42e parallèle de John Dos Passos
(The 42nd Parallel)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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Ambitieux et fragile
La simplicité avec laquelle les écrivains américains ont décrit le monde dévasté qui a suivi la première guerre mondiale tient autant à leurs talents qu’à leur immersion personnelle dans le temps du conflit. Cette proximité a façonné leur prose. Leur besoin de témoigner d’une époque était trop fort pour l’abandonner au seul exercice de style. Un langage clair et précis était le seul contrepoint possible au choc vulgaire de la guerre et aux difficultés qui ont suivi. Les romantismes Français et Allemand s’étaient élevés les uns contre les autres et avaient disparu dans la boue des tranchés, la place était libre.
Dos Passos exerce cette application scientifique, cette écriture construite avec la précision d’un entomologiste bavard au-delà du métier d’un journalisme d’exception, c’est devenu un art nouveau. Steinbeck, Hemingway, Faulkner, Fitzgerald et Dos Passos ont tous commencé leur carrière littéraire dans l’esprit de cette fin de cycle qui annonçait la vie moderne, et ils ont inventé la littérature moderne qui allait avec.
Dans cette veine, Dos Passos n’est pas celui qui a rayonné le plus, Faulkner, Steinbeck et Hemingway étaient des bâtisseurs de chefs d’œuvre à la puissance surnaturelle, mais il était probablement le plus inventif. Il expérimentait, l’air de rien. Dans 42ème Parallèle, il contracte en quelques phrases la biographie d’un personnage et dilate tout à coup le temps autour d’une scène vivante, comme l’aurait fait un cinéaste animalier avide de nous montrer ses spécimens dans leur milieu naturel. Dos Passos peut faire passer plusieurs années en une phrase et faire courir une heure sur des dizaines de pages. Ça n’a l’air de rien, mais pour qu’un tel montage fonctionne et soit digeste au lecteur, il faut un talent hors norme. Dos Passos est un équilibriste brillant, capable de marier des actualités à son récit, des personnages existants, des biographies d’Edison ou de Charles Steinmetz. Il a ouvert la voie aux modernes et décrit fidèlement différents milieux sociaux, divers sens moraux, il a renforcé la voix narrative par l’assemblage de points de vue et souscrit pour la littérature un bail emphytéotique de vraisemblance dont on peine à renouveler les exploits. Il se dégage pourtant de l’ensemble une forme de faiblesse qui la rend attachante, Dos Passos sait l’impermanence des choses et du monde et en fait un art délicat, et c’est sa beauté autant que sa fragilité.
Les éditions
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42e parallèle [Texte imprimé] John Dos Passos
de Dos Passos, John
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070376940 ; 4,41 € ; 31/01/1986 ; 484 p. p. ; Poche
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Des prémices de la guerre européenne de 1914 – 1918 à celle-ci, que les USA regarderont d’abord de loin, se frottant les mains des affaires de ventes d’équipements faites aux divers belligérants - alors les « rois du monde » - et prenant très vite conscience que cette guerre est leur chance de passer devant, de s’imposer économiquement dans le monde. Puis l’après-guerre, les casinos boursiers où des fortunes se font et se défont plus vite que le temps de le dire. C’est tout cet ensemble que nous raconte John Dos Passos avec une prescience que, pour ma part, je trouve étonnante.
Sur la forme, c’est là encore d’une inventivité et d’un modernisme étonnants. John Dos Passos cherche – et parvient – à créer l’illusion de la vitesse et du tournis donnés par des informations télévisuelles par la forme qu’il adopte. Les trois romans sont construits de la même manière. Un peu – si j’ose la comparaison – un pâté en croûte dans lequel on aurait inséré des morceaux de foie gras. Le pâté lui-même ce sont les chroniques, d’une trentaine de pages, consacrées à un personnage ciblé qu’on va suivre sur un évènement court ou sur une période plus longue, qui pourra revenir plus tard, ou croiser, encore plus loin, un autre personnage dans une autre chronique. Ces chroniques – littéralement la chair de ces trois romans - sont titrées du nom du personnage.
La croûte, ce serait les « Actualités », qui enrobent chacune des chroniques, sur 2 – 3 pages, écrites de manière déstructurée ; des gros titres en caractères d’imprimerie, des commentaires, en italique, qui n’ont pas, ou lointain alors, rapport avec le titre précédent. John Dos Passos a sans conteste voulu recréer l’impression de survol qu’on peut avoir en survolant un journal et ses gros titres. Mais l’effet de « zapping » généré par ces passages du coq à l’âne évoque terriblement la télévision et des propres « actualités ».
Et les morceaux de foie gras alors, ce seraient les passages intitulés « L’œil-caméra » (là, l’intention est clairement affichée !), pour le coup complètement déstructurés, commençant au milieu d’une phrase, se terminant en cours de ligne par un blanc et continuant sur un autre sujet, apparemment du moins car, en fait, l’impression finale générée a du sens. Comme un sens poétique. Ca fait penser à certaines techniques d’Apollinaire, me semble-t-il, mais je n’irai pas plus loin n’ayant jamais approfondi Apollinaire.
Mais « 42ème Parallèle », donc. On est dans l’avant-guerre 14, puis dans la guerre, en tout cas en Europe. Les personnages américains choisis par John Dos Passos pour nous faire toucher du doigt « sa » réalité sont frustres, jeunes. Les U.S.A. sont encore un pays secoués par un souffle vital intense, où le « struggle for life » a encore un sens – c’est même une nécessité. Un pays jeune qui ne rêve que d’éclater en puissance et magnificence.
Le monde ouvrier est sauvagement exploité et les syndicats, ou tentatives de syndicats, sont férocement réprimés. Il ne fait pas bon y être pauvre, c’est évident.
Ceux qui le peuvent quittent leur trou perdu pour essayer de se sortir de leurs conditions. Certains se contentent d’errer dans le pays, « hobos » magnifiques et pathétiques.
Plusieurs personnages choisis par John Dos Passos choisissent de partir en Europe, non pas à la guerre puisque les U.S.A. n’y sont pas encore rentrés, mais comme volontaires Croix Rouge, ambulanciers (ce fut le cas d’ailleurs de John Dos Passos lui-même)…
Et John Dos Passos traduit magnifiquement la certitude qui traverse alors le pays que cet entre -déchirement des Nations du vieux continent va constituer leur moteur de mise à feu d’une puissance économique qui va dominer le monde. Etonnante cohabitation des cyniques les plus riches et d’idéalistes, syndicalistes ou hobos, prêts au sacrifice (et le mot n’est pas trop fort).
C’est dans « 42ème Parallèle » qu’on ressent le plus ce souffle de sauvagerie et de possibles qui rend ce pays si fascinant. Avant la guerre 14, le futur géant n’était encore qu’un bébé monstrueux.
«Acre énergie et grandes espérances (ou grandes illusions) : l’Amérique y est encore un pays ouvert, en tous les sens du terme ; le continent où ceux qui n’ont rien poursuivent la marche d’Est en Ouest … »
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Chronique des USA
Critique de Kabuto (Craponne, Inscrit le 10 août 2010, 64 ans) - 8 septembre 2013
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