L'art français de la guerre
de Alexis Jenni

critiqué par Deashelle, le 7 novembre 2011
(Tervuren - 15 ans)


La note:  étoiles
Reliefs d'intelligence au présent
Prix Goncourt 2011

« J'allais mal ; tout va mal ; j'attendais la fin. Quand j'ai rencontré Victorien Salagnon, il ne pouvait être pire, il l'avait faite la guerre de vingt ans qui nous obsède, qui n'arrive pas à finir, il avait parcouru le monde avec sa bande armée, il devait avoir du sang jusqu'aux coudes. Mais il m'a appris à peindre. Il devait être le seul peintre de toute l'armée coloniale, mais là-bas on ne faisait pas attention à ces détails.
Il m'apprit à peindre, et en échange je lui écrivis son histoire. Il dit, et je pus montrer, et je vis le fleuve de sang qui traverse ma ville si paisible, je vis l'art français de la guerre qui ne change pas, et je vis l'émeute qui vient toujours pour les mêmes raisons, des raisons françaises qui ne changent pas. Victorien Salagnon me rendit le temps tout entier, à travers la guerre qui hante notre langue. »
Alexis Jenni.

« L'armée en France est un sujet qui fâche. On ne sait pas quoi penser de ces types, et surtout pas quoi en faire. L'armée en France est muette, elle obéit ostensiblement au chef des armées, ce civil élu qui n'y connaît rien, qui s'occupe de tout et la laisse faire ce qu'elle veut. Ces militaires on les préfère à l'écart, entre eux dans leurs bases fermées de la France du Sud, ou alors à parcourir le monde pour surveiller les miettes de l'Empire. On préfère qu'ils soient loin, qu'ils soient invisibles ; qu'ils ne nous concernent pas. On préfère qu'ils laissent aller leur violence ailleurs, dans ces territoires très éloignés peuplés de gens si peu semblables à nous que ce sont à peine des gens. »

Le Goncourt 2011 est un roman de plus de six cents pages à la manière d’une Iliade française qui couvrirait une guerre qui occupe toute la vie d’un vétéran français. Après l’humiliation de 40, devenu héros du maquis, rodé aux jeux militaires par les camps scouts, le héros, Salagnon, croyant poursuivre le noble combat pour la liberté sous l’étendard français, tombe dans le piège fétide du monde colonialiste et trempe irrémédiablement dans les comportements atroces communs à tous les opposants, dans la terrible guerre d’Indochine. Irrémédiablement marqué, il sera conduit à se livrer à de nouvelles atrocités pendant la guerre d’Algérie. La composition de cette trilogie ressemble un peu à celle de « Où j’ai laissé mon âme » de Ferrari, avec un souffle épique incontestable et un art de la description d’entomologiste qui rend les évocations presque cinématographiques. Le tout dans une économie de mots magnifiquement choisis et qui s’emboîtent avec une harmonie rare.
Ce roman fleuve, bourré de scènes captivantes tantôt émouvantes et héroïques, tantôt burlesques, tantôt sarcastiques et tantôt vibrantes d’amour n’en finit pas d’étonner, d’instruire et de faire réfléchir. Le style a de l’intensité poétique, c’est une véritable fabrique d’émotion. L’amour du verbe chez l’auteur est aussi fort que l’amour du pinceau et de l’encre de Chine chez le héros Salagnon. Nous sommes donc invités à un tango de la mort entre ces deux voix qui rêvent toutes deux de plus d’humanité. Certes Salagon a les mains couvertes de sang mais son pinceau de martre trace l’indicible, le vide et le silence où bat le cœur quelles que soient les circonstances. Apprendre son art à ce jeune désœuvré vivant de certificats médicaux qu’est le narrateur, sera sa rédemption.
Roman à thèse, il pose la question de la force du verbe, du pouvoir des mots, de la transformation des faits par leur énonciation. Il pose aussi la question de la militarisation du maintien de l’ordre dans un pays non en guerre mais où règnent des espaces de non-droit comme dans certaines banlieues. Ne referait-on pas en plus petit les mêmes erreurs que dans les guerres coloniales? Les minorités sont-elles considérées comme des citoyens à part entière ou comme des sujets? C’est là où l’histoire de la guerre devient actualité brûlante. Le français mis en échec et au Viet Nam et en Algérie va-t-il retomber dans les mêmes pièges ? Particulièrement les jugements a priori sur le physique vont-ils continuer à avoir la vie belle ? Les Français ne rêvent-ils pas tous d’une France identitaire sans mélanges de population, croyant ainsi résoudre les problèmes de société ? Voici un roman, riche, foisonnant, audacieux et qui remue un passé qui se taisait et pourrait faire naître des reliefs d’intelligence au présent.
La guerre. Son horreur, son absurdité, ses traces 9 étoiles

Sans son don pour le dessin et la peinture, le capitaine Salagnon n’aurait probablement pas survécu à la guerre. Avec la conscience et la lucidité qui l’habitent, il se serait sans doute laissé mourir de désespoir en Indochine ou en Algérie. Ou alors il serait devenu à ce point fou que le reste de sa vie n’aurait plus été qu’un gâchis, un calvaire.

Car oui, au contraire de la plupart de ses collègues soldats, il a des états d’âmes, parvient parfaitement à comprendre le point de vue du camp d’en face. Il voit très bien les dégâts provoqués par une colonisation avérée ou larvée, ayant débouché entre autres conséquences sur un racisme notoire ou latent. Certes, vivre en permanence sur le qui-vive - « survivre ici est un boulot à plein temps »- a forgé des amitiés indéfectibles. Du style de celle avec Mariani qui un jour lui sauva la vie mais qui est lui sorti de ces campagnes avec une vision plutôt déterminée et autoritaire vis-à-vis de l’ennemi.

