L'homme qui achetait les rêves
de Michel Arrivé

critiqué par Feint, le 24 janvier 2012
( - 61 ans)


La note:  étoiles
Les vieilles tongs du père Manouvrier
Michel Arrivé aime croiser les destins. Cette croisée s’organise souvent sous la forme d’un récit polyphonique : c’était le cas dans ses deux derniers romans, la Walkyrie et le professeur et Un bel immeuble, c’est encore le cas avec l’Homme qui achetait les rêves, paru comme les précédents aux très estimables éditions Champ Vallon.
Le récit commence par le journal intime (intime ? peut-être pas le plus intime de ses écrits) du personnage qui donne son titre au roman, le père Manouvrier, quinquagénaire avancé (nous sommes dans les années 80) féru de mycologie et vivant de peu dans ce qui n’est presque pas une maison, et dont les préoccupations récurrentes concernent ses chaussures, plus précisément les tongs par lesquelles il a cru pouvoir remplacer ses traditionnelles espadrilles ; ses rêves, devenus trop pauvres et trop simples pour qu’il puisse en faire l’usage qu’il désire (mais quel usage ?) ; ses livres dont il se débarrasse selon un protocole singulier ; enfin l’épineuse question de la validité de la méthode du père Béhanzin, son grand-père, dont on ne dira rien de plus afin de ne pas déflorer l’histoire. Ce « Journal du père Manouvrier » alterne avec les « Souvenirs de la Senhora Doutora », échouée depuis son Brésil natal dans cette Champagne reculée (quelque part entre Troyes et Bar-sur-Aube) pour y exercer une forme singulière de psychothérapie inspirée à la fois des écrits du « grand Sigmundo Freud » et des préceptes scrupuleusement (scrupuleusement ?) respectés de sa confession baptiste. Une troisième forme de récit enfin alterne avec les deux précédentes, un récit au narrateur très dépersonnalisé, presque officiel, assez mystérieux finalement, qui donne au lecteur les informations qui manquent, à la fois géographiques – la description des lieux est assez étonnante dans son extrême précision – et biographiques concernant le passé des deux protagonistes.
L’écriture, les rêves, la mort ; les thèmes majeurs des romans de Michel Arrivé (qui occupent aussi une place non négligeable dans ses ouvrages universitaires, comme le linguiste et l’inconscient) se conjuguent pour livrer l’un de ses récits les plus mystérieux, sous son apparente clarté et sa bonhomie caustique.