Napoléon ou le mythe du sauveur
de Jean Tulard

critiqué par Oburoni, le 11 décembre 2011
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
Napoléon, entre réalité et légende
L'épopée napoléonienne est une saga connue, les livres à son sujet s'empilent les uns sur les autres par centaines de milliers. Dans une biographie consacrée à un tel homme Jean Tulard suit donc les règles du jeu. Il revient sur ce parcours fascinant, montre comment l'homme, opportuniste, arriva à émerger des troubles de toute une période pour s'imposer, au fil des ans, en une figure de proue de l'histoire de France et de l'Europe.

La structure du livre est simple mais laisse assez de place à plein d'informations. Certains chapitres s'attardent sur des sujets comme l'économie, l'art et la littérature ou encore la religion. Tous se terminent par des "notes" riches en détails (bibliographie, commentaires, débats ouverts...). Une annexe avec chronologie, liste de ses ministres et maréchaux et, même, une impressionnante filmographie achève le tout. A la fois complet et d'un style agréable l'ouvrage est donc très plaisant à lire.

Fidèle au sous-titre ("ou le mythe du sauveur") Jean Tulard montre aussi que, si on entretient encore cette image de Napoléon comme étant le "sauveur" de la Révolution c'est dû à Napoléon lui-même, propagandiste conscient de l'importance de l'image qu'un leader se doit de donner à son peuple... et à la postérité ! De sa première campagne d'Italie à Sainte-Hélène l'homme s'invente et se vend, évoluant au gré des circonstances. Bulletins de l'armée, peintures, culte impérial et jusqu’à sa silhouette, travaillée au point d’être devenue une image d'Epinal Napoléon fut, en somme, un brillant spin doctor avant l'heure.

Ce qui est étrange est que, tout en reconnaissant ce caractère propagandiste l'historien semble en tomber sous le charme lui-même. Il fait peu de cas des royalistes, défend les conditions économiques favorables et, avec les Coalitions à qui il fait porter la seule responsabilité des guerres (sauf pour l'Espagne et la Russie) se lit entre les lignes comme une justification des politiques drastiques mises en place. L'Etat policier, nous assure-t-il, n'était pas si totalitaire que cela... Je ne prendrais pas position (mes idées sont trop confuses en ce qui le concerne !) mais nul doute qu'une telle approche agacera certains lecteurs. Cela dit, peut-on être objectif en écrivant sur un tel homme ?

Parce qu'il montre bien à quel point il est encore difficile de différencier légende et réalité, naviguant parmi les fumées d'une propagande dont les enjeux sont pourtant essentiels à saisir, en plus d’être une bonne biographie et un bon survol de l'époque ce livre reste donc passionnant.
Un spécialiste assez critique 9 étoiles

Jean Tulard a rendu un énorme service à tous ceux qui veulent comprendre la geste napoléonienne tout en la débarrassant de l'imagerie d'Epinal dont elle est trop souvent encombrée. Ayant assez de distance avec son sujet pour ne pas tomber dans l'admiration béate, il a démontré que Napoléon Bonaparte a été le premier à forger sa propre légende, et cela dès la première campagne d'Italie. Nous avons tous en tête l'image de Napoléon franchissant à la tête de ses troupes et drapeau en main le pont d'Arcole. Or, l'on sait que cette bataille, loin d'être un fait aussi glorieux qu'on pourrait le croire, au vu des résumés que nous en connaissons, fut difficile, qu'elle dura au moins trois jours, que le général Bonaparte faillit bien être tué ou pris en tombant de cheval dans un marais, ce qui n'était pas glorieux mais plutôt humiliant.
Tulard a bien vu comment Bonaparte puis l'Empereur a orchestré sa légende en se servant de ses Bulletins et proclamations aux armées (puis des Bulletins de la Grande Armée), de chaque compte rendu de victoire puis, avec le contrôle de la presse et la réduction des titres à ceux qui étaient en service commandé pour le régime napoléonien, à la traduction des faits plus qu'élogieuse dans des journaux comme le Moniteur, et enfin avec ce monument de légende qu'est le Mémorial de Sainte-Hélène.
Tout cela, bien sûr n'enlève rien à la grandeur de Napoléon, mais cela la ramène cependant à des dimensions plus humaines.
On s'est plu, depuis quelques années à accentuer de nouveau la face sombre du personnage appelé aussi par ses ennemis l'Ogre corse, et c'est vrai qu'il eut la responsabilité de rétablir l'esclavage dans nos "colonies" là où la Révolution avait souhaité l'abolir, écoutant en cela des privilégiés intéressés à son maintien. Il a aussi violenté l'Europe et particulièrement l'Espagne, le Tyrol et la Prusse, éveillant dans ce pays un sentiment nationaliste qui aura pour nous des répercussions énormes comme les chocs en retour provoqués par une Allemagne unifiée justement par la Prusse et dont les lointaines conséquences seront les guerres de 1870, 1914-1918 et 1939-1945. Napoléon a cependant l'excuse d'avoir vu se reformer sans cesse contre la nation française issue de la Révolution et de l'Empire des coalitions anglo-russo-autricho-prussiennes toujours plus puissantes et inquiétantes, et il fut plus contraint à la réaction que belliqueux par nature. Rendons-lui au moins cette justice.
Le "foudre de guerre" qu'il fut exista bel et bien, et le grand stratège aussi, mais qu'aurait-il été sans un grand organisateur et un fournisseur de moyens et transmetteur d'ordres comme son chef d'état-major Berthier (mort avant Waterloo). Et surtout, on se demande bien si il aurait pu monter les marches du pouvoir en 1799-1800 si un Masséna n'avait pas empêché l'invasion de la France en arrêtant et écrasant l'ennemi à Zurich, et s'il ne les aurait pas rapidement descendues sans l'intervention de Desaix et les charges de cavalerie de Kellermann à Marengo en 1800, alors que la bataille semblait perdue.
Doit-on se flatter d'avoir eu pour maître un Napoléon Bonaparte, qui luttait contre l'impossible, presque seul contre tous en Europe, malgré l'aide momentanée de quelques principautés germaniques baptisées du nom collectif de Confédération du Rhin et bâtie sur les ruines fumantes du Saint-Empire romain germanique ? Napoléon n'est pas comparable à Hitler, même si comme le fera aussi ce dernier, il se lança dans l'entreprise démesurée de l'invasion de la Russie. Son combat, qui devait sans cesse être repris et le faire se surpasser, était perdu d'avance.
Alors n'aurait-il pas été préférable que la France fît l'économie d'un Napoléon Bonaparte ? On ne refait pas l'Histoire, mais avouons que ces pages glorieuses, écrites au prix de beaucoup de sang versé et de territoires envahis, ont conduit la France, qui était encore puissante en 1800, vers le début d'un lent déclin, qui n'a fait que se confirmer en 1940, et puis davantage encore après le sursaut de la période Gaullienne de 1958 à 1969. La France a appris qu'elle ne pouvait plus rien faire sans être partie prenante dans un projet européen.
Voilà les réflexions que fait surgir la lecture du livre de Tulard. Et cela, même s'il ne fait pas pour son compte, ces observations, ne peut manquer d'y conduire.
Il nous fallait sans doute passer par Napoléon Ier et sa défaite finale et irrévocable pour apprendre que nous sommes une nation parmi d'autres et que notre destin est d'assumer ce que nous avons été et ce que nous sommes devenus en l'intégrant dans la construction, espérons-le, enfin pacifique, quoique parfois douloureuse, de notre maison commune : l'Europe.
François Sarindar