Quant au narrateur, il menait plutôt une vie médiocre jusqu’au jour où il rencontra Victorien Salognon alors que celui-ci cherchait à se débarrasser de quelques tableaux qui l’encombraient. Ce fut comme un coup de foudre, tant pour le talent que pour la personnalité et l’histoire de ce vétéran-artiste qui est d’accord de lui enseigner son art et de lui raconter ses guerres et le fleuve de sang qu’il a vu couler.

Heureusement, les chapitres d’horreur alternent avec des commentaires sur la vie du narrateur, qui donnent beaucoup plus d’espoir en l’espèce humaine. J’ai trouvé très belle sa rencontre avec celle qu’il voyait depuis toujours sans jamais oser lui parler. Jusqu’au jour où…. Lui « vous savez, j’ai depuis des années une histoire avec vous » Elle « et je ne m’aperçois de rien ? » « Mais moi je me souviens de tout ; voulez-vous que je vous raconte cette vie que nous menons ensemble ? » « Racontez-moi toujours, je vous dirai ensuite si elle me plaît cette vie où je ne suis pas » « Vous y êtes » « à mon insu. Mais allez-y, racontez »…..Et notre narrateur de narrer longuement cette vie rêvée. Ce passage-là aurait pu s’intituler L’art français de….l’amour !

Sinon, dans le genre d’œuvres qui devraient logiquement dissuader les êtres humains de se faire la guerre, ce livre-ci m’a fait penser à un autre que j’ai lu récemment : Les Bienveillantes, de Jonathan Littell. Ah si on pouvait faire entrer clandestinement ces bouquins dans les casernes de soldats réquisitionnés pour aller se faire tuer, si pas le corps, du moins l’âme !

Millepages - Bruxelles - 65 ans - 30 octobre 2024


"Il s'recrée l'Indochine dans sa p'tite vie d'peigne-cul" 8 étoiles

"Bookivore se fait tous les Goncourt", je-ne-sais-plus-combientième prise.
Le genre de livre dont j'ai régulièrement repoussé la lecture depuis plusieurs mois, parce que je me disais que ça n'allait pas être super facile à lire et qu'il fallait que je trouve le temps et la motivation pour le démarrer. Et moi, quand je démarre un livre, je vais jusqu'au bout, putaingcon, donc fallait vraiment trouver le bon moment.
L'autre jour, ayant enfin remarqué que je repoussais toujours la lecture de ce livre au profit de livres plus courts (celui-ci fait, en poche, presque 800 pages), je me suis dit "ça suffit les c...", et je me suis pris en main et ai enfin commencé la lecture du livre.
Le lendemain, finito, avec bonheur, soulagement aussi, fierté également.
"L'Art Français de la guerre" est un excellent roman, je dois le dire, mais il n'est pas super facile à lire. Le style un peu bizarre du roman (qui alterne longs chapitres romanesques, dits "romans", et plus ou moins long chapitres dits "commentaires", à moitié romanesques, à moitié digressions de l'auteur), sa longueur, ne le rendent pas super accessible. Difficile de trouver un roman de 775 pages et 13 chapitres facile à lire !
L'histoire est pourtant simple : un jeune homme dont on ignore le nom fait la connaissance d'un vieil homme, Victorien Salagnon, artiste peintre et retraité de l'armée. Sympathisant avec lui, il va lui demander de lui apprendre à peindre, et en profiter pour en apprendre un peu plus sur sa vie. Né en 1926, l'homme a été maquisard, soldat en Indochine, en Algérie... Il a vu (et fait) des choses vraiment pas belles... Le narrateur fera par la même occasion la connaissance de Mariani, ancien frère d'armes de Salagnon et vrai petit nazillon aux idées schlinguantes...

Autant le dire, si les chapitres "roman" sont géniaux, je me suis parfois un peu emmerdé en lisant les chapitres "commentaire", certains sont pas mal, mais dans l'ensemble, ils traînent en longueur, on n'aspire qu'à une chose, les finir pour arriver au chapitre "roman" suivant. La première grosse centaine de pages (édition poche en référence pour ma critique) est, dans l'ensemble, un peu lente, ce livre est trop long. Je comprends qu'il ait obtenu le Goncourt (2011) parce qu'il est vraiment original, bien écrit, mais Jenni aurait pu un peu tailler dans le gras quand même. Je ne peux pas donner plus que 4 étoiles, ce qui, déjà, est une excellente note.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 22 juillet 2021


Faites l'amour, pas la guerre 8 étoiles

OVNI littéraire, roman commenté sur le côté sombre de la France pendant ses guerres coloniales, l’œuvre d’Alexis Jenni est un ouvrage difficile sur plusieurs plans.

Tout d’abord son style comporte des passages remarquables et d’une emphase de bon aloi, mais l’écrivain a aussi le mérite de varier en laissant respirer le lecteur en étant plus dans la narration que dans ses considérations sur le thème de l’art moderne de la guerre à la française ou comment semer la terreur quand tout est perdu pour laisser pendant des générations un sentiment anti-français profond, en particulier en Algérie. Pour l’Indochine, il est vrai que les vietnamiens sont vite passés à une autre guerre et à une autre nation à haïr.

En outre, du fait qu’il est une forme de critique de la politique française et pas seulement sur le plan international, ce livre ose un point de vue que peu d’auteurs français avancent. Ce roman est bien sûr aussi très actuel compte tenu de la position du Front national après les dernières élections régionales.

On sent clairement la révolte intérieure et l’engagement subtil de l’auteur au travers de l’attitude de son personnage principal, excellent soldat, mais qui tantôt est critique sans le manifester trop ouvertement, tantôt cherche des échappatoires à la spirale de la logique de guerre dans laquelle il est pris.

