Les larmes interdites
de Sophie Ansel, Navy Soth

critiqué par Dirlandaise, le 6 février 2012
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
L'odeur d'un melon...
En avril 1975, les Khmers rouges envahissent la capitale du Cambodge Phnom Penh. Les habitants les accueillent comme des libérateurs, des nationalistes venus régler tous leurs problèmes et les défendre contre les Américains. Malheureusement, les nouveaux venus s’empressent d’ordonner l’évacuation immédiate de la ville, forçant la population à un exil vers la jungle où ils seront transformés en esclaves à leur service. La famille de Navy Soth fait partie de ceux qui doivent partir et rejoindre la foule de réfugiés. Au bout d’un long voyage, ils sont réinstallés au cœur de la jungle, dans un village de travailleurs où plus rien de leur vie d’avant ne subsiste. Ils font maintenant partie du Peuple nouveau et ne doivent plus laisser cours à leurs sentiments. Le rire et les larmes sont désormais interdits dans cet enfer créé par la folie et l’endoctrinement de Pol Pot. Ils appartiennent désormais à l’Angkar et toutes leurs activités doivent servir l’organisation. La famille de Navy endurera des souffrances inimaginables dont entre autres la faim toujours présente et l’absence totale d’espoir d’une vie meilleure. La récompense des travailleurs est bien souvent la torture et une mort violente lorsqu’ils ne peuvent plus travailler adéquatement, affaiblis par les privations et l’absence d’hygiène la plus élémentaire.

Le livre nous présente le point de vue d’une enfant qui a vécu l’horreur des camps de travail cambodgiens et a réussi à survivre miraculeusement à cet enfer contrairement à plusieurs membres de sa famille. La petite raconte son calvaire enduré jour après jour pendant quatre années au cours desquelles elle doit travailler comme les grands et se contenter de la bouillie de riz reçue en récompense d’une journée entière d’un travail acharné afin de faire pousser légumes et riz au profit des familles Khmers rouges résidant dans des villages séparés. Elle s’adapte à l’horreur et considère comme normal de devoir partager la route avec des tas de cadavres pourrissants au soleil et dévorés par les loups. La mort est partout et elle est mille fois plus douce que la vie. Les familles disparaissent parfois durant la nuit pour laisser place à de nouveaux arrivants et jamais Navy ne sait quand son tour viendra de disparaître elle et toute sa famille.

Le livre nous plonge dans l’horreur la plus complète. Il est bouleversant et surtout désespérant devant tant de barbarie et d’inhumanité. Les épreuves endurées par cette jeune femme sont tellement difficiles à imaginer qu’on se demande si tout cela s’est vraiment produit et surtout, comment elle a réussi à conserver un minimum de raison et de moral après avoir vu tant de souffrance et d’injustice.

J’ai rarement lu un livre si dur, si effroyable. À lire absolument pour réaliser ce que les élucubrations de Pol Pot ont eu comme conséquences sur la vie de milliers de gens piégés dans cette affreuse situation et ne survivant que grâce à leur ruse et à leur capacité de débrouillardise car la ration quotidienne des travailleurs ne permettait pas de survivre très longtemps.

Une lecture qui nous fait apprécier notre confort et le bonheur de pouvoir se nourrir sans crainte de recevoir des coups ou de se faire exécuter pour avoir voulu respirer seulement l’odeur d’un melon dans un champ.

« Je sens un autre coup s’abattre, la tige râpeuse des branches de rotin me laboure le dos. Je me répète les leçons de papa et me mords les lèvres en essayant de respirer, de ravaler mes larmes. Il s’arrête. Mes oreilles bourdonnent. J’ai les yeux rivés sur mes doigts de pieds, je m’applique à le détester quand je l’entends à nouveau hurler :

Tu te fiches de moi ? Tu ne portes que ça ! Tu vas me prendre plus de charge !

Il s’est écarté, continuant sa ronde d’insultes et de coups ; il s’en prend désormais à un petit garçon dans la rizière à côté. Je desserre les fesses, faisant attention à ne plus faire de faux pas et surtout à me presser, mais la haine m’envahit à mesure que mon bourreau s’éloigne dans les champs. Toute la journée, l’envie de me venger m’insuffle de la force. J’imagine chacune des façons dont je pourrais le faire souffrir. »
35 après les faits, Navy Soth replonge dans son enfance pour nous décrire cet effroyable Génocide cambodgien ! 10 étoiles

Le témoignage bouleversant d’une toute petite fille, Navy Soth, lorsque : elle, toute sa famille et le Peuple Cambodgien ont subi cet effroyable Génocide, perpétré par le régime Totalitaire Communiste des Khmers Rouges de Pol Pot, du 17 avril 1975 à janvier 1979.

Le récit sans fausse pudeur, cru, innocent, émouvant et terrifiant d’une fillette décrivant l’implacable et monstrueuse réalité que fût ce Génocide !

Miraculeusement rescapée de ce Génocide, Navy Soth est arrivée en France au début des années 1980, et est aujourd’hui, à son tour, maman…, d’une petite fille.

Anonyme11 - - - ans - 18 août 2020