L'argent
de Émile Zola

critiqué par Exarkun1979, le 24 décembre 2011
(Montréal - 45 ans)


La note:  étoiles
L'argent
Aristide Saccard, un des membres de la famille des Rougon-Macquart que l'on retrouve dans La Curée, a perdu tout son argent à la bourse. Il s'allie donc à Hamelin pour fonder une banque qui aura pour but ultime de mettre le pape sur le trône de Jérusalem. Cependant, Saccard est un assoiffé d'argent. Il est prêt à toute sorte de magouille pour faire monter artificiellement la valeur des actions de l'entreprise.

Dans ce roman, Zola s'attaque cette fois-ci au monde des spéculateurs boursiers qu'il compare à des gamblers. Pour lui, il n'y a aucune différence entre la bourse et le jeu. Il s'attaque aussi aux magouilleurs qui sont prêts à n'importe quelles manœuvres pour faire hausser la valeur des titres artificiellement et qui créent des bulles qui font perdre beaucoup d'argent aux investisseurs lorsqu'elles éclatent. Il parle aussi de ces journaux qui sont à la solde de ces entreprises et qui moussent les actions. C'est de la convergence avant le temps.

Ce roman de Zola est excellent, comme la plupart des autres. Ce qui est bien, c'est qu'avec l'économie vacillante des dernières années, ce roman est toujours d'actualité. C'est comme si l'être humain n'apprenait jamais de ses erreurs. C'est donc un bon livre en cette période d'instabilité économique.
Wall Street à la sauce Zola ! 9 étoiles

Saccard (que nous avons découvert dans LA CUREE) revient sur le devant de la scène. Il considère que l'argent est le moteur de toute chose. Si le principe de l'offre et de la demande est probablement la première règle de l'histoire de l'humanité, la seconde serait sans doute que chaque chose n'a pour valeur que celle qu’on lui donne... et c'est bien là le principe universel de "la bourse". Saccard l'a compris, et en créant la banque universelle, il se couvre de publicités et de dorures qui vont lui donner une crédibilité et motiver l'appétit des acheteurs. Finalement Zola nous décrit avec un siècle d'avance le crash boursier de Wall Street de 1929 et celle des subprimes de 2007.
Il est donc une troisième loi. Elle ne fut pas dictée sur le Mont Sinaï mais elle s'inscrit dans la logique : tout ce qui monte finit par descendre. Il suffit donc de savoir attendre.

Le roman est bien construit. Les personnages se croisent avec intelligence ; le bien et le mal se côtoient (comme dans la vraie vie).
Dans le cas Saccard, son contraire est tout désigné. Une femme qui ressemble à un ange. Elle se nomme Caroline Hamelin. Pieuse, douce, probe et profondément bonne... et pourtant elle deviendra sa maîtresse et son ouvrière.
Ce dix-huitième opus n'est pas le meilleur mais il croise une réalité avec brio.
L'écriture de ce texte précède de plus de cinq ans l'affaire Dreyfus, Zola a toujours dénoncé avec force l'antisémitisme et dans « l'argent » les propos envers les juifs sont sévères, Saccard d'ailleurs fait presque de sa lutte une guerre de religion, il est vrai que le personnage ne s’embarrasse d'aucun scrupule pour en arriver à ses fins.