Je lis parfois dans d’autres critiques que l’auteur a tendance à la répétition ; même si ce n’est pas totalement inexact, cela ne m’a pas gêné. Je n’ai à aucun moment été tenté de lâcher ce bouquin qui malgré sa distinction controversée n’a pas eu selon moi le retentissement qu’aurait mérité son prix Goncourt.

Ce livre serait aussi plus dans la catégorie de ceux qu’on possède que de ceux qu’on emprunte car plusieurs passages d’une grande densité méritent des relectures.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 8 janvier 2016


Impressionnée 9 étoiles

C'est le hasard total qui m'a fait lire ce livre; peu enthousiaste sur cet art de la guerre, j'ai rapidement été séduite par la qualité de l'écriture. Quel plaisir de lire des mots si rares, quelquefois complètement inconnus (nous étions des athlètes, des hoplites, des bersekers), des descriptions si originales (sa peau ocellée de petites éphélides).
La langue est pour moi l'une des plus belles réussites de ce roman. D'ailleurs, c'est un sujet récurrent:
"Il parlait dans un français parfait, où l'accent n'était qu'un phrasé original, à peine définissable, comme une légère préciosité qu'il maintiendrait par amusement. Il usait de tournures académiques que l'on n'entend qu'à Paris, en certains lieux, et de mots choisis qu'il employait toujours dans leur exacte définition. Salagnon s'étonnait d'une telle science de sa langue maternelle, que lui-même ne possédait pas."

Alexis Jenni, à travers les récits de Salagnon, va explorer l'âme humaine dans ce qu'elle est capable de pire; tous les aspects sombres qui peuvent amener un homme qui n'aurait jamais fait de mal à son chien ou à une mouche à devenir un bourreau, un tortionnaire capable des pires atrocités.
"Toute personne arrêtée est coupable et finit par avouer".
Pourquoi les hommes sont-ils si obéissants, pourquoi toujours cette haine de l'autre, de l'Allemagne à l'Indochine jusqu'à l'insoutenable guerre d'Algérie. J'ai découvert des pans sombres de l'histoire de France, tus à l'époque ou même les membres de la famille ne disaient que les lèvres serrées, qu'ils y étaient.

Et cette réflexion si juste et qui fait si mal, d'apprendre qu'il fut une époque où, mathématiquement, dans notre entourage, il y avait des assassins.
"Je me demande maintenant, dans les étagères où nous vivions, s'il était des assassins. Je ne peux l'affirmer, mais les statistiques répondent. Tous les hommes entre vingt-cinq ans et trente-cinq ans à l'époque de cette cité heureuse, tous les amis de mes parents ont eu l'occasion de l'être. Tous. L'occasion. Deux millions et demi d'anciens soldats, deux millions d'Algériens expatriés, un million de pieds-noirs chassés, un dixième de la population de ce qui maintenant est la France, marquée directement de la flétrissure coloniale, et c'est contagieux, par le contact et par la parole."

Et l'alternance de passages insoutenables avec l'apprentissage du dessin à l'encre qui rappelle le récit de Fabienne Verdier dans « Passagère du silence ».

Un livre édifiant, superbement écrit.

Marvic - Normandie - 66 ans - 28 septembre 2014


long 5 étoiles

Que dire ?
J'ai cru au chef-d'oeuvre la première partie de ce long, très long roman. Mais certaines répétitions et longueurs de texte m'ont un peu lassé. Pour un premier roman il faut quand même reconnaître la qualité du travail de l'auteur ; Alexis Jenni un nom à retenir.
A noter les excellentes critiques ici émises. Il semble que ce livre soit parvenu à réunir autour de lui la meilleure qualité des lecteurs.

Monocle - tournai - 64 ans - 13 juin 2013


La guerre, un art ? La peinture, oui ! 9 étoiles

Peut-on parler d’art quand il s’agit de la guerre ? Est-ce une spécificité française ? La guerre est un fléau qui frappe toutes les populations. La guerre est une confrontation de puissances où la violence n’est pas exclue. Il n’y a pas de guerre propre.
Alexis Jenny est professeur de sciences au lycée de Lyon. L’art français de la guerre est son premier roman couronné par le Goncourt. Il a été également primé à Chambéry en 2012 dans le cadre du Festival du premier roman, 25ème du nom.
Il y a le narrateur et Victorien Salagnon qu’il rencontre autour de leur passion commune : la peinture. Mais là n’est pas l’essentiel, quoique… Ce roman permet au lecteur de se faire une idée de ce qui s’est passé durant la deuxième guerre mondiale auprès des résistants et des collabos et lors des deux guerres qu’ont menées les Français : au Vietnam et en Algérie. Pas un cours d’histoire, mais le quotidien de quelques personnes engagées dans la tourmente avec un certain idéal de la France, de son empire colonial qui se délite. Ce qui sauve Victor Salagnon, c’est la peinture qui lui permet de sublimer ce qu’il voit ; par cette peinture, il rejoint en pensée Eurydice sa bien-aimée, lui l’Orphée qui se balade en enfer.
La guerre ? Une atrocité qui rend violents ceux qui la pratiquent : une obligation fatale : vaincre ou mourir… Mais il n’y a que des vaincus, pas de vainqueurs.
Malgré la lourdeur pondérale de cette brique de plus de six cents pages, on ne le lâche pas : tant de thèmes y sont abordés et qui poussent à une réflexion personnelle du lecteur. Le but premier n’est pas l’action, mais une recherche sur la motivation des intervenants.

