Les figuiers de Barbarie de Rachid Boudjedra

Les figuiers de Barbarie de Rachid Boudjedra

Catégorie(s) : Littérature => Arabe

Critiqué par Lectio, le 17 décembre 2011 (Inscrit le 16 juin 2011, 75 ans)
La note : 8 étoiles
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Alger-Constantine

Les deux hommes se connaissent depuis l'enfance. Nés à Constantine, ils sont de cousinage plus ou moins lointain, mais tel n'est pas le lien qui les unit. Fils d'un haut fonctionnaire de police, l'un connait une jeunesse aisée au sein d'une famille unie à l'abri du besoin. L'autre, fils d'une mère répudiée et d'un père polygame, volage , hâbleur, affairiste et profondément égoïste connait une vie chaotique et pauvre. Lorsqu'ils se rencontrent les deux hommes échangent, comme de coutume, sur leur passé, le confinement de l'avion Alger-Constantine prédisposant sans doute à ce rituel. Les soixante minutes du vol déchainent les souvenirs piranhas. Pourrait-il en être autrement, eux qui ne connaissent que chairs et sang mêlés des corps éclatés, mutilés, décapités, torturés, pendant la guerre d'indépendance d'abord, puis dans les luttes fratricides de la guerre civile et de ses attentats sanglants et des exécutions sommaires. Il y a aussi ces questions à jamais sans réponse, objet de leurs discordes, comme sur la collaboration du père, commissaire de police, avec les Français ou comme agent secret du FLN; sur l'engagement du frère dans l'OAS, exécuté, dont on ignore où est enterré le corps... Cette heure d'avion c'est l'histoire de l'Algérie et de ses plaies encore béantes. Rachid Boudjedra nous livre un récit cru, sans retenue. La honte et l'effroi nous envahissent tour à tour devant les exactions des colons, des militaires français, devant la barbarie des tortionnaires quelle que fut leur nationalité.
Les FIGUIERS DE BARBARIE, c'est aussi un roman intimiste où la vie sexuelle des deux hommes occupe une large place. Fidèles à leur serment de jeunesse de demeurer célibataires, ils découvrent que la vie amoureuse partagée avec deux soeurs jumelles constitue le lien indissoluble entre eux plus que leur vague parenté. Nous pardonnons et comprenons les nombreuses répétitions de faits, les redondances, cris de souffrance et d'incompréhension des protagonistes.
" ..en fait le colonialisme est une maladie chronique. Elle ne cesse jamais et on en guérit jamais. Presque 50 ans après l'indépendance, cette saloperie continue à faire souffrir beaucoup de monde. C'est la lèpre. Elle est indélébile. Il faudrait tant et tant de générations pour que la conscience nationale s'apaise. Pour le moment, elle est toujours malheureuse, susceptible et aux aguets. Après tant de tortures érigées en système, de tueries, de massacres, de décapitations, d'exécutions sommaires, de corvées de bois dont on ne revenait pas, de napalm déversé sur tout le pays, d'essais nucléaires dans le Sahara. La déchirure."
Tout l'ouvrage est là, dans ces quelques lignes. Un cri, une douleur, des visions d'horreurs et des questions sans réponse.
Bienvenue à Constantine, l'avion est posé.

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