechlin

Catégorie(s) : Arts, loisir, vie pratique => Musique , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Numanuma, le 25 octobre 2011 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 8 étoiles
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Georgia sound machine

Il faut écouter Funky Drummer, pas forcément le titre de Jaaaames Brown le plus connu du grand public, moins que Sex Machine, et pourtant, c’est le morceau le plus samplé de l’histoire. C’est peut-être aussi qui représente le mieux le style de James Brown : à la fois puissant et dansant, d’un rythme enlevé mais léger, ornementé de quelques mots qui tiennent plus de l’onomatopée, de la ponctuation rythmique que de véritables paroles, une introduction du drummer en question vers la 5ème minute, un truc ultra répétitif mais jamais mécanique, à l’inverse de toute la musique techno, une étourdissante démonstration de funk moite de la part du maitre du genre.
A moins qu’il ne s’agisse de Mother Popcorn…
James Brown n’a jamais fait dans la demi-mesure ; une preuve parmi d’autre, il est mort le jour de Noël 2006, à Atlanta. Il n’y a vraiment que lui pour décéder un jour pareil !
Ce que nous offre Stéphane Koechlin, fils de son illustre papa, sur un plateau d’argent servi par une écriture érudite mais jamais pesante, ce n’est ni plus ni moins que l’histoire du plus grand chanteur noir de tous les temps et c’est aussi l’histoire de l’Amérique.
Brown est né pauvre et le restera longtemps. Il restera toute sa vie hanté par son manque de culture, lui qui n’a pas fréquenté bien longtemps les bancs de l’école. Pour toujours, il se souviendra des loques qui lui servaient de vêtements et des regards qu’il attirait, quelque part entre la pitié pour un gamin qui ne devait pas rigoler tous les jours et une certaine méfiance. Après tout, dans l’Amérique de la ségrégation, il faut toujours se méfier des Noirs…
La revanche sera son moteur, la rage de vaincre son essence et sa volonté farouche d’être reconnu en tant qu’homme et en tant qu’artiste sa carte routière.
On peut dire qu’il a réussi au-delà de toute mesure. Et l’humanité entière lui sera toujours redevable de ce truc indestructible, souple et fier, dansant et revendicatif : le funk ! Bien sûr, il ne l’a pas découvert comme ça, d’un coup, en se levant dans un miteux hôtel de Géorgie réservé aux gens de couleur. Non, il a bossé. Dur. Et lutté contre la concurrence. Ceux qu’il admire, des gens tels que Ray Charles ou Little Willie John. Concernant ce dernier nom, vous avez le droit de ne pas connaître mais vous connaissez le titre le plus connu de son répertoire : Fever. Problème, comme moi et beaucoup d’autres, vous connaissez la version de Peggy Lee…
Il s’est aussi battu contre ses contemporains évoluant dans un registre proche, Little Richard en tête. Mais le fêlé de Tutti Frutti ne pouvait porter la couronne de roi du rythm and blues sans heurter sa foi profonde. Il la laissa symboliquement en jetant parures et bijoux pour se consacrer à Dieu. Le processus se renouvellera plus d’une fois.
Brown n’a pas eu à se baisser beaucoup pour la ramasser. Il proposait déjà un show hors du commun et venait de perdre son seul concurrent de scène, son lieu de prédilection. Sa maison de disque, King, a gagné pas mal d’argent avec son premier single Please, please, please, supplique furieuse et indomptée. Cependant, son patron, Syd Nathan, bien qu’agréablement surpris par un succès auquel il ne croyait pas, refusa de le laisser approcher du studio. Il ne pensait pas Brown capable de mener une carrière discographique au-delà de ce titre. Alors, l’Homme se lança sur les routes de l’Amérique, brûla les planches partout où il est passé.
Il connu une histoire particulière avec l’Apollo Theatre, désormais une salle mythiques qui attire aussi bien les touristes que les amateurs de musique et je ne parle pas des groupes qui vendraient père et mère pour y jouer ! Son premier album, auto financé, serait un live enregistré à l’Apollo. Ce fût un carton et ce disque reste un sommet, tous genres confondus. Un classique.
Le funk arrive ensuite. Avec Out of Sight en 1963. James enfonce le clou avec Papa’s got a brand new bag et I got you (I feel good) en 1965. Techniquement, le genre se définit par une accentuation du premier et du troisième temps. Le rock accentue le deuxième et le quatrième, le disco tapera sur tous les temps. Emotionnellement, c’est autre chose…
Brown a mis l’âme noire à nue et l’a imposée à la face du monde Blanc. Cela fut sa plus grande victoire et ce ne fût pas sans difficultés. Mais Brown s’est imposé un travail harassant, surhumain, sans répit ni repos et l’a imposé avec autant de force et de rigueur à ses musiciens. Ses exigences sont légendaires : les amendes, les tenues et le jeu de scène, rien n’est laissé au hasard et les plages de liberté sont rares.
Le gars, the hardest working man in show business industry, le soul brother number one, le godfather of soul, le sex machine, Mister Dynamite en personne était d’un bloc et pourtant, on ne devient pas une légende sans part d’ombre. James Brown a passé sa vie à lutter contre sa condition de Noir, il a lutté pour la reconnaissance, pour sa musique et pourtant, il n’a pas hésité à côtoyer les politiciens, les puissants, ceux qui sont les plus éloignés de lui et de ses aspirations, Nixon compris. Tout en admirant Martin Luther King… Brown a toujours été fasciné par le pouvoir. Tyran lui-même, il organise sa troupe de musiciens comme une armée en campagne. Représentation du mâle dans toute sa splendeur, artiste qui fait jouir la salle, James Brown n’a pas été tendre avec les femmes et, comme tout sex symbol qui se respecte, a beaucoup papillonné, semant ça et là enfants plus ou moins légitimes.
Et puis, après être monté bien haut, rappelé à sa condition d’être humain, il a commencé à descendre, luttant contre la jeune garde des Sly Stone et autres Georges Clinton, débordé par le disco, absorbé par le rap, hommage aussi agréable qu’embarrassant, enterrement de première classe autant que perte sèche de droits d’auteur et Butane James ne badine pas avec le pognon, il a fini par faire partie du paysage sans plus vraiment se renouveler ni attirer à lui un nouveau public. Il sort de sa retraite forcée grâce au fabuleux Blues Brothers dans lequel il jour le rôle du pasteur Cléophus James pour une scène géniale. Problème, en capitalisant sur cette nouvelle image, il débarque dans Rocky IV en 1981 avec son funk robotique, froid et ridicule Livin’ in America. Mauvaise pioche.
Pas besoin de revenir sur ses démêlés avec la justice américaine ni sur ses histoires de drogue, la vie de James Brown, c’est l’incarnation du larger than life ; un type extraordinaire, totalement seul dans son genre et qui s’est façonné un monde à lui avec ses musiciens. Tous évoquent ses ambitions et les contraintes démentielles mais tous disent que sans lui, ils ne seraient probablement rien, au mieux, pas grand-chose.
Finalement, le plus grand morceau de Brown, c’est peut-être Talkin loud, sayin’ nothing…

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