Ddh - Mouscron - 83 ans - 8 janvier 2013


Faits d'armes 6 étoiles

Une belle écriture suffit-elle à accrocher l’intérêt du lecteur ? C’est à cela que j’ai pensé en refermant le livre d’Alexis Jenny. Car si l’auteur développe une propension au phrasé et au style, bien travaillés, il manque un liant pour bien monter la sauce.
Victorien Salagnon aura fait sa guerre de vingt ans et exorcise son passé par la peinture et ses confidences faites au narrateur. Ce dernier nous livre alors un condensé d’horreurs à faire frémir, et devient l’élève en art pictural du même Salagnon. Nous avons droit alors à la galerie des guerres commises et supportées par Salagnon, à la fresque criminelle du combattant, à l’évidence d’une humanité dépeinte comme pouvant être cruelle, certes, mais aussi esthète quand elle s’intériorise et crée autre chose que des larmes et du sang.
Bien. Avec une once de considérations historico-mathématiques, le constat laisse froid. Oui, la guerre française dure depuis plus de vingt ans et continue encore, le narrateur continuant à se battre dans son quotidien pour son job, son domicile, ses amours. Non, tout comme Salagnon contraint, il n’a pas choisi cette guerre d’usure. Un saupoudrage de nostalgiques fascisants, (la caricature de Mariani), et l’interrogation tombe comme du plomb. Tout ça pour ça ?
Et oui. 632 pages pour cette constatation. Dommage. Alexis Jenni a vraiment du talent et nous propose des passages qui resteront inoubliables dans la littérature française. Mais ce qui fait un bon roman manque à l’appel. La captation du lecteur qui finit par se battre lui aussi pour en finir avec ces 632 pages.
Je ne dis pas que c’est un fait d’armes, mais je suis ressorti quelque peu usé de cette lecture. Avec juste un liant, un truc en plus qui ressemble à une histoire et qui captive, ce livre aurait tous les atouts. Mais il s’accroupit sur l’Histoire, prétexte à définir une interminable chevauchée guerrière qui n’en finirait pas, comme si le constat devait l’emporter sur l’espoir.

Hamilcar - PARIS - 69 ans - 19 août 2012


Le fond et la forme ? 6 étoiles

Alexis Jenni a choisi d'aborder l'art français de la guerre à travers la narration romancée plutôt qu'au travers d'un prisme historique, qui aurait été plus factuel et austère mais peut-être aussi intéressant. Bien lui en a pris toutefois car sa plume se révèle par moments délicieuse, d'une finesse agréable, mais de celle qui n'oublie pas le fond et ne se liquéfie pas dans une rhétorique de façade. Ainsi cette plume brille lors des moments des retranscriptions des scènes "dégueulasses", tendues, suintant la sueur du soldat dans la moiteur d'une jungle d'Indochine, inspirant le dégoût lors d'une séquence au marché suivie d'une préparation de repas avec des ingrédients particulièrement peu ragoûtants. L'écriture du romancier lyonnais fait aussi merveille lorsqu'il s'agit de dresser l'héritage, les conséquences des guerres mondiales, d'Indochine et d'Algérie ; lors de considérations voire dissertations sur la notion (inexistante pour lui en l'occurrence) de "race", fondée principalement sur la ressemblance/dissemblance, indéfinissable et pourtant tellement reconnaissable implicitement pour l'homme.

Le bât blesse quelque peu concernant les passages retranscrivant les aventures amoureuses, les rencontres, les moments d'euphorie ; ici Alexis Jenni semble moins inspiré et se démarque moins ; on a l'impression que son style peine à s'extraire des sujets précédents pour s'octroyer une part de lumière dans la douceur d'un sourire féminin, dans la sensualité d'une caresse, dans la simplicité d'une rencontre.
L'autre reproche viendra lui de cette technique de répétition dont a usé l'auteur, pas forcément des copié-collé (on voit d'ailleurs que c'est volontaire) mais plutôt des idées ressassées quelques lignes plus loin après avoir été brillamment mises en valeur auparavant, comme si l'auteur avait eu peur qu'elles nous échappent, que leur sens se perde dans le foisonnement des pages et des itérations du narrateur et de Victor Salagnon. On s'en serait donc passé et cela aurait allégé la lecture.

Quoiqu'il en soit, alors que l'on est souvent déçu par les livres qui se sont vus attribuer le Goncourt, il faut reconnaitre que Jenni s'en sort bien avec ce premier livre et appose une patte différente (mais pas encore affirmée peut-être ?) sur la littérature contemporaine. Son talent d'écriture fait vivre des personnages qui semblent véridiques, simples, sans aucun manichéisme primaire ; mais aussi des idées, que tout le monde ne partagera pas forcément, plutôt de gauche (sur la police par exemple) dans l'ancrage traditionnel, qu'il transcrit avec force, conviction et talent.
De la seconde guerre mondiale, en passant par l'Indochine (sans doute la meilleure partie) pour finir en Algérie (celle-ci s'éternise de trop à mon goût), le lecteur constate la laideur de l'art français de la guerre.

Si tant est qu'il existe un art de la guerre admirable.

Ngc111 - - 38 ans - 17 juillet 2012


La France d'aujourd'hui 8 étoiles

J’ai ressenti autant de plaisir et de curiosité à la lecture de L’Art français de la guerre qu’à la lecture de certaines de ses critiques éclairs, notamment celles de TRIEB, Philippe et DE GOUGE. Ce qui me fait penser que finalement, tout l’intérêt du Goncourt 2011, réside dans son thème et sa thèse, tout autant audacieux qu’original ; établir un parallélisme entre la situation française sociale d’aujourd’hui et celle des soldats français de l’après seconde guerre mondiale dispatchés un peu partout à travers le monde, pourvu que ce soit loin de leurs proches et de leur pays. Surtout, établir le terrible constat que si nous connaissons la majeure partie de nos morts français, nous avons fermé complètement les yeux sur les chiffres atroces représentant les civils et militaires étrangers qui furent un jour nos ennemis.

