Chaque année les enfants de Tolkien recevaient des nouvelles du Nord, des baisers d’amitié. C’est le père Noël qui envoyait ces lettres, l’ours polaire plutôt le faisait pour son maître. Il y racontait tout de ses occupations, comment les gobelins par leurs exactions déclenchèrent la guerre au pays des frimas, et comment l’ours polaire, bon gars mais maladroit, manqua plus d’une fois de ruiner la Noël ou de céder la lune à des dragons cruels.
Comment, ô cher lecteur, ton œil comme un brandon ne voit en ces écrits que mystification ! Eh ! Qu’importe le vrai pourvu qu’on ait le laid ? De sornettes chargé, le conte est vérité, vérité qu’on bâtit, vérité relative mais qui sonnent dans l’air en mélodies plus vives. Eh ! Qu’importe le faux pourvu qu’on ait le beau ? Face au monde tout cru, seul le conte prévaut. Ces terres n’ont à voir que neiges éventées, pourtant Tolkien les peuple de contes de fées : elles deviennent donc un pays formidable. Ainsi l’on crée le beau ou le laid ou l’aimable ; un beau mont n’est pas beau, pas plus que n’est vilain le val tout desséché déjà mort au matin ; idem la belle plage ou le laid dépotoir ; nous les faisons ou laid ou beau par le regard. Or Tolkien, magicien, a ce merveilleux don d’épaissir notre monde par l’imagination, de crever le simple « être » pour créer le « sur-être », et c’est cette magie que j’adore en ces lettres !
Ce livre est un bonheur, une joie, une extase, une envie d’être au monde en quelques simples phrases. Je me sens transporté vers un ailleurs fugace où l’esprit peut s’étendre sans manquer de place ; je me sens rafraîchi, comme consolidé, et j’avais ce besoin pour revivre en idée, car il ne suffit pas de vivre par la chair, à ne vivre qu’ainsi on manque bientôt d’air.
Ce livre est œuvre d’art pour au moins deux raisons. Pour commencer Tolkien bâtit son illusion autour de trois graphies ; l’une tremblante et fine pour le père Noël ; d’une tout autre mine, larges lettres balourdes tout en majuscules marquent les commentaires fait par son émule qu’il laisse dans la marge ou met en post-scriptum ; la dernière est tardive, paraît au minimum, tout en pattes de mouche pour l’elfe Ilbereth, fine, vive et joyeuse , qui bourdonne et embête. On y retrouve aussi des perles de vision, des filles du pinceau, belles illustrations de la main de Tolkien en appui de ses contes, montrant au moins autant qu’elles nous le racontent. Tolkien, ami du conte autant que du langage, y composa aussi et sur toute une page un nouvel alphabet au peuple gobelin, presque cunéiforme mais sans aller loin, sans pousser jusqu’à faire une propre grammaire : ce n’est qu’un petit jeu, facétie langagière. Ce sont de vrais bijoux riches et colorés qui peuvent charmer l’œil du concret à l’abstrait.
Ce livre est plein d’humour. Écrit pour des enfants, ce côté décalé est-il si surprenant ? Ce sont d’abord les gaffes signées l’ours polaire qui tirent des sourires, et puis les commentaires qu’en la marge des lettres laisse l’accusé pour aller rétablir sa propre vérité. Parfois c’est l’elfe aussi qui s’en vient tacler l’ours, qui tire où ça fait mal sans manquer de ressource.
Mais c’est surtout un livre d’amour paternel. Qui n’aurait pas rêvé d’avoir un père tel ?
Froidmont - Laon - 33 ans - 12 février 2024 |