Le château des ruisseaux
de Vincent Bernière (Scénario), Frédéric Poincelet (Dessin)

critiqué par Shelton, le 22 février 2012
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Original, surprenant et, donc, à lire...
Après avoir lu sans m’arrêter une seule fois cette bande dessinée, Le château des ruisseaux, je me suis posé plusieurs questions et je voudrais vous faire part de mes réflexions avant même de vous pousser à lire un tel ouvrage. En effet, on va parler de drogue dans ce château et je me suis d’abord demandé si j’avais en main un outil de prévention, un documentaire, un témoignage, une tranche de vie, une aventure… Et la réponse n’était pas simple à trouver.

Je crois qu’il faut commencer par dire qu’il ne s’agit pas d’un livre de prévention. Ce n’est certainement pas un album dont la lecture pourrait dissuader un jeune de tenter l’expérience de la drogue. On ne traite pas ici des motivations profondes qui peuvent conduire sur ce chemin périlleux, qui font glisser progressivement dans un univers sans issue ou qui isolent le jeune drogué du reste de ses relations, qu’elle soient amicales ou familiales. Ici, on est en présence de personnages qui ont sombré depuis longtemps dans ce paradis de l’illusion et qui veulent s’en sortir. Le château est un lieu – bien réel d’ailleurs – où se retrouvent des drogués qui, ensemble, vont se mettre sur la route de l’arrêt…

Est-ce alors un documentaire qui permettrait au lecteur de mesurer la difficulté de ce chemin à franchir, de prendre conscience des risques de rechute, d’apprendre la souffrance du corps et de l’esprit de celui qui veut s’éloigner de la drogue… Mais ce n’est pas un documentaire car c’est une bande dessinée avec ses ellipses, avec sa narration qui privilégie certaines rencontres, des attitudes, des regards, avec des mots qui résonnent pour nous faire rencontrer des personnages en en laissant d’autres dans l’ombres du château… Non, définitivement, ce n’est pas un documentaire et vous ne découvrirez pas là, dans ce livre, tous les dessous avouables ou pas d’une cure de désintoxication au château des ruisseaux !

Alors, ne serions-nous pas en présence d’une bédé de témoignage ? Si vous voulez dire par là que ce qu’y est raconté est vrai, que les auteurs, tout en respectant les personnes, ont fait redire à leurs personnages des éléments de la vraie vie des personnes qui sont passées au château des ruisseaux… Alors, oui ! On peut dire que c’est bien un témoignage… mais, comme le récit est très parcellaire, je persiste à penser que ce n’est pas, à proprement parler, un témoignage. Je dirais plus un regard, une écoute, une sensation. C’est un peu comme si les auteurs s’étaient glissés au sein du château et avaient volé quelques phrases, quelques images, quelques instants…

C’est pour cela que, pour moi, cet album est une tranche de vie ! Oui, c’est un livre qui nous fait pénétrer au sein d’un groupe qui tente de s’éloigner de la drogue. On ne vous dit jamais ce qui est bien ou mal, difficile ou facile, humain ou inhumain… On ne prétend jamais que le travail de groupe est une solution idéale pour décrocher, que ce serait la seule méthode efficace, que tous les drogués s’en sortent… Non, les auteurs sont plutôt très réalistes rappelant qu’au château comme ailleurs, décrocher définitivement reste exceptionnel. « 15% des gens qui passent par le château restent abstinents après ! ».

Ceci étant précisé, cette bande dessinée est très forte, très pertinente, et elle ose aborder des questions graves que la société fuit car dans ce refus d’aborder de face certaines difficultés elle continue de faire comme si tout allait bien chez nous…

La narration graphique est d’une grande qualité. Le lecteur de bandes dessinées sera un peu surpris de ne plus trouver les cases habituelles, avec des grandes pages dessinées où l’on retrouvera souvent des têtes et des paroles, thérapie de groupe oblige. Mais il y a aussi de belles planches avec un texte minimaliste voire absent pour nous laisser le temps de digérer ce qui aura été dit, vécu, pensé…

Oui, c’est bien un ouvrage de grande qualité qui en surprendra plus d’un, qui rappellera un passé pas toujours rose à d’autres, ou qui redonnera de l’espoir à certains. Il fallait oser écrire Le château des ruisseaux, maintenant, il faut oser le lire, s’y plonger !

Bonne lecture !