Ainsi, les personnages présentés ici, essentiellement le narrateur et Victorien Salagnon, figure emblématique, héros de ces guerres, sont dépeints « à la Houellebecq » ; évoluant dans un monde glauque, stérile, injuste, leur caractère s’accorde avec leur temps, respectivement les années 1990 et les décennies 50, 60, 70. La violence des guerres coloniales n’a d’égale que le racisme actuel révélé entre autres par les contrôles policiers orientés ; du moins, c’est ce que semble revendiquer Alexis Jenni.

« Les forces de l’ordre ne maintiennent pas l’ordre, elles l’établissent ; elles le créent car il n’est rien de plus ordonné que la guerre. »

Les questionnements métaphysiques sont permanents, entrecoupés de délires atypiques, de pessimisme et de misanthropie, menant tout droit à l’exclusion sociale.
Alexis Jenni nous accorde également quelques réflexions distrayantes sur l’art d’écrire.
« J’aimerais bien une autre vie mais je suis le narrateur. Il ne peut pas tout faire, le narrateur : déjà, il narre. S’il me fallait, en plus de narrer, vivre, je n’y suffirais pas. Pourquoi tant d’écrivains parlent-ils de leur enfance ? C’est qu’ils n’ont pas d’autre vie : le reste, ils le passent à écrire. L’enfance est le seul moment où ils vivaient sans penser à rien d’autre. Depuis, ils écrivant, et cela prend tout leur temps, car écrire utilise du temps comme la broderie utilise du fil. Et du fil on n’en a qu’un. »

Si j’ai été très emballée par le premier tiers du roman, le reste m’a moins embarquée. La vie de Victorien Salagnon a été bien remplie. En revanche celle du narrateur l’est beaucoup moins, or, elle représente quantitativement à peu près 300 pages. Compte tenu de cette béance, ce sont des réflexions qui nous sont livrées, qui semblent pertinentes d’abord, puis deviennent vite lassantes.

Pour tous ceux qui s’intéressent à l’actualité littéraire française, il me semble que c’est un ouvrage qu’il ne faut pas manquer.

Elya - Savoie - 34 ans - 30 juin 2012


LE DISCOURS DE LA GUERRE 9 étoiles

Il est souvent reproché à la littérature française actuelle son nombrilisme, son penchant désolant vers l’égotisme, ou le culte de l’égocentrisme systématique . Avec L’art français de la guerre d’Alexis Jenni, nous tournons résolument le dos à ce travers pour nous diriger vers des questions de fond : la place de la guerre dans l’histoire récente de la France, la place de la violence dans la société française , le rôle de l’histoire dans la conscience d’une nation. Et nous entrons dans le vif du sujet dès les premières lignes du roman .

Le récit part de la rencontre d’un jeune habitant de la région lyonnaise un jour de 1991, situé aux débuts de la guerre du Golfe . Ce garçon rencontre Victorien Salagnon, ancien maquisard, engagé volontaire dans l’armée et combattant des guerres d’Indochine et d’Algérie.
L’habileté d’Alexis Jenni est d’éviter l’écueil, qui aurait consisté à élaborer un récit romanesque, un de plus, de ces guerres . Le roman oscille entre la restitution des échanges entre ce jeune homme et Victorien Salagnon, accompagné de la femme de sa vie, Eurydice, dont il a fait la connaissance en Algérie, et d’autres relations, parmi lesquelles un certain Mariani, compagnon d’armes.

Le fil conducteur du roman est le suivant : La France a, peu ou prou, conduit depuis 1945 jusqu'à 1962 la même guerre : « -Vous ne l’avez pas remarquée la guerre de vingt ans ? La guerre sans fin, mal commencée et mal finie ; une guerre bégayante qui peut-être dure encore. La guerre était perpétuelle, s’infiltrait dans tous nos actes, mais personne ne le sait . Le début est flou : vers 40 ou 42, on peut hésiter. Mais la fin est nette : 62, pas une année de plus . Et aussitôt, on a feint que rien ne se soit passé. »

Autre fil conducteur du roman : la référence à Sun-Tsu , auteur de L’art de la guerre, auquel Alexis Jenni fait référence implicitement dans le titre de son roman . Après avoir évoqué un dialogue de Sun-Tsu avec un empereur de Chine, il décrit le rôle destructeur de la peur dans l’accomplissement des guerres : « Nous , les gens, nous avons des jus psychiques et volatils qui agissent comme des odeurs et les partager est ce que nous aimons le plus . Quand nous sommes ensemble, ainsi unis, nous pouvons sans penser à rien d’autre courir , massacrer, nous battre à un contre cent. »
On peut relever au cours du livre la présence répétée de propos acerbes à l’encontre du Général de Gaulle : « Il nous donna, parce qu’il les inventa, les raisons de vivre ensemble et d’être fiers de nous . Et nous vivons dans les ruines de qu’il construisit, dans les pages déchirées de ce roman qu’il écrivit, que nous prîmes pour une encyclopédie, que nous prîmes pour l’image claire de la réalité alors qu’il ne s’agissait que d’une invention ; une invention en laquelle il était doux de croire . »

On le voit , l’histoire de France , dans ses épisodes les plus cruels, est omniprésente . Ce qui sauve Victorien Salagnon de la barbarie et de la cruauté, c’est la peinture , art auquel il s’adonne entre deux combats , qui le distancie des événements, qui le pousse à élaborer , par ses dessins et ses peintures, des souvenirs , sources de rééquilibrage psychologique pour lui.
On trouve aussi, dans ce roman, de très éclairantes réflexions sur les liens existants entre ce passé, un peu lointain peut-être pour certains, et l’actualité sociale de la France :
« Nous avons manqué à l’humanité . Nous l’avons séparée, alors qu’elle n’a aucune raison de l’être . Nous avons créé un monde où selon la forme du visage, selon la façon de prononcer le nom, selon la manière de moduler une langue qui nous était commune, on était sujet ou citoyen. Chacun consigné à sa place, cette place s’héritait et se lisait sur les visages. »

C’est probablement un des meilleurs romans sur ce sujet : le rapport de la France à son passé colonial, à son art de la guerre.
A lire absolument.