LES PERSONNAGES PRINCIPAUX

SACCARD.
Aristide Rougon, dit Saccard, né en 1815 ; épouse en 1836 Angèle Sicardot, calme et rêveuse, fille d’un commandant ; en a un fils en 1840 et une fille en 1847 , et perd sa femme en 1854 ; a eu en 1853 un fils adultérin d’une ouvrière, Rosalie Chavaille, qui comptait des phtisiques et des épileptiques dans son ascendance ; se remarie en 1855 avec Renée Béraud du Châtel, qui meurt sans enfants en 1864.
Aristide s’enrichit par l’expropriation, la démolition, la construction, la spéculation. Il est intermédiaire dans les emprunts de la ville. Mais sa fortune n’est pas stable. Comme M. Haussmann, Aristide a le luxe inutile, et garde la misère réelle. Il a tenté les grandes aventures, il est le type des grandes dépenses, du luxe étalé dans les maisons neuves, tout en façade. Aristide est administrateur, agioteur, entrepreneur. Il doit, mais il jouit, il intéresse ses créanciers à ses succès, etc. ; il leur fait voir des fantasmagories de calcul. Et au dernier moment liquidation, expiation.
Un homme emporté par une idée fixe : faire une grande fortune. Un homme enjambant tous les obstacles, ne s’arrêtant en chemin que pour jouir. Brutal, allant droit au but. Une volonté en somme, dans le mal, dans la coquinerie, volonté privée de sens moral et acceptant tout.
Donc en 1864, Saccard a 49 ans. – Au physique, c’est un petit homme noirâtre très vif. Tenant de sa mère, la cigale. Traits creusés, un Thiers accentué. Mais je ferai que l’âge ne mord pas sur lui. Pas un cheveu blanc, cheveux très touffus ; pas de barbe ni de moustaches, il a l’air, rasé, d’avoir toujours trente-cinq ans. Nez pointu, flairant. Yeux très vifs, luisant, fouillant. Et une maigreur, une vivacité de jeune homme. Pas beau, mais s’arrangeant presque avec l’âge : un véritable charme, par cette conservation. La jeunesse, cette activité de gestes et de paroles prodigieuses. On comprend qu’une femme puisse s’intéresser à lui.
Un Saccard nouvelle forme. L’hôtel du parc Monceau a été vendu, dans une débâcle que je dirai brièvement. Pris dans un écroulement d’une spéculation sur les terrains. Il a toujours eu des hauts et des bas ; même au sommet du succès, lorsqu’on le croyait très riche, sa caisse souvent était vide. Il a donc un bas terrible. Puis, lui donner l’amour du changement. Il en a assez, du parc Monceau. Il veut recommencer, faire autre chose. Et le premier étage de l’hôtel d’Orviedo, qu’il loue dans un quartier que je choisirai. Il est venu là parce qu’il connaissait la princesse (il s’est occupé de ses affaires, révolté de voir qu’on la volait, et il ne lui prend pas un sou). Donc, leur connaissance datant de loin déjà, il a eu l’idée de venir occuper l’appartement du premier qu’elle avait fermé, ne recevant plus, s’étant réfugiée au second, dans les logements des domestiques. Il paie un loyer, assez fort : six mille francs, ce qui n’est pas cher, car cela en vaudrait le double. Mais il est venu ici avec un plan : l’idée d’épouser la princesse, de se faire épouser plutôt, lorsqu’il vivrait dans son intimité. Et l’idylle grandiose qu’il fait : devenir le propriétaire de l’immense fortune, un milliard, dit-on, pour le rendre aux pauvres ; car il ne serait que le gérant de cette fortune, il étonnerait le monde par le faste de ses œuvres. Quelque chose de royal dans l’aumône. C’est la connaissance de la princesse qui lui a tourné la tête. Dans la charité comme il a été dans le vol, géant, d’une activité homérique, d’un désir de jouissance illimité. Et il présente ça à la princesse comme une bonne affaire pour elle : on ne la volerait plus. Mais elle ne veut pas. Elle n’a besoin de personne. Il me faut le faire irrité de cela, il comprend, il continue de l’aider pour sa petite œuvre, ne pouvant faire le bruit colossal qu’il rêvait. Tripoter dans la charité, mais sans détourner un sou des pauvres. Le voilà donc forcé de faire autre chose, et la fièvre le reprend. C’est à ce moment que commence mon livre.
Gagner de l’argent, pourquoi ? Pas comme Grandet, pour l’enfouir. D’abord, passion de l’agio, car Saccard a tripoté de tout temps. Plusieurs fois il a touché la puissance par l’argent, mais jamais il ne l’a eue solide, définitive, et il ne l’aura jamais. Donc, de là un enragement, fureur de conquérir, d’autant plus violente que la conquête reste à faire. – Il veut, il est vrai avoir de l’argent, pour l’assouvissement, jouissance du luxe et de la femme, surtout pour être le maître de Paris, l’aveugler, le noyer d’une pluie d’or. Donc tous ces appétits. Mais plus haut, la joie pure de se battre, la conquête pour la conquête, la joie en elle-même du joueur, qu’il gagne ou qu’il perde. Il est là dans son élément, il y vit davantage. – Enfin, la joie de l’action se double de ce qu’il a des vengeances à exercer. Gundermann l’a volé, l’a blessé. – Plus tard il se grise, croit qu’il fera sauter Gundermann. – La veille des armes, la veille du jour où Saccard va engager l’action, la veille d’une grande journée à la Bourse. – Il voit Gundermann, en 1er, et peut-être est-ce lui qu’il vient chercher. Non, j’aimerais mieux l’agent de change. Gundermann passerait. Oh ! l’abattre ! – Enfin, dans la psychologie de Saccard : faire qu’il soit perdu par son luxe, surtout par la Sandorff qu’il a désirée : la punition est dans l’abus de la faute, le ver est dans le fruit. Sa perte doit venir des mécanismes de sa passion. La passion l’élève et le mange. Il s’en rend compte à la Conciergerie. Il regrette surtout que la princesse d’Orviedo n’ai pas voulu se marier. Cette idylle aux millions ; et il s’attendrit. Il aurait pu reconquérir la Palestine peut-être, mettre le pape là-bas. Un rêve de gloire. Il faudra que plusieurs fois, il veuille mettre la princesse dans l’affaire de l’Universelle. Mais elle a juré de ne plus laisser son argent tripoter. – À la fin, il regrette de n’être pas comme le juif, froid, entasseur, sans passion, un coquin qui triomphe par son absence de vie. Gredinerie césarienne. Saccard succombe parce que passionné, jouisseur, emballé. Son frère Rougon le lui disait , tu veux te mettre trop vite à table. »

