Le déplacé de Denis Langlois
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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DANS LES TRACES DE LA GUERRE DU LIBAN
C’est un livre qui parle de la guerre, mais aussi de la désillusion. L’auteur, Denis Langlois, avocat et militant révolutionnaire – nous sommes en 1998 – traverse une période de déception. Il doute – on le comprend – qu’une société libre, juste et fraternelle puisse un jour exister. Privé de toute boussole, il se trouve réduit à se fier au hasard.
Et le hasard lui fait signe sous la forme d’une étrange mission qu’une femme lui confie : retrouver son fils Élias Kassem qui a disparu pendant la guerre du Liban.
L’auteur accepte immédiatement, sans réfléchir. Peu de temps après, il se retrouve au Liban.
Première découverte : Beyrouth et les autres villes sont en totale reconstruction, sans aucune préoccupation écologique.
Deuxième découverte : la guerre terminée officiellement en 1990, après 15 ans d’affrontements, est loin d’être finie. Elle a été internationale avec la participation des Palestiniens, des Israéliens et des Syriens, mais elle s’est surtout déroulée entre les différentes communautés religieuses libanaises. Une guerre civile qui a vu des gens apparemment civilisés sombrer dans la barbarie la plus complète et se massacrer entre voisins, parfois entre amis.
Cette guerre-là est toujours présente, car la réconciliation ne se décrète pas, même si le gouvernement libanais s’attache à organiser des cérémonies où les anciens ennemis se serrent la main ou même s’embrassent sous les flashes des photographes ou devant les caméras de la télévision. Il faudrait d’un côté une reconnaissance de culpabilité et de l’autre un pardon. Ce n’est généralement pas le cas.
Retrouver la trace d’Élias Kassem dans ces conditions n’est guère facile. Les bouches se ferment d’autant plus qu’Élias, seul survivant d’une famille qui a été massacrée, a adopté une attitude différente de celle de ses coreligionnaires, les chrétiens. Il a refusé de participer à toute tuerie. Pacifiste, objecteur de conscience – comme l’auteur précisément – il a été rejeté, mis à l’index, brimé, injurié, agressé par les milices. Il est devenu « Élias le dégonflé », celui qui par lâcheté refuse de venger ses morts et de défendre par les armes le territoire communautaire.
La recherche d’Élias est donc pleine d’embûches, elle est aussi pour l’auteur une quête initiatique dans un pays encore en guerre. Pacifiste convaincu, il était allé en ex-Yougoslavie et en Irak, mais là c’est autre chose.
Du monastère de Jounieh où Élias s’est un moment réfugié, jusqu’aux montagnes du Chouf, en passant par Beyrouth et le Palais du chef druze Walid Joumblatt, l’auteur va découvrir l’horreur des guerres civiles et en plus religieuses. La guerre de la montagne entre Druzes et Chrétiens s’est déroulée en 1982-83. Elle a fait plusieurs milliers de morts et provoqué l’exil de 150.000 chrétiens, puisque ce sont eux qui ont perdu cette guerre et ont dû quitter les montagnes du Chouf où ils vivaient apparemment en bonne entente avec les Druzes.
Les témoignages que l’auteur recueille sont terrifiants : « Ici, dans la pièce où vous vous trouvez, il y a eu trois morts. Mon père et deux de mes tantes. Mon père n’est pas mort tout de suite. Il a reçu une balle sous le menton. Il a attendu les secours. En fait de secours, c’est l’homme qui l’avait blessé qui est revenu et l’a achevé. Regardez les trous dans les murs et dans le montant de la porte-fenêtre. »
Où se cache Élias dans ce chaos ? Il est revenu dans son village de Maasser-ech-Chouf, dans la maison où sa femme et ses deux enfants ont été massacrés, mais il se révèle introuvable. Je ne dévoilerai pas la fin du livre, de ce suspense, mais aussi de cette descente aux enfers.
Le titre du livre « le Déplacé » s’éclaire au fil du récit. Au Liban, ceux que l’on a chassés de leurs villages ou de leurs villes sont appelés pudiquement des « personnes déplacées ». Élias est donc un déplacé. Mais peu à peu l’auteur est amené à se poser la question. Dans ce monde barbare et cruel où nous vivons, ne sommes-nous pas tous plus ou moins des déplacés ? Des fuyards ?
Un livre fort qui vous prend aux tripes. Une écriture belle et simple, mais surtout efficace. La lecture du « Déplacé » ne vous laissera pas indemne, comme la rédaction de ce livre par Denis Langlois n’a pas dû le laisser indemne, puisqu’en rentrant du Liban il n’a pas regagné Paris, mais s’est installé dans un petit village de la montagne auvergnate.
Un livre en tout cas que l’on ne referme pas quand on a commencé à lire les premières pages. Les pacifistes et en général les humanistes y trouveront des raisons à la fois de désespérer et d’espérer. La barbarie humaine est présente à peu près partout, mais dans chaque communauté, dans chaque camp, il se trouve des individus qui ne sont pas d’accord, qui brisent la fausse solidarité du groupe, qui refusent de tuer ceux que l’on considère comme des ennemis et prennent pour cela des risques. Il arrive que l’être humain parvienne à se réconcilier avec les autres et donc avec soi-même. Il arrive qu’il cesse d’être un déplacé.