TRIEB - BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans - 23 mai 2012


Ennui guerrier 5 étoiles

Ma lecture précédente (Karine Giebel) m'avait laissé l'effet d'une route sinueuse au volant d'un bolide sportif. Tel ne fut pas mon choc, lorsque j'ai enchainé avec "L'art français de la guerre", qui m'a déménagé sur une longue ligne droite en tracteur.
Le fond de l'histoire ne m'a pas intéressé. Le passage d'un personnage à l'autre ne m'a paru d'une grande utilité. La vie du narrateur principal part dans diverses directions, à chaque nouvelle information, ce qui permet à l'auteur d'intégrer ses pensées politiques ou sociales (souvent très intelligentes d'ailleurs) sur les différents sujets abordés. La lecture en devient pesante. Et en ce qui concerne l'histoire de Salagnon, l'histoire des guerres, elle ne m'est pas vraiment apparu comme passionnante, sans rythme et sans réelle imagination.
J'ai trouvé ce roman extrêmement long car peu accrocheur. De plus il est écrit dans un langage pas très plaisant à la lecture, ce qui rajoute à la lourdeur de l’œuvre.
Je lui mets tout de même la moyenne car j'ai rencontré dernièrement Alexis Jenni et c'est un être véritablement sympathique. Sans rancune!

Killing79 - Chamalieres - 45 ans - 7 mai 2012


la lecture de l'année 9 étoiles

L’art français de la guerre est un roman lourd, lourd comme le poids de ces 600 pages, riche comme le foisonnement des anecdotes, pensées, digressions qui en sont sa trame, profond comme le regard que portent le narrateur et son mentor sur notre monde, pesant enfin, comme son style, répétitif, lent, tel les eaux de la Saône, le roman coule mais nous ne bougeons pas. L’art français de la guerre est ma première plongée dans la psyché d’un soldat, l’auteur parvient avec une simplicité de mots à nous faire ressentir l’horreur quotidienne que vivent les combattants comme naturelle, Salagnon et ses camarades tuent pour leur survie, ils sont devenus des machines de guerre comme on devient forgeron, en tuant pour ne point mourir. Cette plongée dans l’abime est fascinante pour l’écrasante majorité d’entre nous qui n’a pas connu la guerre, ni encore la perspective de la guerre.
A mon sens, plus qu’un roman historique, Alexis Jenni nous offre un roman de l’absurde. Absurde comme l’idée même de la colonie : un européen pour dix indigènes, comment ne pas imaginer ce que serait devenue une Algérie restée française au regard de l’histoire parallèle de l’Afrique du Sud ? Absurde comme ces guerres que la France a menées alors qu’elle ne pouvait pas les gagner. Absurde comme les vies de ces soldats qui se savent condamnés et finissent par se battre seulement pour que survive leur race à eux, la race des guerriers et des combattants. Absurde comme la folie qui frappe les populations oppressées par tant de violence, quand la vie humaine n’a plus de valeur, quand on tue au hasard.
Et puis, l’auteur nous parle d’aujourd’hui, il nous livre sans détour les lignes de fracture d’une société qui n’en est pas vraiment une. Il nous expose ce que la République a tenté de cacher sous un grand couvercle de l’amnistie, espérant que le temps ferait l’affaire. Mais comme le disait Brassens le temps ne peut rien à l’affaire, ou plutôt il pourrait mais certains ne veulent pas le laisser faire. Le temps pourrait car le sexe peut. Mélanger toutes les cultures et alors la France cessera de regarder la couleur de la peau, mais de part et d’autres beaucoup ne veulent pas : les fractures restent ou plutôt elles s’amplifient. Surgissent alors ces phrases chocs sur la société coloniale, cette ville d’Alger où on ne voyait pas les indigènes, je repense alors à ces villes d’Afrique du Sud où je suis passé, de ce bar de Hout Bay où tous les travailleurs étaient noirs. Où habitaient-ils au milieu de ces maisons cossues de bord de mer ? Ils habitaient là, derrière les barbelés, dans un Hamas de tôle à flanc de colline, à la lisière de la ville. Ils étaient là, mais ne comptaient pas. Ne peut-on alors penser aux banlieusards qui viennent servir dans les villes centre ? Ne peut-on alors penser aux premières générations d’Algérie et des autres anciennes colonies venues travailler dans les usines, sur les chantiers ? On ne les voyait pas non plus… Alors le problème serait peut-être que nous voyons trop leurs enfants ? Le problème serait que leurs enfants voudraient être dedans alors que nous les pensions dehors ? Plus encore que la réflexion sur l’absurdité de la solution militaire ou policière, voici les pensées auxquelles m’a mené ce roman, lecture enrichissante si elle en est.

Philippe - - 45 ans - 26 mars 2012


Ambitieux roman, parfois trop touffu, mais honnête 7 étoiles

Un roman ambitieux qui tente d'embrasser ce que l'auteur appelle la "Guerre de 20 ans" (de la Seconde Guerre Mondiale à la fin de l'empire colonial français), sous le prisme d'un dialogue entre deux hommes. L'un, âgé et usé, qui a traversé et participé à cette guerre ; l'autre, jeune, perdu, qui est déjà usé.
Cette relation aura comme fondement un pacte : écrire les mémoires de l'aîné ; en retour ce dernier lui apprendra à peindre. De digression en digression nous évoluons doucement dans la pensée de ces deux là, mettant à jour leurs doutes, leurs failles, mais aussi leurs certitudes.

