Le désespoir du singe, tome 2 : Le désert d'épaves
de Jean-Philippe Peyraud (Scénario), Alfred (Dessin)

critiqué par Shelton, le 2 novembre 2011
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Le plus beau de la série...
Il y a des forces incroyables dans ce second volet de cette histoire scénarisée par Jean-philippe Peyraud que l’on n’attendait pas nécessairement à pareille fête. Je dis bien fête car même si le sujet est grave et dramatique, l’écriture, elle, est jubilatoire.

Cet album est celui de l’exil, de la traque, du passeur, de l’angoisse. Un groupe de personnes est en fuite. Fuite d’une dictature, fuite en avant, avant la révolution. Il faut protéger sa vie, le bien le plus précieux, mais, pour cela, on la confie à un homme qui ressemble plus à un bandit de grands chemins, un homme à qui on ne confierait rien. C’est dans une telle situation que l’on ressent encore plus l’aspect slave de l’histoire. Tout est réuni pour que les personnages puissent être amenés à prendre des décisions qui les dépassent, à sortir de leur cadre habituel, à plonger dans une passion imprévisible… Josef est bien dans ce groupe de fuyards…

Le dessinateur s’en donne à cœur joie. Le voyage a lieu de nuit dans cette mer parfois aquatique parfois sablonneuse et jonchée d’épaves de bateaux surpris par le retrait de la mer. Chacun de ces morts – qu’est-ce qu’une épave si ce n’est un cadavre – donne des possibilités d’ombres, favorise les jeux de lumière et accentue les effets de terreur… des pages admirables…

Enfin, il y a les rumeurs, les angoisses verbales colportées par tous ces êtres humains qui sont, tel le peuple de Moïse, perdus dans le désert. Ce n’est pas la mer qui peut se refermer sur eux, c’est le train qui peut déboucher avec ses terroristes, ses militaires, ses tueurs, et son tyran… Tant que l’on n'a pas croisé le colonel Komack, on ne sait pas à quoi s’en tenir… Le pire serait-il à venir ?

Et l’amour, me direz-vous ? Oui, c’est dans ces situations extrêmes que les êtres humains peuvent être foudroyés par des passions illimitées. Josef est-il prêt pour le grand saut, pour aimer Vespérine d’un amour absolu au moment où il perd tout, c’est à dire surtout ses certitudes pour demain ? Vespérine est-elle une femme qui peut aimer alors que son passé est de souffrance, d’abandon, d’oubli d’elle-même ? Y a-t-il une place pour une histoire intime quand l’avenir politique d’un pays se joue dans la violence ?

C’est toute la force des deux auteurs que de nous donner un tel album, peut-être le plus beau de ce triptyque. Une grande aventure dans la nuit glacée, une mer sans eau qui est prête à tout avaler, une histoire d’amour presque intimiste et à huis-clos, le tout sur fond de grande révolution, de grand soir…

J’adore, mais vous l’avez compris et je ne peux que vous conseiller d’adopter cette série bande dessinée qui renoue, aussi, n’hésitons pas à le dire, à ces grandes histoires comme Hugo Pratt les racontait… et si « Le désespoir du singe » restait comme une grande bande dessinée de ce début de vingt et unième siècle ?
De la BD néo-expressionniste 9 étoiles

A coup sûr l’épisode le plus noir et le plus désespéré, tant sur le plan de la narration que des couleurs. La vision nocturne et lugubre de cette mer d’Edel asséchée avec ces géants échoués est vraiment saisissante, quasiment onirique. C’est exactement l’histoire de la mer d’Aral en Russie, une mer qui a quasiment disparu en raison de la politique du régime soviétique en faveur de l’agriculture intensive du coton.

Si cette bande dessinée s’avère être une critique des régimes dictatoriaux, elle nous sensibilise également aux catastrophes écologiques provoquées par l’Homme. Mais elle comporte également tous les ingrédients de l'aventure romanesque avec en toile de fond une déchirante histoire d'amour.

A souligner une certaine évolution du style graphique à partir de ce deuxième tome, évolution inconsciente ou non : perdant en précision, le crayon semble s’adapter, plus naïf, plus abstrait, plus onirique alors que l’histoire s’accélère et que l’abattement semble gagner du terrain. Certaines cases sont tellement saisissantes par la façon dont elles façonnent la réalité qu’elles évoquent les grands peintres du courant expressionniste comme Otto Dix ou Edvard Munch.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 22 janvier 2014