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Les éditions
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Le déplacé
de Langlois, Denis
Éd. de l'Aube
ISBN : 9782815903554 ; 16,75 € ; 20/01/2012 ; 252 p. ; Broché
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Guerre et nature humaine
Critique de Fouad Mansour (, Inscrit le 23 février 2012, 56 ans) - 23 février 2012
Il ne me semble pas exact de dire que Denis Langlois présente la « guerre de la montagne » comme d’origine uniquement religieuse ou culturelle.
Pour preuve ce passage, à mon avis essentiel, qui se situe à la fin du livre, juste avant le coup de théâtre des dernières pages. Le narrateur y rencontre une chrétienne de Maasser-ech-Chouf qui veut lui parler du massacre des chrétiens dans ce village en 1983. Elle commence par tenir des propos hostiles aux Druzes qui ont commis ces tueries. Puis, d’un seul coup, elle reconnaît :
« Il faut dire qu’avant la guerre nous les traitions fort mal. Nous étions largement majoritaires dans le village, plus riches, plus instruits. C’était pour la plupart des petits paysans, des ouvriers agricoles qui travaillaient pour nous, et nous les regardions comme des moins que rien. Nous étions orgueilleux, arrogants, supérieurs. Constamment ils étaient humiliés. »
Je pense que l’on ne peut pas après cela reprocher à l’auteur de négliger les fractures sociales qui existaient avant la guerre du Liban et qui subsistent.
Cependant, même si l’on ajoute que les communautés religieuses ont été manipulées par les différents clans politiques, il demeure inacceptable sur tous les plans que l’on massacre des êtres sans défense dont des enfants en bas âge, des femmes, des vieillards, qui ne peuvent être considérés comme des combattants.
Même si cette constatation est désespérante, je crois que la nature humaine est directement concernée par ces massacres qui se sont produits entre voisins et parfois entre amis. Lorsque les circonstances font que tout ou presque est permis – ici en raison de l’absence de toute autorité – la barbarie peut apparaître (ou réapparaître) chez certains êtres humains. Leurs convictions religieuses ne sont pas un frein, bien au contraire. On tue alors au nom de Dieu. Les guerres sont naturellement propices à ce genre de dérapage tragique. Le phénomène de groupe où l’on est un suiveur anonyme vient s’y ajouter. Aucun pays, aucune communauté n’est à l’abri de cela. Je suis sûr qu’un pays apparemment civilisé comme la France n’y échapperait pas. Le passé l’a d’ailleurs montré. Les lignes de fractures ne sont alors ni sociales ni politiques, mais simplement et terriblement humaines.
Heureusement – et cela permet de continuer tout de même à espérer – il se trouve des individus (je ne sais pas s’il faut les appeler les « bons » par rapport aux « méchants ») qui refusent cette dérive collective et qui, avec courage, en risquant leur peau, s’opposent aux massacres. Une jeune Druze, personnage également important du livre le remarque : « En général, le héros c’est le guerrier qui triomphe de l’ennemi. Il faut réhabiliter, ou plutôt habiliter, celui qui sauve la vie de ceux que l’on considère à tort comme des ennemis. »
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Critique de Avantgout (, Inscrit le 21 février 2012, 41 ans) - 21 février 2012
-Absence de réconciliation nationale authentique (le pardon est substitué par de l'amnésie)
-Maintien en place de l'élite politique composée de seigneurs de la guerre (évocation de Joumblat),
-Mise en évidence de la discrimination religieuse confessionnelle interlibanaise jusque dans les institutions religieuses
-Urbanisation chaotique durant l'après-guerre et destruction de l'espace naturel (Il s'agit d'un point fort et original du roman)
Le roman réussit ainsi à illustrer le cadre libanais sans complaisance et sans tomber dans le piège de l'exotisme condescendant et néocolonial.
La trame du livre tourne autour de l’évocation d’un épisode de la grande guerre du Liban, connu sous le nom de "la guerre de la montagne". Il s'agit de massacres perpétués en 1983 entre maronites (chrétiens) et druzes. Le livre mentionne bien la filiation entre cette guerre là et des conflits antérieurs similaires, principalement celui de 1860. Cependant il ne propose pas de réelle analyse ou explication - à part celle que la guerre est atroce, et qu'il y a des "bons" et des "méchants" des deux côtés. Un lecteur non averti pourrait conclure à un certain fatalisme de la guerre en général, et (raccourci encore plus dangereux) au fatalisme de la guerre entre des communautés de religions différentes.
Afin d'éviter ces pièges, et quand bien même ce ne serait le but premier du roman, il aurait fallu à mon sens évoquer un peu plus le contexte historico-politique de l'entité libanaise et son avatar principal: le confessionnalisme religieux, système consacré aussi bien par l'empire ottoman que plus tard par les autorités mandataires françaises.
Car cette "guerre de la montagne" libanaise est un exemple parfait des conséquences de l'instrumentalisation de la religion qui masque les vraies lignes de fractures entre les différents protagonistes (ici les communautés Druzes et Chrétiennes): Fractures sociales et politiques et non pas religieuses ou culturelles, comme le roman peut le laisser entendre.
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