"L'objet d'étude" est celui de la violence. Non pas ses origines, mais son utilisation, sa fonction dans la société, ou entre nations. C'est de la façon dont diverses formes de coercition peuvent être maniées pour effectuer un contrôle social ou une mainmise sur une population ciblée, voire un peuple entier, qu'il s'agit de mettre en avant. On part de l'individu isolé et on tente de mesurer l'écrasement qu'il peut ressentir face au collectif. Ainsi, la guerre y est décrite dans certaines de ses absurdités (avec la bipolarité : on applique des ordres dans l'action, machinalement ; on tergiverse durant de longues heures interminables, dans l'attente).

Roman touffu, parfois très répétitif (ce qui alourdit l'ensemble) il peut paraître prétentieux à vouloir trop évoquer de thématiques différentes sans aller, pour certaines, jusqu'au bout de la réflexion. En effet, il sera tout aussi bien question de l'identité française, des guerres coloniales, des tortures, du racisme et du fascisme, des banlieues, de la police française, des armes militaires, du foulard islamique, de l'inaction ou de l'indifférence face à la question sociale, de l'impossibilité de "sortir vivant" d'une guerre, de l'éphémère d'une vie, des choix ou des remords, de l'amour entre deux êtres...

Cependant, le récit est crédible, documenté et ne prend pas parti sur ce qui est avancé. On sent certaines critiques sous-jacentes, mais ce sera toujours au lecteur de se positionner, après s'être interrogé.

PPG - Strasbourg - 48 ans - 14 mars 2012


une forme étonnante 5 étoiles

une belle fresque guerrière , une réflexion intelligente et construite sur notre colonisation ; documenté et réaliste au possible (passage du poste isolé dans la forêt par exemple) mais complètement handicapé par un style lourd , touffu , et surtout répétitif (est-ce le professeur dont la déformation oblige de répéter à ses élèves ?) , obligé de sauter des paragraphes entiers ! la forme détruit le fond, d'autant que cette répétition est vraiment exceptionnelle (je ne l'ai jamais rencontrée à ce point en littérature), il y a dans ce style non pas des mots alambiqués , mais des digressions aussi lentes et monotones que les méandres du delta indochinois.

Montjoie - - 75 ans - 9 mars 2012


Ne pas reproduire les erreurs passées 8 étoiles

L'intérêt de connaître l'Histoire est justement d'éviter de refaire les mêmes erreurs qui ont déjà été faites. Je pense que Jenni a très bien compris cela, et qu'il essaye de faire passer un message au lecteur : n'est-on pas en train de reproduire les erreurs passées, notamment dans les banlieues?
En effet, on n'apprend rien (ou pas grand chose) sur les différentes guerres qu'a vécues Salagnon, et, effectivement, les chapitres racontant la vie du narrateur sont parfois très étranges (je pense nottamment au chapitre des courses qu'il fait dans un marché et de la cuisine qu'il fait ensuite pour ses invités), mais l'intérêt du livre réside plus dans la réflexion qu'il impose sur l'identité nationale et sur l'actualité française.

PA57 - - 41 ans - 28 janvier 2012


Demi teinte 7 étoiles

J'ai eu du mal à entrer dans ce livre... Une sorte de mélange entre reportage et fiction dans lequel on se perd parfois.

La narration n'est pas vraiment celle que j'aime, beaucoup de pages pour relater le même événement, un vocabulaire peu varié à certains moment, des longueurs (je le confesse j'ai sauté certains paragraphes voire une à deux pages car le style est parfois lourd).

Personnellement, l’intérêt du livre réside dans sa réflexion sur l'empire colonial français, la vie d'un soldat dans différentes guerres (39-45, Indochine, Algérie) , qui est extrêmement bien documenté et ne prend pas parti ; au contraire il amène à réfléchir sur l'image de la France actuelle.

Les passages sur la vie du soldat Salagnon sont entrainants, parfois durs, parfois poétiques lorsque celui ci parle de ses peintures, en revanche les parties dédiées a la vie du narrateur sont parfois longues et on ne comprend pas toujours le lien qu'il peut y avoir avec le reste du livre ( passage de la pharmacie par exemple...).

Ce qui est sûr c'est que lorsque l'on termine la lecture de cet ouvrage, on fait le point sur l'impact de la colonisation, et surtout il donne une réponse aux questions d'identité, d'appartenance à une nation (en l’occurrence la France) qui sont aujourd'hui d'actualité.

En résumé, je pense que ce livre est très intéressant d'un point de vue documentaire et amène à une réelle réflexion, mais que le style de l'auteur se perd parfois dans des tournures lourdes et répétitives ainsi que dans des passages qui parfois semblent hors contexte.

