Les lumières de la France, Tome 1 : La comtesse Eponyme
de Joann Sfar

critiqué par Bluewitch, le 5 novembre 2011
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
Délicieusement impertinent et coquin (sur un lit de culture...)
Déjà, il y a le contraste entre la première de couverture, un peu chargée et volontairement kitsch, et les premières pages de l’album où l’on a la (fausse) impression d’être dans un ouvrage quelque peu sérieux et pédagogique. Instructif, ce premier tome des "Lumières de la France" l’est certainement, car il aborde, entre autres sous l’angle un peu lâche et improductif de la noblesse française, l’esclavagisme en Europe. Sérieux, par contre…

Fidèle à son habitude de laisser le récit le mener là où il aime s’égarer, Joann Sfar donne le premier rôle à Éponyme, comtesse délaissée par un mari auteur de pamphlets dont les actes ne suivent pas les idées (mais qui est toutefois prêt à se faire enfermer dans un coffre pour mieux comprendre la condition d’esclave). Sensuelle, à l’imaginaire débordant, Éponyme plonge dans ses fantasmes et ses désirs comme dans un bain chaud, et n’hésite pas à se montrer parfois violente et manipulatrice lorsqu’il s’agit de satisfaire son bon plaisir (notamment avec Oracio, le cuisinier italien). Pour confidente de ses rêves et angoisses, elle a à ses côtés Fragonarde, sa petite chienne tout aussi sexuée, quoique moins épanouie, qui n’use jamais de la langue de bois.

A une époque où les philosophes étaient "à la mode", le questionnement éthique sur l’esclavage, grâce auquel nombreux enrichissaient leur fortune personnelle, est un sujet dense auquel Sfar a voulu faire une place. Et ce, tout en gardant un ton léger, lâché et drôle.

En effet, dans un genre qui rejoint la série "Le Minuscule Mousquetaire" (à laquelle il fait un clin d’œil), ce premier tome des "Lumières de la France" est aussi un condensé de fantaisie, de libertinage et de richesse graphique. Fouillé, coloré, contrasté, il y en a pour le plaisir des yeux. Racontée dans un langage délicieux aux tournures pleines d’humour, de texture et d’arômes, l’histoire ne nous ennuie pas une minute.

On remercie aussi Sfar pour l’épilogue piquant, esquissé au crayon et à l’aquarelle, qui nous donne un petit bonus en attendant le tome suivant.
Un 18ème siècle haut en couleur ! 8 étoiles

A Bordeaux, au siècle des Lumières, vivent deux êtres passionnés : le comte passionné par les Idées et Eponyme son épouse très encline à céder à l'appel des sens.

Monsieur le Comte est tiraillé entre ses actes et ses paroles. Il s'est enrichi grâce à l'esclavage et ne souhaite pas mettre fin à ses activités lucratives, mais éprouve aussi le besoin impérial de rédiger un pamphlet dans lequel il condamnera l'esclavage et rendra sa dignité à l'homme noir ! Ce personnage n'est pas sans rappeler Voltaire sur ce même sujet polémique si l'on se penche de plus près sur le célèbre philosophe ... Eponyme, femme charnelle, se sent rejetée par son mari qui privilégie les idées à l'épanouissement de sa chère et tendre.

Le libertinage de moeurs est clairement évoqué dans cette BD où Eponyme s'adonne aux plaisirs charnels avec Oracio le cuisinier. Ses désirs sont clairement formulés et confiés à sa chienne Fragonarde, animal amusant par ses répliques frontales. Les sens sont donc en éveil, la comtesse est habitée par ses désirs, même les chiens ont des pulsions animales.

Joann Sfar a opté pour des répliques claires, amusantes, éclairantes parfois sur l'esclavage ( même si les allusions sont sues de tous ). Certains propos sont vulgaires, mais très amusants dans les situations concernées. J'avoue avoir passé un bon moment avec ces personnages dont l'excentricité suscite le plus vif intérêt.

Les dessins de Sfar foisonnent de détails, de petites bestioles qui envahissent parfois les vignettes, les couleurs lumineuses rendent cette bande dessinée plaisante. La liberté de ton du dessinateur est à l'image du libertinage de ce siècle.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 21 décembre 2011