CAROLINE HAMELIN
Sœur de l’ingénieur Georges Hamelin. Orpheline à dix-huit ans, elle a donné des leçons, soutenant son frère entré à Polytechnique, l’adorant, faisant le rêve de ne le quitter jamais. La bonne grâce et l’intelligence de la jeune fille ont conquis Durieu, un brasseur millionnaire ; il l’a épousée, mais au bout de quelques années de mariage, elle a dû exiger une séparation pour ne pas être tuée par ce mari qui buvait et la poursuivait, avec un couteau à la main, dans des crises d’imbécile jalousie. Elle avait alors vingt-six ans et s’est retrouvée pauvre, n’ayant voulu recevoir aucune pension de l’homme qu’elle quittait. Rendue ainsi à son frère, elle est partie avec lui pour l’Égypte, et a donné des leçons à Alexandrie pendant qu’il parcourait la contrée ; ils sont allés de là en Syrie, ont visité les Lieux Saints et sont enfin revenus en France, lui avec un portefeuille débordant d’idées et de plans, elle avec des aquarelles sans prétention où elle avait fixé des vues de là-bas, tous deux frémissants d’enthousiasme pour les pays traversés. Et ils se débattent à Paris, victimes d’une malchance noire, échoués dans un petit appartement de l’hôtel d’Orviedo, où ils vont se lier avec Aristide Saccard.


LISTE COMPLETE DES PERSONNAGES


Amadieu
Beaudouin
Beauvilliers (Alice de)
Beauvilliers (Comte Charles de)
Beauvilliers (Comtesse de)
Beauvilliers (Comtesse de)
Berthier
Blaisot
Bohain (Marquis de)
Busch Aîné
Busch (Sigismond)
Charles
Charpier
Chavaille (Rosalie)
Chave (Capitaine)
Chuchu (Mlle)
Clarisse
Cœur (Germaine)
Combeville (Duchesse de)
Conin
Conin (Mme)
Cron
Cron (Léonie)
Daigremont
Daigremont (Mme)
Dejoie
Dejoie (Joséphine)
Dejoie (Nathalie)
Delarocque
Delcambre
Durieu
Eulalie (La Mère)
Fayeux
Flory
Gundermann
Hamelin (Caroline) = Caroline (Mme)
Hamelin (Georges)
Huret
Jacoby
Jantrou
Jeumont (De)
Jeumont (Mme de)
Jordan (Marcelle) = Maugendre (Marcelle)
Jordan (Paul)
Keller (Les)
Kolb
Ladricourt (Comte de)
Lamberthier
Larsonneau
Lavignière
Lelorrain
Lévêque (Mme)
Madeleine
Massias
Maugendre
Maugendre (Marcelle)
Maugendre (Mme)
Mazaud
Mazaud (Mme)
Méchain (Mme)
Moser
Mounier
Nathansohn
Orviedo (Prince d')
Orviedo (Princesse d')
Pillerault
Renaudin
Robin-Chagot (Vicomte de)
Roiville (Les De)
Rougon (Eugène)
Rousseau
Sabatani
Saccard (Aristide)
Saccard (Maxime)
Saccard (Victor)
Saint-Germain (Mlle de)
Salmon
Sandorff (Baron)
Sandorff (Baronne
Schlosser
Sédille
Sédille (Gustave)
Sicardot
Sophie
Théodore

Monocle - tournai - 64 ans - 20 janvier 2022


Une étude de la bourse 7 étoiles

Dix-huitième volume de la série des Rougon-Macquart, qui reprend le personnage d'Aristide Saccard de "La curée". On le retrouve ici se livrant à de nouvelles machinations financières, à la tête de la Banque Universelle, gonflant artificiellement le prix des actions et risquant de gros montants dans un irrépressible élan de mégalomanie. Fidèle à lui-même, Zola s'est livré à un travail de recherche colossal avant d'écrire son roman, dont les fruits nous sont recrachés avec une certaine lourdeur. Beaucoup de passages très techniques sur le fonctionnement de la bourse étourdissent le lecteur qui peine à s'y retrouver malgré la présence d'un appareil critique explicatif. Toutefois, lorsqu'il est question des personnages, du drame humain, Zola s'en tire aussi bien que d'habitude et sa plume est toujours aussi fluide. La lecture de "L'Argent" n'est donc pas déplaisante, mais ce n'est pas le meilleur volume de la série, et on y sent un Zola qui, de son propre aveu, avait hâte d'en finir avec ce projet.

ARL - Montréal - 39 ans - 23 octobre 2018


Edifiant 7 étoiles

Encore un roman intéressant, même si un lecteur ayant lu les tomes précédents des Rougon-Macquart, et désormais rompu aux effets de cet auteur, pourrait deviner au bout de 50 pages ce qu'en seront les grandes lignes. Celui-ci s'avère particulièrement instructif : vous découvrez qu'à une époque où il n'y avait pas d'ordinateur, la bourse fonctionnait déjà un peu comme aujourd'hui, ce qui casse la vision erronée que l'on peut se faire du XIXème siècle, à savoir une transition entre l'âge de pierre et notre époque.
A lire pour tous les jeunes traders en herbe, qui auront peut-être une autre vision de leurs arrière-arrière-grands parents.
Pas le meilleur de la série ni le moins bon. Je le situerais donc en milieu de tableau, tant pour l'émotion que l'intérêt.

Warrel62 - - 54 ans - 5 avril 2013