Calimero33000 - - 34 ans - 7 décembre 2011


Une immense ambition 7 étoiles

Inventer le personnage de Vincent Salagnon, entré au maquis en 1943 pour devenir officier des F.F.L. puis, faute d'un autre emploi, réengagé en Indochine pour suivre en Algérie, n'est pas en soi d'une grande originalité. J'ai personnellement rencontré plusieurs militaires ayant effectué le même parcours. Le mérite de Jenni est d'en avoir tiré un véritable objet littéraire retraçant à travers ce "héros" le cheminement de ces officiers, traumatisés par la défaite de 1940, relancés par la "victoire" de 1945, poussés ensuite par la défense de "L'Empire" et la lutte contre le communisme.
Tout ce qu'écrit Jenni, qui n'a rien connu de cette époque, me paraît plausible et correspond à tout ce qui a été écrit sur ces différents moments troublés de l'histoire. Je n'ai rien appris non plus dans ce récit. Tout a déjà été dit, de nombreuses fois, sur chacun des épisodes qu'il raconte. Cela laisse cependant pantois devant la masse d'informations qu'il a dû digérer. Le contrepoint sur lequel est bâti le roman, avec la partie consacrée à la période actuelle où les résurgences de cet état d'esprit nourrissent une part des mouvements d'extrême droite, est plutôt bien venu. Et, là encore, me paraît justifiable.
Ce qui me manque le plus dans ce récit plutôt factuel, c'est la restitution de l'esprit de l'époque. Comment, à travers tous les soubresauts décrits, la manière de voir le monde depuis la France a évolué vers ce qu'elle est aujourd'hui. Peu est dit de ces profondes transformations psychologiques, intellectuelles et sociales dont ces officiers ont été les opposants, les victimes ou les désenchantés. Jenni a manqué là une belle occasion. Sans doute était-elle hors de sa portée.
La langue de Jenni est classique, parfois un peu verbeuse, parfois un peu lourde. On sent les prudences, les hésitations, l'absence de maîtrise de l'auteur débutant. Si l'éditeur avait véritablement fait son travail, on aurait pu assister à l'éclosion d'un véritable chef d'oeuvre. Malheureusement, les éditeurs réduisent le plus souvent leur rôle à celui d'imprimeurs intelligents et de vendeurs efficaces.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 29 novembre 2011


Etrange roman à deux voix ! 9 étoiles

Enfin pas vraiment à deux voix : il y a le je et le récit et pas vraiment un roman : entre reportage et biographie.
Ca commence mal, la critique : presque impossible à faire !
Le narrateur, paumé et ses états d'âme est parfois passionnant parfois exaspérant !
Le personnage de Salagnon, lui, est fascinant et complexe : froid et profondément humain, soldat dont les mains passent sans transition de la torture à la peinture, lucide et obéissant, technicien de la mort et philosophe .....
Souvent, dans la lecture de ce livre, on se sent poisseux de sang, on accompagne la désillusion de ces militaires englués dans leur vie "Il vaut mieux que je reste là. Entre morts, entre futurs morts, nous nous comprenons".
L'analyse des guerres coloniales est fascinante : "Nous avons manqué à l'humanité. Nous avons crée un monde où selon la forme du visage, selon la façon de prononcer le nom, selon la manière de moduler une langue qui nous était commune, on était sujet ou citoyen. Chacun consigné à sa place, cette place s'héritait et elle se lisait sur les visages. Ce monde, nous avons accepté de le défendre, il n'y a pas de saloperie que nous n'ayons faite pour le maintenir"....
Pas d'auto flagellation, des constats ! pas de grandes découvertes pour quiconque s'intéresse à notre Histoire : c'est l'agencement qui fait la magie, la nouveauté du regard, distant et réaliste.
La fin qui appelle à la vigilance pour ne pas reproduire cette arrogance payée si cher, dans nos cités, ouvre une clé de compréhension d'aujourd'hui : à saisir.

Malgré quelques longueurs, ce livre est passionnant, intelligent, parfaitement documenté, foisonnant de personnages et de situations et nous oblige à accompagner cette tranche d'Histoire, sans sombrer dans la facilité du "tous pourris" ou du "tous victimes" !
les phrases sont ciselées ou abruptes et souvent on s'arrête pour relire afin de mieux tenter de percer le gouffre de l’âme humaine.
Un premier livre qui mérite le grand prix qu'il a reçu !

DE GOUGE - Nantes - 68 ans - 21 novembre 2011


relations bizarres.... 4 étoiles

Si vous avez lu /centurions de Larteguy / Bataillon RAS de Jean Pouget / ...secouez le tout et vous retrouverez l'essentiel du livre .....bien sûr assez bien écrit ..mais rien de neuf... vous y retrouvez les viets ...la jungle ...la pied noir amoureuse du beau para etc.....

Canadien - - 77 ans - 16 novembre 2011


Trois guerres en vingt ans 9 étoiles

Ce sont ces trois guerres auxquelles participe Victorien Salagnon qui sont le sujet principal du roman et qui en rythment le déroulement. Le héros est à peine âgé de vingt ans lorsqu’il rejoint le maquis en 1944 ; comme beaucoup d’autres jeunes de cette époque, il connaîtra la victoire en 1945 puis s’engagera dans l’armée coloniale et après Dien-Bien-Phu il sera appelé en Algérie jusqu’à l’indépendance. Aujourd’hui, âgé de quatre-vingts ans, il vit retiré dans une banlieue déshéritée de Lyon et continue à revoir certains de ses anciens camarades.

L’action commence réellement quand il rencontre un homme encore jeune qui n’a pas connu cette époque : le Narrateur. Ce dernier mettra en forme les souvenirs de l’autre qui en échange lui apprendra à peindre… Le texte nous propose une succession de « romans » ( les récits de guerre) et de « commentaires » inspirés par ces récits ou la situation actuelle, par exemple dans les banlieues. Cette présentation originale est facile à suivre pour le lecteur, même s’il doit parfois attendre un peu avant de connaître la suite.

Je suis émerveillé par le travail de l’auteur qui n’a connu lui-même cette période que par les témoignages de l’époque, il réussit à convaincre le lecteur de l’authenticité des faits rapportés souvent dans le détail. Ceci est particulièrement vrai, à mon avis, pour la relation de la guerre d’Indochine. Et la relation de faits contemporains (achat de médicaments dans une pharmacie de garde en banlieue…) est criante de vérité ! Le récit reste très équilibré et ne prend pas parti, ni dans un sens ni dans l’autre, et permet ainsi au lecteur de commencer sereinement sa propre réflexion sur tous ces évènements dramatiques.

Vraiment un auteur prometteur et un livre qui mérite amplement le Goncourt

Tanneguy - Paris - 85 ans - 12 novembre 2011