Francois Sarindar - - 66 ans - 16 juin 2013


Napoléon, l'histoire d'un mythe 8 étoiles

De Tullard, j'avais lu "Les vingts jours", qui racontait l'incroyable épopée de l'Aigle débarqué de son île pour reconquérir la France a lui tout seul. C'est pourquoi la critique de Oburoni m'avait incité à poursuivre sur ma lancée avec cet ouvrage. Un ouvrage qui, disons le tout de suite, est d'un certain calibre. Jean Tullard est un spécialiste reconnu de Napoléon et ce "Napoléon ou le mythe du sauveur" est un classique sur le sujet. C'est un classique, un livre généraliste, rien n'est laissé de côté, ce qui rend l'ouvrage très touffu. Sans être réservé aux chercheurs, ce livre n'est pas non plus de la basse vulgarisation. Le but est clairement d'être complet et de faire le tour du sujet. Heureusement les notes trop pointues et les références abondantes sont groupées en fin de chapitre, soit réservée au lecteur très avertis, soit laissées pour une deuxième lecture.

Cet avertissement fait, je dois dire que j'ai appris beaucoup de choses sur l'empire, époque que je connaissais assez peu et que le livre se lit assez facilement. Tout les aspects sont donc abordés : par exemple, il y a un chapitre sur l'art et la culture (le style empire, plus tard le romantisme), un chapitre sur l'économie, un sur la religion, sur les différentes classes sociales. Dans un autre chapitre, on passe en revue toute les régions qui constituaient l'empire, avec la situation de l'agriculture et du commerce.

Ce qui m'a frappé, c'est de voir à quel point l'aspect économique a été déterminant dans toute cette épopée. Il faut savoir qu'en Angleterre l'automatisation était déjà bien commencée et en avance sur le continent. Le commerce était en pleine expansion et déterminant pour la prospérité, avec les colonies et l'Amérique par exemple. La tragique défaite de la flotte française sur les mers, et les conséquences du blocus contre l'Angleterre sont très bien discutées (le blocus qui fut tour à tour favorable à l'économie française et défavorable). On voit aussi le rôle prépondérant des notables qui ont soutenu Napoléon quand ça les arrangeait, et plus quand il devenait dangereux pour leur liberté ou leur négoce. Le livre brosse bien évidemment chacune des grandes campagnes militaires, mais sans entrer dans les détails. Les victoires rapides de la grande époques (Iéna, Austerlitz) me semblent due à un certain génie militaire (une nouvelle manière de faire la guerre), mais on dirait que Napoléon ait perdu son discernement en s'engluant en Espagne et surtout plus tard en entrant en guerre contre la Russie. Pour la première fois, Napoléon fut confronté à une guerre empreinte de nationalisme et de ferveur religieuse à laquelle il n'était pas prêt. De la même manière, il aura peut-être sous-estimé le nationalisme autrichien et prussien plus tard, un nationalisme qui rendit les soldats beaucoup plus combatifs et les combats plus sanglants.

Je dois dire que l'image de Napoléon ne sort pas grandie de cet ouvrage. Il apparait comme un opportuniste, qui savait admirablement gérer son image (la propagande) et surtout qui avait un sens politique très développé. Si il apparait comme le sauveur de la France, c'est chaque fois par opportunisme et grâce à son sens politique. Mais une fois le rôle de sauveur terminé, il s'est transformé en despote, et sa fin était scellée. Le mythe sera principalement créé par Napoléon lui-même, exilé sur son rocher, lorsqu'il écrira ses mémoires. Ce mythe sera abondamment repris par les romantiques tel Hugo et imprègnera l'imaginaire jusqu'à maintenant encore.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 14 avril 2012