Polynie
de Mélanie Vincelette

critiqué par Montréalaise, le 28 janvier 2012
( - 31 ans)


La note:  étoiles
Les tentations du Nunavut
« Une polynie est un trou éternel dans la glace. Une source de vie et de nourriture inespérée dans l'hiver polaire. L'ouverture est entretenue par les vents et les courants, mais aussi les baleines, qui doivent remonter à la surface toutes les vingt minutes pour respirer. Elles empêchent la glace de se refermer. Les ours polaires viennent pêcher dans ces eaux fertiles au plus noir de l'hiver. À la fin de la saison froide, la peau épaisse des bélugas est entaillées par leurs coups de griffes répétés » (p.196).

Rosaire Nicolet, jeune avocat international estimé, est retrouvé mort dans une chambre d'hôtel d'Iqaluit louée par Lumi, une strip-teaseuse du bar « Cercle polaire ». Son jeune frère, Ambroise Nicolet, qui cherche à découvrir son assassin, découvrira dans son parcours les secrets lourds de sa vie.

Entre déboires amoureuses déroutantes, conflits d'intérêts latents, convoitises de nombreux gouvernements pour les richesses de la glaciale contrée inuite et mystères entourant une carte chinoise découverte par un ancêtre français du XVIe siècle, « Polynie » nous offre un roman policier introspectif qui nous rend compte, dans une langue truffée de références à l'environnement et à la culture inuits, des profondeurs d'âme des divers personnages qui peuplent le petit roman.

Les chapitres sont courts, faciles à lire tout en conciliant un vocabulaire riche et un style sobre, quoiqu'il peut arriver au lecteur d'être dérouté par quelques longueurs coupant l'action et se concentrant sur la vie intime des personnages. Mais en général, Mélanie Vincelette a réussi à nous faire connaître ce milieu mystérieux et mal connu qu'est le Grand Nord canadien.
À qui appartient l'Arctique 8 étoiles

Jean Nicolet est venu en Nouvelle-France, croyant à son tour qu’il découvrirait un passage vers la Chine. Grâce à son frère prêtre, il réussit à mettre la main sur la cartographie du Grand Nord canadien que Zheng He, un amiral chinois, aurait tracée en 1418. La Chine aurait donc découvert l’Amérique comme le signale l’incipit du roman.

Stephen Harper revendique ce riche territoire. Il sent la soupe chaude depuis que les Russes y ont laissé leur drapeau et que le Danemark le convoite aussi, prétextant que les glaciers ne sont que des eaux gelées. Pour leur couper la glace sous le pied, il a envoyé des Inuit de même que des scientifiques pour assurer l’autorité du Canada sur l’Arctique à cause de la dorsale de Lomonosov, une chaîne de montagnes sous-marines rattachées, semble-t-il, à notre pays.

Rosaire Nicolet, descendant du célèbre explorateur, est justement un avocat, qui a la mission de se pencher sur ce dossier épineux. Installé à Iqaluit, la capitale du Nunavut, il semble hésitant à reconnaître la thèse canadienne. La dite dorsale ne serait-elle pas plutôt eurasienne ? Il n’aura pas l’occasion de se prononcer. Une prostituée le retrouve mort dans sa chambre de motel.

Ambroise, son frère cadet, est cuisinier dans un village voisin pour les mineurs de Kimmirut. Les deux frères ne se connaissaient pas vraiment, mais la mort éclaire leur destinée et surtout leur personnalité. Rosaire était autant extraverti qu’Ambroise est introverti. Cette différence attire le respect du cadet pour son aîné, qui n’était pourtant pas sans défauts. Ses faiblesses ressortent lorsqu’Ambroise liquide ses affaires. C’est suffisant pour qu’un lien identitaire soit créé à travers un ancêtre, dont ils poursuivent son exploration pour faire émerger le Nunavut sans spolier les Inuit.

Avant tout, ce canevas englobe des êtres aux prises avec la maladie d’amour. Certains sont immunisés, d’autres voudraient en être atteints, mais la gêne les retient de le laisser savoir. Au fond, c’est l’histoire d’amour d’Ambroise, qui n’est pas assez entreprenant pour déclarer à une glaciologue qu’il est follement amoureux d’elle.
Cet immense territoire boréal est viscéralement fixé au cœur des personnages. Ambroise introduit la rare flore de la région dans l’assiette des habitants ainsi que la faune, dont il évite la chair toxique de l’ours, un animal convoité par les riches Asiatiques. Et les animaux ne sont pas que des attraits touristiques. Sans eux, la vie est impossible, autant pour se vêtir que pour se nourrir. À quinze dollars le kiwi, il faut s’ingénier pour pêcher autour des polynies que Montréalaise a définies. Et dans une région aussi dépourvue de végétation, les végétariens et les végétaliens sont confrontés à leurs options alimentaires.

Ce roman relègue l’enquête policière au second plan pour faire ressortir toutes les facettes de l’activité humaine dans un cadre marqué par le perlerorneq, la dépression redevable à un soleil plutôt parcimonieux en hiver. En miniaturiste, Mélanie Vincelette parvient brillamment à illustrer toute la dynamique du « coureur de froid » qui s’arroge les droits de fouler la glace du Nunavut.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 29 janvier 2012