Uashat
de Gérard Bouchard

critiqué par Libris québécis, le 20 février 2012
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Quand le soleil de minuit se meurt
Adossé à la ville de Sept-Îles sise en bordure du Saint-Laurent, Uashat est une réserve montagnaise appelée à disparaître. Avec un sans-gêne inqualifiable, les gouvernants refoulent les habitants vers Malioténam, un village construit de toutes pièces afin de favoriser l’expansion de Sept-îles, la capitale de la Côte-Nord. La déportation reçoit l’aval des autorités ecclésiastiques, qui relèvent le curé de ses fonctions et qui interdisent le cimetière à toutes nouvelles sépultures.

Bénéficiant d’une bourse, Florent Moisan s’amène à Uashat sur l’instigation de son professeur afin d’établir la genèse de la population. La situation qui la déchire ne favorise pas son travail. Ceux qui habitent sous la tente sont favorables à la fermeture de leur réserve tandis que ceux, qui ont l’immense privilège de vivre dans une masure, croient encore à leur avenir à Uashat.

Comme on efface les traces du passé et que les voies de l’avenir sont des culs-de-sac, on condamne le peuple montagnais à se laisser assimiler comme citoyens de seconde zone. C’est le triste drame auquel assiste un Florent Moisan impuissant devant une nation désorganisée par la spoliation de son territoire de chasse et de pêche au profit d’investisseurs véreux, bénis par « l’hypocrite Maurice Duplessis », premier ministre de l’époque, qui autorise des baux de cent ans, encore en vigueur, pour dépouiller les autochtones de leurs richesses.

Hébergé par un vieillard de la tribu, Florent s’initie à son contact à la culture montagnaise, une culture riche en enseignements. Mais, malheureusement, ces Amérindiens se sentent honteux de ne pouvoir transmettre leurs valeurs aux jeunes, devenus désœuvrés faute d’un chef de file charismatique. Incapables de marcher dans la foulée de leurs ancêtres, dont ils ignorent même la langue, ils se donnent l’impression d’exister en s’adonnant à l’alcool et à une sexualité exacerbée.

Uashat se déroule au fil des jours comme une chronique des événements et des mouvements de l’âme. Dans un grand souffle, le roman circonscrit parfaitement le drame shakespearien auquel on a acculé les Montagnais. Gérard Bouchard, historien et sociologue, a évité le piège de l’essai romancé. Son œuvre en est une d’émotions baignant dans une poésie empreinte des silences d’une toundra qui s’est tue au profit des spoliateurs. Avec une plume savoureuse, empruntée à la rusticité de notre parlure, l’auteur trace le tableau de l’une des premières nations, devenue apatride sur ses propres terres et incapable à tout jamais de pousser des mashkatas. (Hourra !)

Bref, à la manière de La Lumière du Nord de Kevin Patterson, l’œuvre nous prévient que le soleil de minuit se meurt.