Chroniques de Bustos Domecq de Adolfo Bioy Casares, Jorge Luis Borges

Chroniques de Bustos Domecq de Adolfo Bioy Casares, Jorge Luis Borges
(Cronicas de Bustos Domecq)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Stavroguine, le 8 décembre 2011 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 5 étoiles
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Petite fraude à quatre mains

Borges, me semble-t-il, affirmait préférer, par paresse, commenter les livres qu’il rêvait plutôt que de les écrire. Pour ce faire, il invente ici avec son ami Bioy Casares le personnage de Bustos Domecq, chroniqueur issu de leur imagination et des noms de deux de leurs aïeux, pour nous présenter certains auteurs et artistes à la démarche novatrice.

On peut imaginer que Borges et Bioy Casares ont pris un certain plaisir à croquer la silhouette de leur chroniqueur : pour une fois deux auteurs prennent l’identité de l’un de ceux, qui jours après jours, dissèquent (ou survolent) leur œuvre et la critiquent. C’est tout à fait l’arroseur arrosé. On ne s’étonnera donc pas de percevoir, à travers la prose ampoulée de Bustos Domecq, un personnage peu sympathique. Le chroniqueur, qui ne manque pas une occasion de se mettre en valeur – tant et si bien qu’il devient, avant l’artiste qu’il présente, le sujet principal de ses chroniques –, se révèle être un fat, un vaniteux méprisant et vénal, s’empressant de reconnaître le génie dans l’imposture et s’en attribuant toute la gloire.

Bustos Domecq, au cours de dîners mondains, rencontre donc ces artistes qui se caractérisent plus par leur démarche que par leur œuvre proprement dite. On ne nuira pas trop à l’intérêt de l’œuvre en dévoilant certaines des particularités de ces artistes : l’un publie des livres qui se résument à leur seul titre, l’autre fait des moulages enfantins et dépourvus d’intérêt pour mieux exposer l’air qui circule entre chaque, un troisième encore recopie à la virgule prêt des œuvres déjà écrites et les publie sous son nom comme si elles étaient originales… Quelle que soit la fraude, l’intérêt n’est pas tant dans le stratagème employé que dans les arguments utilisés par Bustos Domecq pour persuader son lecteur que l’artiste qu’il présente est sans conteste le plus grand génie de sa génération – sans quoi Bustos Domecq ne se serait de toute façon pas intéressé à lui.

Si l’œuvre est originale et l’imagination de Borges et Bioy Casares remarquable, on ne peut pas dire que chacune de ces petites chroniques soit réellement flamboyante. Au contraire, on aura plutôt tendance à les lire distraitement et à les oublier aussi vite (j’ai ainsi eu du mal à retrouver les exemples d’œuvres artistiques cités plus haut). Bien entendu, les démonstrations de Bustos Domecq reposent sur un raisonnement plus que bancal, mais c’est là tout l’intérêt du livre qui nous montre en quelque sorte comment « vendre de la merde à des cons » à grands coups de sentences prétentieuses. Critique de certains mouvements artistiques du vingtième siècle pour lesquels la démarche artistique passait avant l’œuvre elle-même, critique des critiques, œuvre dada, ou simple fraude ? Si l’on peut s’interroger sur la nature réelle de ces fausses vraies chroniques, elles peinent à captiver le lecteur passée l’originalité des deux ou trois premières d’entre elles. Ensuite, le procédé devient répétitif et on aura tendance à s’ennuyer. Somme toute, ces chroniques ne sont qu’un petit OLNI rafraîchissant et ingénieux. Certes, ce n’est déjà pas si mal, mais on est en droit d’attendre mieux d’un maître tel que Borgès : on est bien loin du génie qui habitait Fictions.

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