Ce livre, Les Croisades vues par les Arabes, aurait pu s'intituler : La vie au Proche-Orient au temps des Croisades. Parce que, si Amin Maalouf nous raconte, bien sûr, l'invasion des croisés, ces géants blonds, venus d'un autre monde, qui arrivaient vêtus comme pour affronter le pôle Nord, et montés sur des chevaux cuirassés comme les blindés de la dernière guerre, c'est surtout l'Histoire du Proche-Orient qu'il nous raconte.
Ces territoires de l'empire byzantin que les Arabes avaient conquis au temps du Prophète, avaient été, dès le début du IXème siècle, dirigés par des seigneurs étrangers. Au moment des croisades c'était des Turcos-Mongols de la dynastie des Seldjoukides. Ces seigneurs, qui ne parlaient pas l'arabe, vivaient dans l'oisiveté, entourés de femmes et d'esclaves et chaque succession était l'occasion de guerres civiles avec assassinats entre frères, entre frères et beaux-frères, entre père et fils... un peu comme ça se passait du temps de nos rois mérovingiens que l'Histoire a retenus sous le nom de Rois Fainéants.
Ils étaient incapables de se regrouper face aux envahisseurs ; ils fomentaient même des complicités avec eux pour enfoncer un rival – ce qui explique la relative facilité des premiers croisés à se rendre maîtres de grands territoires et, surtout, à délivrer la ville sainte de Jérusalem.
Amin Maalouf nous explique comment, contrairement à ce qu'on s'imagine souvent, une certaine entente s'était tramée très tôt entre croisés et musulmans : il a existé très tôt des échanges commerciaux bien réglementés ; des échanges de civilisation aussi, pour le plus grand profit des croisés qui s'étaient mis à l'arabe, nous dit l'auteur, alors que les Arabes refusaient de parler la langue de l'envahisseur.
Malheureusement, nous raconte encore l'auteur, chaque nouvelle croisade amenait son flot d'excités, décidés à « massacrer du musulman » au nom du Christ... et la guerre sainte reprenait toujours avec pertes et fracas.
Dans son livre, Amin Maalouf nous raconte, avec une clarté remarquable, le rôle des empereurs byzantins et des marchands vénitiens ; les guerres du Kurde Saladin au service de l’Égypte et les rapports tout à fait curieux de son petit-fils Malik al-Kamel dit le parfait avec Frédéric II, cet empereur du Saint Empire, excommunié par le Pape Grégoire IX, pour avoir fraternisé avec les musulmans. Il nous raconte encore le rôle tenu par la secte des « assassins », tour à tour alliés et ennemis des croisés ; le rôle joué par les Mamelouks, ces esclaves devenus grands maîtres de l’Égypte et puis conquérants des pays arabes. Il nous raconte enfin les invasions des Mongols qui, très séduits par le christianisme, ont été à un cheveu d'éliminer les musulmans à tout jamais, qu'Allah leur pardonne, en faisant alliance avec les chrétiens !
Toute cette Histoire qui court sur trois siècles, nous est racontée en 300 pages qui se lisent comme un roman d'aventure. Amin Maalouf a un talent de conteur inimitable ; il n'entre pas dans autant de détails que René Grousset par exemple, le grand spécialiste français des croisades mais son récit le complète parfaitement. C'est un livre d'un intérêt absolument exceptionnel.
Ce qui est aussi prodigieusement amusant dans ce livre, c'est que l'auteur cède souvent la parole, sur des pages entières, à des historiens arabes dont le style est un véritable régal ; ça donne vraiment l'envie de faire leur connaissance.
Assurément, voici un très grand livre d'Histoire dont la lecture est un vrai plaisir. Il nous donne une vision nouvelle de ce que furent les croisades, sans pour autant contredire en rien ce qu'en ont dit les historiens occidentaux.
Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 89 ans - 12 octobre 2014 |